Page images
PDF
EPUB

LA RENAISSANCE.

SON INFLUENCE SUR LES CROYANCES ET SUR LES MOEURS.

Le R. P. Daniel, de la Compagnie de Jésus, fait paraître en ce moment, sous le titre d'Etudes classiques dans la société chrétienne, un livre qui nous semble destiné à jeter une nouvelle et vive lumière sur la question définitivement résolue de l'emploi des classiques païens dans l'éducation de la jeunesse chrétienne. Quelques fragments de cette importante étude historique, publiés dans le Correspondant, en ont fait connaître déjà l'esprit et la portée. Comme M. l'abbé Landriot, comme le R. P. Cahour, le P. Daniel ne goûte pas les innovations qu'on a voulu introduire dans nos écoles; il tourne contre elles les armes qu'on avait essayé de faire servir à leur triomphe; il repousse ces nouveautés au nom de la tradition, de l'autorité et des intérêts les plus chers de la religion.

Le livre du P. Daniel est propre à rassurer ceux qui ont craint un instant de voir compromettre, par d'aventureuses utopies, l'avenir littéraire et l'influence scientifique de l'Eglise. Il montre que la Compagnie de Jésus, rendue par la loi de 1850 à l'une de ses missions les plus importantes, n'est point disposée à renier la méthode et les glorieuses traditions de ses pères, et que, dans ses colléges du moins, il n'y aura pas de révolution.

Nous reviendrons probablement sur cet ouvrage. Nous sommes heureux de pouvoir, dès aujourd'hui, en mettre quelques extraits sous les yeux de nos lecteurs.

L'on sait que la Renaissance est l'objet de tous les anathèmes des adversaires de la littérature classique. Elle est accusée d'avoir ébranlé les croyances, corrompu les mœurs, précipité l'art dans une fausse voie. Le P. Daniel, après avoir soigneusement distingué la Renaissance proprement dite, du xvr siècle, avec lequel on la confond trop souvent, examine successivement ces trois griefs dans les termes qu'on va lire. L'abbé J. Cognat.

Le plus grand coup porté aux croyances, pendant le xvie siècle, c'est, sans contredit, le protestantisme. Si la renaissance a engendré le protestantisme, c'est à elle aussi que remonte, par une suite nécessaire, l'incrédulité moderne. Qui ne sait que les pays protestants ont donné des maîtres à Voltaire et aux encyclopédistes? Il suffit d'avoir nommé Spinosa, Bayle, Colins et Bolingbroke, auxquels on pourrait en joindre nombre d'autres, comme eux, revendiqués à bon droit par la Hollande et l'Angleterre. N'oublions pas non plus Genève; la prétendue philosophie du XVIIIe siècle lul doit beaucoup. Le panthéisme de ces derniers temps n'est pas moins redevable à Berlin.

Mais est-il bien vrai que la renaissance ait suscité le protestantisme?

C'est ici surtout qu'on s'est livré sans réserve à l'illusion que nous avons signalée. Parce que ces deux faits viennent d'une certaine façon se

ranger sous une même date, on a supposé entre eux une étroite connexion, que repoussent manifestement les autres données de l'histoire.

Entre le pays du protestantisme et le pays de la renaissance, il y a les Alpes; lorsque la renaissance les traverse, derrière elle, en Italie, elle ne laisse pas le protestantisme, et il éclate en Allemagne avant qu'elle ait eu le temps de s'y acclimater et d'y prendre position.

Rodolphe Agricola, dit Erasme, nous apporta le premier d'Italie quelque sentiment de bon goût littéraire. » Mais à quelle époque cela se passaitil? Vers 1480, c'est-à-dire lorsque l'Italie comptait déjà deux générations d'hellénistes, de latinistes, de poëtes distingués, et lorsqu'elle voyait poindre la troisième, celle qui devait fleurir sous Léon X. « Les murailles d'Ita« lie, dit encore Erasme, ont plus de science et d'éloquence que les hommes de notre pays. » Nous n'insistons pas; c'est un point d'histoire littéraire assez connu, sur lequel s'accordent d'ailleurs Allemands et Italiens: Heeren, par exemple, et Tiraboschi.

