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Un maçon du village qui m'accompagnait m'a dit avoir creusé au pied d'un grand nombre de ces pierres et avoir maintes fois labouré les champs où on les rencontre; partout il a trouvé, sous la terre arable, un fonds de tuf, pierre de schiste très-tendre.

Le sol du plateau se termine par une pente assez rapide qui conduit du nord-est à une petite vallée au milieu de laquelle coule un petit ruisseau, le Halgré, ou ruisseau de Mains-Sales (1), qui se perd plus loin dans la Druance.

Depuis le plateau où se trouvent les pierres jusqu'au ruisseau et de chaque côté de ce ruisseau, on voit au moins deux cents pierres de quartz blanc semblable à celui des pierres du plateau.

Les paysans les détruisent chaque jour et ils ont, avec ces pierres, construit des masses de fossé de chaque côté d'un chemin qui conduit à la vallée.

Les prés et les champs voisins sont littéralement semés de ces blocs, dont la masse grisâtre apparaît çà et là au milieu de l'herbe.

Je n'estime pas à moins de quatre cents le nombre des pierres qui devaient exister là, en tenant compte de celles qui ont été détruites ou enfouies dans le sol.

(1) C'est dans ce ruisseau que le bourreau se lava les mains, disent les paysans, après avoir écorché vif celui qui avait accusé à tort Mathilde d'avoir manqué à l'honneur. (J'ai receuilli toute cette légende, que je vous enverrai bientôt ).

attention de la part de la Société.

Mes connaissances en archéologie ne sont pas assez étendues pour me permettre de donner mon opinion pour une certitude, et je serais très-heureux si vous vouliez bien venir sur les lieux vous assurer du degré de confiance qu'on doit lui accorder.

J'oubliais de vous dire que les champs du plateau, où se voient les pierres encore debout, se nomment le champ du Hou, et celui au nord de ces pierres le champ de devant le Heu ou Hu.

Hu est une divinité gauloise qui se confond avec le Dieu suprême (de La Villemarqué, Henri Martin).

Un autre champ situé au midi, en face, de l'autre côté du vallon, se nomme le champ Dolent.

Les prés de la vallée n'ont pas de nom particulier. • C'est le diable, disent les paysans, qui laissa tomber « ces pierres, un jour qu'il les emportait pour détruire l'abbaye naissante du Plessis-Grimoult. »

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On voit au midi, à 400 mètres plus loin, une autre pierre aussi de quartz blanc, dans un champ labourable ce devait être un menhir. Il a environ 5 pieds de haut; il est renversé et cache des trésors, dit-on. On a fouillé au pied maintes fois. « Il y revient un lièvre la nuit, etc., etc. »

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Entre cette pierre et le champ du Hou ou du Hu, on voit d'anciens retranchements en terre, une forteresse, disent les paysans; M. Vasnier, médecin à Lassy, y a trouvé des médailles romaines en assez grande quan

tité. L'une d'elles est de l'impératrice Faustine (Annia Faustina junior), femme de Marc-Aurèle.

Il y avait auprès une chapelle et un cimetière qui contenait des cercueils en pierre; on a trouvé des épées rouillées dans ces sépultures; j'en ai rapporté un frag

ment.

Tout cela mérite l'attention, et je vous engage à venir ici aussitôt que vous le pourrez, nous y ferons un voyage.

Jules TIRARD.

Compte-rendu d'un article biographique de M. Samuel Frère, sur M. Charma, par M. le conseiller Renault.

MESSIEURS,

Vous m'avez chargé de vous présenter l'analyse d'une notice nécrologique sur M. Antoine Charma, par M. Samuel Frère, extraite de la Revue de la Normandie, et dont l'auteur vous a fait hommage.

