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L'article Consanguinité de M. Lacassagne, professeur agrégé du Val-deGrâce, est un exposé très-complet et très-impartial de l'état actuel de la question. Ce travail perd assurément beaucoup à être résumé, et nous n'entreprenons qu'avec scrupule cette entreprise délicate.

L'auteur commence par une longue étude historique de la question, en divisant l'histoire des peuples suivant la méthode d'Auguste Comte : période fétichiste; période polythéiste; période monothéiste, catégories qui rentrent en somme dans celle que M. Letourneau propose dans le travail que nous venons d'analyser, la période fétichiste d'Auguste Comte représentant à la fois la phase nutritive et la phase sensitive de M. Letourneau, tandis que les périodes polythéiste et monothéiste du maître de M. Lacassagne rentrent dans la phase appelée morale, par M. Letourneau.

Pendant la période fétichique, M. Lacassagne regarde, avec M. Fustel de Coulange, le culte des ancêtres comme l'élément essentiel de la vie civile. A ces époques..., l'existence domestique eut une plus grande importance que la vie publique. L'instinct sexuel... trouvait sa satisfaction dans la famille. Les unions incestueuses y étaient presque obligatoires, aussi se sontelles montrées partout. »>

Mais le développement de la guerre, les absences prolongées du soldat hors du toit conjugal devaient régler les instincts sexuels. Pendant la période polythéiste, on retrouve encore bien des croyances fétichiques qui subordonnent les mariages aux règles établies pour le culte des morts; tantôt ces croyances favorisent l'inceste (même entre frère et sœur), tantôt elles l'interdisent absolument. Mais ici, l'ouvrage perd trop à être analysé, nous préférons y renvoyer le lecteur.

L'auteur s'applique ensuite à comparer la consanguinité et l'hérédité qui, «< comme la plupart des problèmes médicaux difficiles à résoudre, a été beaucoup plus étudiée par les métaphysiciens que par les biologistes. >>

M. Lacassagne étudie les deux questions, d'abord en s'éclairant de la zootechnie, et notamment des travaux et des opinions de M. Sanson. Voici comment il résume ce chapitre :

« La vie végétative et la vie animale sont toujours nécessairement transmises; mais la vie cérébrale (c'est le propre de l'homme), étant continuellement sous l'influence de l'individu et de la société dans laquelle l'homme est placé, est celle qui est le plus sujette aux variations.... On peut ranger dans l'ordre suivant de décroissance, les éléments transmis par l'hérédité : 1o la vie végétative (nutrition et tissus); 2o la vie animale (structure, formes, vie médullaire et ganglionnaire, etc.); 3° les tissus à pigmentation (la couleur de la peau ou de la robe chez les animaux, tous les tissus épidermiques sont déjà difficilement transmissibles quand ils ne sont pas d'origine atavique, alors ils deviennent immuables); 4° les instincts; 5° l'activité (organe des sens, motilité); 6o l'intelligence. La réunion de ces trois dernières divisions constitue la vie cérébrale proprement dite. Elles se trouvent disposées dans le cerveau d'arrière en avant les lobes frontaux servant certainement à la vie spéculative, et la partie postérieure aux instincts et à la réaction viscérale. La transmission de ces qualités supérieures se fait donc d'arrière en avant. L'hérédité pathologique se présente dans un or

dre inverse, puisqu'elle se manifeste dans toute sa puissance sur les plus élevées dans la série hiérarchique des tissus.

« La consanguinité étant le redoublement de la même influence atavique et d'une disposition organique à peu près semblable chez les deux procréateurs, doit porter à sa plus haute puissance la faculté de transmission suivant l'ordre et d'après les lois que nous avons indiquées. »>

L'auteur passe ensuite en revue, avec une parfaite impartialité : d'abord les arguments et opinions des anticonsanguinistes, puis celles de leurs adversaires. Mais il est impossible de résumer une série de faits autrement qu'en relatant les conclusions de l'auteur. Nous le tenterons d'autant moins ici, que la plupart de ces faits sont empruntés aux Bulletins de la Société d'anthropologie, et sont connus de nos lecteurs. Notons pourtant la discussion relative à la seméiologie prétendue consanguine de la rétinite pigmentaire; M. Lacassagne ne l'admet qu'avec de grandes réserves.