Aussi Luther comptait-il très-peu sur la renaissance des lettres pour accomplir son œuvre révolutionnaire. La preuve en est qu'il renouvela tout d'abord les sauvages déclamations de Wiclef contre les sciences et les arts, qu'il appelait des piéges du démon, et contre les universités où on les enseignait. A sa voix, celle de Wittemberg vit s'enfuir les écoliers; pendant quelque temps elle fut déserte. Mais si Luther ne comptait pas sur la renaissance, il comptait sur une nationalité jalouse de l'Italie, sur ce vieux levain de rancune laissé au cœur des populations d'outre-Rhin par les rivalités séculaires des papes et des empereurs, sur ce germanisme enfin, ces instincts peu sympathiques à la race latine qu'il était si facile de tourner contre Rome. L'événement prouva qu'il ne s'était pas trompé. Autour de lui, il entendit retentir les anathèmes qu'il avait lancés le premier contre le paganisme des papes; étrange équivoque, plus étrange encore dans la bouche des catholiques qui le répètent de nos jours. Erasme, lui aussi, dans ses mauvais moments, plus circonspect néanmoins, plus modéré que Luther, s'est récrié contre le paganisme de la cour pontificale, et son Ciceronianus est tout rempli de ces élans d'indignation germanique. Et l'on a pu écrire que le protestantisme était né de la renaissance! le protestantisme fomenté en Allemagne et qui épargne l'Italie; le protestantisme accueilli avec transport par les paysans de la Thuringe, et combattu par Léon X et Aleandro; le protestantisme qui ne pénétrera pas dans la patrie de Raphaël et de Michel-Ange, et qui triomphera dans les gothiques cités de la Saxe, là où ne s'élève aucun Parthénon, aucun péristyle dans le goût d'Athènes, où ni la toile ni le marbre ne font revivre les types de l'ancienne Grèce, ses héros, son Olympe.

Il est un seul point, nous le répétons, par lequel la renaissance agréait aux protestants. Comme ils voulaient, pour mieux exercer le libre examen, lire la Bible dans le texte primitif et les Septante, ils reconnaissaient quelque utilité au grec et à l'hébreu. A Strasbourg, après l'invasion du protestantisme, l'hébreu fut quelque temps la seule langue morte enseignée dans les écoles. Ramus prétendait imposer l'hébreu à la Sorbonne, non comme science utile aux ecclésiastiques, mais comme base principale et nécessaire de toute théologie. Et dans ce collége Royal dont il fut l'âme tant qu'il vécut, je vois les mèmes tendances conduire à l'hérésie. Sans compter Vatable, qui est au moins fort suspect, Mercier et Palma-Cayet, qui remplissaient

aussi la chaire d'hébreu, passèrent au protestantisme; tandis que Deny Lambin et Latomus, occupés de Cicéron, de Démosthène, de Sophocle, honorèrent leur enseignement par la ferveur et la pureté de leur foi.

Ceci nous rappelle un mot rapporté par Tagliazucchi, le Rollin du Piémont au siècle dernier. Une contestation s'était élevée entre un théologie et un humaniste sur la supériorité de leurs professions respectives, et chacun d'eux cherchant à rabaisser celle de son adversaire, comme il arrive assez souvent, on faisait assaut de noms propres. Le théologien crut avoi: gain de cause en citant l'humaniste Erasme, hérétique, ou tout au moins fauteur d'hérétiques: Est-ce la faute des études littéraires, reprit l'autre, si Erasme s'est avisé de traduire à sa manière le nouveau Testament ? » Il aurait pu ajouter, observe Tagliazucchi, ce qui d'ailleurs ressort assez clairement de toutes les pages de l'histoire de l'Eglise, que la plupart des hérésies eurent pour auteurs des théologiens, et non des grammairiens.

Le danger pour l'Allemagne, au XVI° siècle, était aussi dans ses théolo giens, moins éclairés qu'ardents à la controverse; et il avait été pressenti d'une manière remarquable, dès la première moitié du siècle précédent, par Æneas Sylvius, depuis pape sous le nom de Pie II, alors évêque de Trieste. Rédigeant un plan d'études pour le jeune Ladislas, roi de Hongrie, Æneas en était venu aux poëtes; il allait parler de Virgile et d'Horace, quand tout à coup il s'arrête; l'Allemagne vient de lui apparaître sévère, dédaigneuse pour les plus beaux génies de l'ancienne Rome, tout entière aux discussions théologiques : « Sur le point de vous parler des poëtes, dit-il, et de vous engager à les lire, j'entends déjà les propos injurieux de tous ces hommes qui sont plus en peine de passer pour théologiens que de l'être en réalité. De quel droit, disent-ils, nous apportez-vous vos poëtes d'Italie, et venezvous corrompre par la mollesse énervante de leur langage les saintes mœurs de la Germanie » C'est bien là cette même Allemagne dont nous parlions tout à l'heure, repoussant le mouvement littéraire venu d'Italie, par un certain orgueil national qui prenait volontiers les dehors du zèle. Æneas fait l'apologie des poëtes; il prouve par les saints Pères qu'il est permis et utile de les lire; après quoi, il reprend l'offensive contre les théologiens exclusifs de l'Allemagne : « Quel est, demande-t-il, l'erreur en matière de foi qui n'ait eu pour auteurs des théologiens? Qui a introduit la folie de l'arianisme, qui a séparé les Grecs de l'Eglise, qui a séduit les Bohémes, sinon des theologiens? » Un siècle plus tard, Æneas eût ajouté: Qui a entraîné l'Allemagne dans le protestantisme, sinon le théologien Martin Luther avec sa Bible?

