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une sépulture pratiquée dans la tourbe, à la naissance des marais de Saint-Gond.

Ces bracelets se rattachent incontestablement à l'art étrusque. Leur type se rapproche de celui de Halstatt, qu'ils reproduisent assez fidèlement. Deux de ces bracelets étaient aux bras et les deux autres ornaient les poignets. Le corps qu'ils accompagnaient était environné de grosses pierres brutes régulièrement disposées. L'examen attentif du sol où se trouvait la sépulture, a donné des fragments de vases gaulois d'un caractère qui les range parmi les objets constituant l'industrie gauloise à l'époque où ces bracelets furent fabriqués. Ces bracelets sont faits au repoussé. Les uns sont d'une seule pièce et les autres s'ouvrent comme par une sorte de ressort. Jusqu'à présent il n'a pas encore été trouvé d'objets qui leur fussent exactement semblables. Le musée de Saint-Germain en possède plusieurs qui rappellent forcément nos bracelets; il en est de même de ceux qui ont été retrouvés à Jarry (Marne). Ces derniers reproduisent le type de Halstatt d'une manière frappante, et quoique réduits à des proportions plus petites, ils ressemblent beaucoup aux bracelets d'Aulnizeux. C'est le même procédé qui a été employé à leur fabrication.

Dans le voisinage de la tombe qui a donné les bracelets que nous venons de mentionner, j'ai trouvé un collier en bronze qui se rattache au même art et très-évidemment à la même époque que les bracelets. Des têtes humaines sont représentées sur plusieurs points du collier. Les ornements qui le décorent offrent une ressemblance incontestable avec le bracelet en or de Durkheim, dont le moulage se trouve au musée de Saint-Germain. Une telle analogie dans l'ornementation autorise certainement à regarder le collier d'Aulnizeux comme un produit ou une

imitation de l'art étrusque. L'exécution en est moins soignée que dans le bracelet de Durkheim. Il ne serait donc pas hors de propos de le considérer comme un produit de l'industrie gauloise. L'artiste aurait emprunté à l'art étrusque ses inspirations, tout en conservant les caractères propres à l'industrie gauloise. Ainsi le collier est massif comme les mêmes objets, produits de l'art gaulois. Cette particularité ne se rencontre jamais dans les objets d'art purement étrusques. Il devient néanmoins évident que les têtes humaines qui ornent le collier d'Aulnizeux permettent de placer au même rang que le collier de Durkheim les bracelets trouvés dans les mêmes lieux et de les attribuer à la même industrie.

L'art étrusque en Champagne s'affirme aussi par l'onochoé découverte à Pouan (Aube). Cet objet d'art est parfaitement connu et constitue un fait dont la portée ne peut échapper à aucun observateur. Son origine n'a jamais été l'objet d'aucun doute. C'est en ces termes que le conservateur du musée de Troyes l'a naguère apprécié « La forme élégante de ce vase, son bec relevé, sa palmette, son anse dont les bras et la queue sont terminés par des têtes d'animaux fantastiques, tout me porte à lui assigner une origine étrusque. »

Cette œnochoé reproduit exactement la forme de l'œnochoé d'Eygenbilsen, généralement regardée comme appartenant à l'art étrusque. Le vase de Pouan a donc la même origine et peut être à bon droit considéré comme étrusque. La même comparaison avec beaucoup d'autres vases trouvés dans plusieurs autres localités serait facile à faire et aussi concluante.

Il y a quelques années à peine, M. Hanusse, infatigable chercheur, a découvert également une superbe œnochoć dans le cimetière gaulois de Somme-Bionne (Marne). Cet

objet d'art en bronze, orné de licornes, ressemble par sa forme aux œnochoés de Pouan et d'Eygenbilsen. Aussi est-il attribué à l'industrie étrusque. Les archéologues sont pour la plupart de cet avis. Cet objet intéressant fait maintenant partie de la collection de M. Morel, auquel M. Hanusse l'a cédé. Vous l'avez vu ce matin; le dessin se trouve, du reste, dans la salle.