Dans sa manière de comprendre l'influence de la consanguinité, l'auteur est dominé visiblement par le célèbre aphorisme de Broussais qui eut sur les opinions d'Auguste Comte une si décisive influence, et d'après lequel les états anormaux ne diffèrent de l'état normal que par le degré d'intensité sans jamais offrir d'état vraiment nouveau. En somme voici sa principale conclusion : « La génération ne crée pas, mais transmet un perfectionnement. La consanguinité rend à peu près certaine l'hérédité, puisque les deux procréateurs ont une influence atavique semblable et la même disposition organique. Il y a transmission des formes, des aptitudes normales ou morbides, c'est-à-dire d'un système nerveux dont l'influence trophique, morbide ou autre, reproduit d'une manière plus manifeste les qualités ou les défauts des procréateurs. Il arrivera ainsi nécessairement que, si les modifications que l'on cherche à perpétuer dans une race animale atteignent le système nerveux central dans ses parties essentielles, elles le frappent de déchéance, d'où diminution dans la faculté de reproduction et même stérilité....»

Et plus loin: « La plupart des accidents ou des infirmités consécutives à des mariages consanguins s'expliquent par les lois de l'hérédité morbide. Il est bien difficile de comprendre certains phénomènes par le fait seul de la consanguinité ipso facto; quelle que soit l'interprétation, il faut absolument admettre des modifications du système nerveux. Nous pouvons donc être certains que la proche parenté entre deux procréateurs doués d'un même système nerveux bien équilibré n'est pas nuisible par ellemême. Mais on le conçoit aussitôt, il est difficile, et peut-être même dans notre société actuelle, impossible de certifier l'identité et pour ainsi dire la convenance de l'accouplement ou de la fusion de deux systèmes ner

veux. »

Après avoir étudié le problème au point de vue biologique, M. Lacassagne l'envisage au point de vue social, et c'est sous cette rubrique qu'il cite la statistique des mariages consanguins. Ce n'est qu'en France et en Italie que leur nombre est relevé officiellement, et l'on peut craindre de très-nombreuses omissions. En Angleterre, M. George Darwin les a calculés par des méthodes très-originales que j'ai exposées dans la Nature et dans la Réforme économique (M. Lacassagne a eu la bonté de citer mon modeste travail). REVUE D'ANTHROPOLOGIE.-T. VI. 1877.

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M. G. Darwin concluait qu'en Angleterre la proportion des mariages entre cousins-germains est aux mariages en général, de 2 à 3 pour 400. Cette proportion varie avec les positions sociales à Londres, elle ne serait que de 1,5 pour 200; dans les districts ruraux, elle s'élève à 2,5, dans les classes aisées à 3,5, et dans l'aristocratie, elle atteindrait 4,5 pour 100.

M. Lacassagne conclut que la loi n'a pas à s'occuper des mariages entre cousins; l'hygiéniste seul peut rappeler aux parents les dangers de la consanguinité morbide lorsque danger il y a. Mais notre auteur se montre très-sévère pour les unions entre oncles et nièces, neveux et tantes, et même entre beaux-frères et belles-sœurs, qu'il regarde comme dangereuses pour la société.

Dans un dernier chapitre, il expose simplement la législation actuelle, et la procédure à suivre pour obtenir les dispenses permises par la loi.

Enfin, nous analyserons un travail d'un intérêt encore plus général, car il traite une question de méthodes dont les applications sont fréquentes en anthropologie; c'est l'article Moyenne par M. le docteur Bertillon.

L'auteur distingue deux espèces de moyenne, et il les appelle moyenne objective et moyenne subjective.

La première est la moyenne prise comme valeur approchée d'une grandeur réelle, mais inconnue. Telles sont celles dont se servent les astronomes lorsqu'ils ont à prendre quelque mesure délicate: ils mesurent dix fois, quinze fois le même angle, et prennent la moyenne des observations ainsi faites.

Les moyennes subjectives sont celles dont se sert notamment l'anthropologiste, et qui lui permettent de dire que tel homme est grand ou petit parce que sa taille est plus ou moins élevée que la moyenne. Cependant on remarquera que cette moyenne ne se rapporte pas, comme la précédente, à un objet extérieur contingent ayant sa grandeur propre, mais bien à une pure abstraction de notre esprit. La taille moyenne de dix hommes que le hasard a réunis ne sera probablement celle d'aucun d'eux (ou, si cela arrive, ce sera une rencontre toute fortuite) et elle ne cesse pas pour cela d'être la taille moyenne du groupe.