Non, la renaissance littéraire n'a rien à faire ici; elle n'est ni la mère ni la fille de l'hérésie protestante. Là où l'on a vu une étroite alliance, il y a un synchronisme, et rien de plus.

Que, dans la suite, les protestants aient cherché à prouver cette alliance et à en exhiber les titres, ce n'est pas merveille; il est toujours flatteur de rattacher son origine à un progrès : ce qui peut surprendre, c'est que des catholiques aient embrassé de tout leur cœur cette interprétation de l'histoire. Savez-vous ce qui se passait dans les universités protestantes de l'Allemagne en 1617, 1717 et 1817 ? On célébrait une sorte de jubilé, en mémoire de la grande rupture de 1517, et dans les discours académiques prononcés en ces occurrences, le bienheureux, le divin, le théandre Luther était présenté comme le restaurateur des lettres, le vainqueur de la barba

rie, le flambeau du monde, etc., etc. En outre, pour faire contraste et jetǝr quelque ombre sur ce tableau, le moyen âge était évoqué, avec ses grammairiens et ses lexicographes, les Alexandre de Villedieu, les Evrard de Béthune, les Jean de Gênes, hommes ignorants et grossiers; ce qu'on prouvait à grand renfort de critique philologique, le tout assaisonné de plaisanteries de haut goût (1). Mais ce qu'il y a de curieux en tout cela, ce que je tiens à noter, c'est que si, par hasard, l'orateur est sérieux, s'il traite son sujet avec conscience, pour trouver le point de départ de la culture moderne, il remonte, — voyez un peu l'insolence, aux papes Pie II et Nicolas V! Heureusement pour la gloire de Luther, les catholiques dont nous parlons se sont chargés de prouver que Nicolas V et Pie Il n'y étaient pour rien. Leurs écrits seront d'un grand secours au delà du Rhin, quand viendra le jubilé de 1917.

Venons au chapitre des mœurs. Et je déclare d'abord en toute franchise que je ne voudrais pour rien au monde faire l'éloge de celles du xvI° siècle. Même les saintes mœurs de la Germanie, à cette époque, ne me paraissent pas irréprochables. Mais là n'est pas la question. Il s'agirait de savoir si, du moment où elle fut classique, la littérature devint aussi plus corruptrice, et si elle dépassa de beaucoup en licence les poésies populaires des xive et XVe siè cles. On peut hésiter à répondre, et nous n'avons nullement dessein de discuter sur pièces un pareil sujet. Ce qui est certain, c'est que la fin du XIIIe siècle avait vu paraître la seconde partie du Roman de la Rose, l'œuvre de Jean de Meung, contre laquelle le chancelier Gerson se crut obligé de dresser un acte d'accusation, au nom de la religion et de la pudeur indignement outragées. Il y revient souvent dans ses autres écrits; la vogue de ce livre est un scandale qu'il voudrait faire cesser à tout prix. Il déclare, dans un de ses sermons contre la luxure, que s'il possédait un exemplaire du Roman de la Rose, le seul qui fût au monde, valût-il 1000 livres, il le jetterait au feu, plutôt que de le vendre et de le laisser publier tel qu'il est. S'il savait que Jean de Meung ne se fût pas repenti de cet écrit avant sa mort, il ne prierait pas plus pour lui que pocr Judas; et dans le cas où il serait en

(1) Nous nous contentons de citer, en l'abrégeant, le titre de trois de ces pièces, une pour chaque jubilé.

1° « Oratio secularis in qua de statu linguarum et artium liberalium, in seculis superioribus ante B. (eatum) Lutherum, ultimum Germaniæ evangelistam atque in hoc seculo proxime elapso Lutherano disseritur, in primis vero ostenditur quomodo et per quos una cum luce Evangelii, lux linguarum et artium a tenebris barbariei in gymnasio ulmano vindicata fuerit, habita Ulmæ... a M. Joh, Philippo Ebelio... Anni a face Evangelii Theandri Lutheri opera redaccensa, etc., quem bis enumerant versiculi seqq. << LVtherVs, Satana rIDente geMente, VaLebIt,

«LVther Vs Papæ DoMItor, rasæqVe phalangls.