« Les Normands s'en vont, dit M. Frère, et il ignore << si les Normands qui viennent nous en consoleront. << D'autres disent que non astronomes mélancoliques, << ils comptent sans cesse à l'Occident les astres qui « s'éteignent, sans jamais signaler à l'Orient les étoiles << qui s'illuminent. La Normandie ne quitte pas le << deuil. A Rouen, Bouilhet est mort non plus dans << son printemps, mais dans son plein été, alors que sa « muse, encore jeune, s'épanouissait aimable et char«mante. A Caen, le philosophe Charma quitte ses a amis, sa famille, sa chère Athènes normande, sa << fille bien-aimée, la Société des Antiquaires de Nor«<mandie. >>

La Normandie, Messieurs, fait sans doute, chaque année, des pertes fort regrettables; est-ce à dire qu'on doive désespérer de son avenir? Sur ce point vous ne partagerez pas les craintes que semble éprouver M. Frère. Nous comptons beaucoup d'étoiles qui brillent de tout leur éclat, et d'autres qui ne sont encore qu'à leur aurore. Espérons qu'il en sera toujours ainsi sous le beau ciel de notre chère Normandie.

M. Frère, après avoir suivi M. Charma, à sa sortie du lycée Bourbon où il avait fait de brillantes études, achevé sa première éducation littéraire et philosophique, nous le montre arrivant à Caen, pour y occuper, même avant d'être docteur, la chaire de philosophie à la Faculté des Lettres.

Sans vouloir se constituer ni l'avocat, ni l'accusateur de M. Charma, qui savait parfaitement se défendre avec tact, finesse, sûreté de main, M. Frère ne croit ni au matérialisme, ni à l'immoralité, ni à l'impiété dont au temps de certaines luttes scientifiques et littéraires on accusa M. Charma; « mais il croit aussi que « les savants, du haut des sphères de la spéculation «< où ils dissertent, pensent quelquefois un peu trop, « par amour de la science, au développement abstrait « de leur théorie, et ne se demandent pas assez quelles « conséquences pratiques et concrètes les masses sau«ront y trouver ou seront portées à y chercher. - A << ce point de vue, les doctrines de M. Charma ont pu « être, sans aucune intention de sa part, indirectement dangereuses pour la société de 1840. Il est vrai « qu'on peut faire dire à un mot bien des choses qu'il « ne dit pas, et que les opinions du professeur de «< philosophie de Caen ont été fréquemment travesties «ou exagérées. Mais ces excès mêmes devaient lui

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morale sur la religion, et écrivait son livre Du vrai, du beau, du bien, M. Charma donnait ses Réponses de philosophie, ses Études sur le sommeil, sur le langage, et surtout ses Vies de Lanfranc et de saint Anselme. C'est là, dit M. Frère, que l'on trouve le vrai Charma, le défenseur convaincu du spiritualisme et, ce qui plus est, du spiritualisme chrétien.

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Un des derniers écrits de M. Charma est une dissertation sur l'éternité ou la création e nihilo (lettres écrites par M. Charma à M. Henri Martin, doyen de la Faculté des Lettres de Rennes): J'aime, ajoute « M. Frère, à reposer ma pensée sur ce dernier travail « de sa vie : il la couronne si bien. Il nous laisse de «< cet aimable métaphysicien une impression si con« solante de foi, de science, de beauté d'âme! » A l'appui de son opinion, il cite le passage suivant de l'ouvrage Faire jaillir, dit M. Charma, la matière « du néant, e nihilo, et par suite, établir définitivement. « l'existence d'une force créatrice, d'un Dieu tout<< puissant, qui fait, quand il lui plaît, apparaître quelque chose là où il n'y avait rien, telle est ma << thèse. » Et plus loin : « Ce quelque chose d'éternel, << parfait en temps qu'éternel, est de toute nécesité « encore doué de toutes les perfections; il est parfai«tement intelligent, parfaitement puissant, parfaite«ment libre, il est l'ensemble de tout ce que notre « raison conçoit dans l'être suprême, dans l'être que

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