Les objets en bronze ne sont pas les seuls représentants de l'art étrusque en Champagne. La céramique compte aussi de nombreux témoins, qui déposent également en sa faveur. La sépulture de Somme-Bionne, qui recélait l'œnochoé, a pareillement donné une coupe pourvue de deux anses, ornée de dessins, d'une incontestable analogie avec les vases provenant des cimetières de l'Italie où l'art grec a été particulièrement reconnu comme indigène, bien qu'il ait été rencontré dans d'autres pays. M. de Witte s'est occupé de cette coupe. Elle a été de sa part l'objet de remarques communiquées à la Société des Antiquaires de France: « La petite coupe à deux anses en terre peinte, dont M. Morel envoie un dessin, dit-il, est tout à fait semblable aux vases de terre peinte que l'on découvre en si grande quantité dans les nécropoles de la Toscane et de l'Italie méridionale. Cette coupe, à couverte noire et à dessins rouges, montre à l'intérieur un discobole qui court de droite à gauche, tenant à la main un palet ou disque qu'il se prépare à lancer. Les exercices de la palestre et du gymnase sont souvent représentés sur les vases peints, et au nombre de ces exercices figure le jeu du disque. J'ai décrit dans mon catalogue Durand, no 710, 711, 712, plusieurs vases qui montrent des discoboles. La coupe, que l'on prétend avoir été trouvée dans une sépulture gauloise, offre un dessin négligé; elle est d'une fabrique dont on rencontre les produits non-seulement

XLII SESSION.

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en Étrurie, dans la grande Grèce, en Sicile, mais encore dans l'Attique, dans les Cyclades et jusqu'en Crimée. Quant à l'âge que l'on peut assigner à cette coupe, il est évident, pour tout homme tant soit peu familiarisé avec les monuments de la céramique, que cette coupe ne peut pas remonter au delà du IIe siècle avant l'ère chrétienne, soit deux cents ans avant Jésus-Christ. Ce serait la première fois, autant que je sache, qu'on aurait rencontré, dans une sépulture gauloise, un objet qui évidemment appartient à l'art des Hellènes. On ne saurait être trop sur ses gardes lorsqu'il s'agit de fouilles et de découvertes. Plusieurs fois, on a signalé des objets qui, par fraude, avaient été introduits dans les tombeaux anciens. >>

Le caractère de la coupe conserve, aux yeux de M. de Witte, toute sa signification. Elle se rattache à l'art étrusque ou grec, M. de Witte n'en doute point. Quant à l'authenticité de la présence de la coupe dans le cimetière gaulois, elle est parfaitement établie. M. Hanusse aime l'antiquité, il l'a respecte; son caractère est donc une garantie. De plus, il n'avait aucun intérêt pour altérer les faits, et ses dépositions sont toujours concordantes et invariables. Enfin, la découverte de Somme-Bionne se présente dans des conditions qui ont déjà été observées dans d'autres contrées, c'est là une grande présomption en faveur de la pureté de la découverte de Somme-Bionne. On n'improvise pas, du reste, un vase étrusque, pour agrémenter la découverte d'un char gaulois, et il n'est pas à la portée d'un ouvrier, quelque intelligent qu'on le suppose, de réunir un ensemble d'objets constitués d'une manière conforme aux meilleures observations archéologiques.

Deux vases, trouvés dans une sépulture gauloise, à Bergère-sur-Vertus, rentrent également dans la catégorie

des objets qui nous occupent. L'un de ces vases porte comme ornement des chevrons en relief rouge, sur un fond brun foncé. Les décors sont évidemment empruntés à l'art étrusque qui employait fréquemment les chevrons dans ses ornementations. L'autre vase porte des grecques très-pures accompagnées d'un pointillage en relief, de même que les grecques dont il décrit tous les contours. Les dessins étaient en couleur rouge sur un fond brun trèsfoncé.

Il y a déjà longtemps, on a découvert à Chouilly un vase en terre brune, dont les ornements couleur de vermillon représentent des grecques et d'autres dessins composés de lignes qui s'entrecroisent. Ce vase est conservé à la bibliothèque d'Epernay, à laquelle il a été offert par M. Moët. D'autres vases trouvés dans la vallée de la Suippes présentent une ornementation imitée de l'art grec.

La collection si belle de vases provenant des cimetières gaulois de la Marne, que l'on admire à Saint-Germain, offre plusieurs spécimens ornés de grecques pratiquées en creux et de dessins très-souvent employés pour la décoration des vases recueillis dans les nécropoles de la HauteItalie. Ces produits céramiques appartiennent à l'art indigène, il faut le reconnaître, mais la forme, l'ornementation ont été empruntées à l'art grec.

Un fragment de vase en terre d'une pâte très-fine de couleur grise, orné de chevrons en relief de teinte noire, mélangés à d'autres dessins rappelant le caractère étrusque, a été aussi trouvé à Aulnay-aux-Planches, dans une sépulture gauloise, à incinération, que j'ai moi-même explorée.

La présence de l'industrie étrusque s'affirme donc de deux manières différentes: par les objets fabriqués dans

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