(Faites l'addition de la valeur numérique des capitales).

2° Diatribe historico-litteraria de statu scholarum ante Reformationem, qua ad celebrandum in schola nostra Reformationis Lutheran jubilæum..., invitat Christianus Schottgenius. Francofurti, 1717.

3o« De Schola latina Ulmana ante et sub Reformationis sacrorum tempus... ad solemnia secularia Reformationis a Luthero pridie Cal. nov. A. 1517 cœptæ in Gymnasio Ulmano ipsis cal. nov. 1817 celebranda... interprete Georg. Veesenmeyer prof. VI classis. >>

Notre contemporain est beaucoup plus modéré de ton que son prédécesseur de 1617. Évidemment, la foi luthérienne est en déclin.

enfer ou en purgatoire, ceux qui pèchent en lisant son livre ne font qu'augmenter son supplice. Tel est le jugement du pieux Gerson sur une œuvre du XIIIe siècle. Jean de Meung a mérité la damnation en écrivant un roman; dans l'Enfer de Dante, je vois deux coupables entraînés au mal par la lecture d'un autre roman, de Lancelot. Françoise de Rimini commence en ces termes le récit de sa chute :

Noi legevamo un giorno per diletto

Di Lancilotto, come amor lo strinse...

Elle termine en accusant le livre qui fut, comme Galéot dans cette intrigue, l'entremetteur et le conseiller du crime:

Galeotto fu il libro e chi lo scrisse!

On peut s'en rapporter à Dante, qui connaissait assurément les mœurs de son siècle; ce genre d'écrits recélait un poison mortel. Mais voici quelque chose de plus. Louis Vivès, en pleine renaissance, dénonce les Tristan, les Amadis, les Lancelot du Lac, comme les corrupteurs ordinaires des jeunes gens et des femmes. Et, au fait, où donc l'Arioste avait-il appris à mêler aux prouesses de chevalerie les plus scandaleuses aventures? Chez les anciens? De son propre aveu, il n'était pas capable, à vingt ans, de comprendre une traduction latine d'Esope. En revanche, il avait iu et relu tous les romans du moyen âge.

• Quand les trouvères, entraînés par le courant de la mode, invoquèrent à leur tour Apollon et les Muses, quand ils se travestirent à la romaine, à la grecque, leur restait-il encore beaucoup de naïveté à perdre dans le coinmerce des anciens? J'en fais juge tous ceux qui ont approfondi cette matière ? Peut-être ne sont-ils pas les plus ardents à regretter l'oubli où sont restés dans nos colléges les fabliaux et les romans du moyen âge. A tout prendre, la littérature savante fut encore la plus chaste: elle était laborieuse, et il y a dans le travail je ne sais quoi de fortifiaut qui empêche de s'abandonner tout entier à l'ivresse des sens. Et puis, les vrais modèles de l'antiquité, ceux qui ont surnagé, forment, en quelque sorte, une aristocra tie douée de supériorité sous tous les rapports. Si dans les bas-fonds de Rome et d'Athènes, il s'est trouvé, comme partout, unc poésie infime et mal famée, ce n'est point là ce qui est devenu classique. Homère et Démosthène, Cicéron et Virgile, tels étaient les maîtres des bons écrivains du xvir siècle. A côté d'eux, de purs Gaulois, des héritiers de Villon, ont fait effort pour repousser le joug, et plus d'une fois ils en sont venus à bout. Lesquels, à votre avis, ont le plus contribué à accréditer chez nous la licence?

BOURSE DU 17 SEPTEMBRE 1853.

-

plus haut, 105 10 plus bas 4 1/2, à terme, ouvert à 105 10 105 00 - fermé à 105 10. Au comptant, il reste à 105 10. plus haut, 79 20-plus bas, 78 80 3 0/0, à terme, ouvert à 78 80 fermé à 78 80. Au comptant, il reste à 78 00. Valeurs diverses: Obligations de la Ville (1849), à 1,120

1,120 ».

» (1852), a

». »; nouveau, 98 Fonds étrangers: Rome, 5 0/0 ancien, 97 gique, 5 0/0, 98 Espagne, 5 0/0, j. j. 1852, 40 ».

[ocr errors]

-

fel

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY PARIS - IMPRIMERIE DE H. V. DE SURCY ET C RUE DE SÈVRES, 37.

« PreviousContinue »