Parmi les moyennes subjectives, Cournot distinguait : 4° celles qui ont un intérêt en soi : prix du hlé, ration moyenne du soldat, etc.; 2o celles qui sont un simple besoin de la théorie, telles que la vie moyenne, la taille moyenne, etc. M. Bertillon rejette cette division comme artificielle, et préfère la distinction de Quételet entre les moyennes qui s'établissent sur des individus réunis artificiellement; parmi ces dernières, il faudrait ranger une évaluation moyenne de la taille des peuples de Scandinavie par exemple, dont une partie est indo-européenne et de grande taille, tandis que l'autre est laponne et très-petite.

Les moyennes du premier genre sont appelées par M. Bertillon moyennes typiques, et celles du second, moyennes indices, dénominations plus claires que celles de Quételet et de J. Herschel.

M. Bertillon distingue ensuite la grandeur moyenne de la grandeur probable, mieux appelée par Cournot grandeur médiane. Par exemple la taille

médiane d'une série de conscrits est une taille telle que la moitié des conscrits mesurés soient plus grands que cette taille médiane, et l'autre moitié plus petite. On voit que tandis que la moyenne ne tient compte que du poids des valeurs enregistrées, la médiane ne tient compte que de leur grandeur comparée et de leur nombre,

Si, ayant pris une centaine de fois une même mesure (par exemple, dans l'exemple choisi par Quételet, l'ascension droite de la polaire), on range les résultats obtenus suivant leur grandeur, on remarque l'inégalité extrême des groupes ainsi formés, les grandeurs voisines de la moyenne étant incomparablement plus nombreuses que les autres. Dans l'exemple choisi, la moitié environ des observations ne s'écartaient de la moyenne que d'une demi-seconde en plus ou en moins. Cet écart que forment autour de la moyenne la moitié des observations, s'appelle écart probable, ou, suivant Cournot, écart médian.

Cette régularité de la courbe de probabilité autour de la moyenne souffre une exception, c'est quand une cause constante (soit l'imperfection d'un instrument ou plus souvent une idée préconçue de l'observateur) vient favoriser soit les erreurs en plus, soit les erreurs en moins, Mais, dit Herschel, « l'adresse avec laquelle les mesures sont prises n'a aucune importance en ce qui concerne cette loi de distribution. Une conséquence importante suit de là, c'est que des mesures grossières, prises sans art, dès qu'elles sont accumulées en nombres très-grands, peuvent conduire à des résultats moyens précis. Les seules conditions sont l'animus mensurandi continuel, l'absence d'idées préconçues... » Ainsi, ajoute M, Bertillon, le préjugé est plus funeste à la découverte de la vérité que l'ignorance elle-même!

Passant ensuite à l'étude des moyennes subjectives, M. Bertillon montre, par des exemples (taille des conscrits français), que la même régularité s'observe dans l'arrangement des tailles d'une nation homogène, le plus grand nombre des faits observés venant se grouper autour de la moyenne, Ainsi la taille des conscrits français est de 1 640 millimètres avec un écart médian de 41 millimètres en plus ou en moins et un écart maximum de 280 millimètres,

Cependant, en construisant ainsi la courbe de probabilité des conscrits du Doubs, M. Bertillon a remarqué (Bull. de la Soc, d'anth., 1863, p. 238) que, presque chaque année, la taille moyenne n'y jouit pas de cette prérogative d'être aussi la plus fréquente des tailles. Il y a dans ce département un fort groupe d'hommes plus petits que la moyenne, et un autre groupe d'hommes au contraire plus grands que la moyenne, celle-ci n'appartenant qu'à un nombre d'hommes relativement plus faible. M. Bertillon en avait conclu que le Doubs était habité par deux races d'hommes, l'une à petite, l'autre à grande taille. M. le docteur Lagneau a confirmé cette opinion à l'aide de l'histoire. Les deux races en question sont les Celtes et les Bur gondes.

Voilà donc une méthode assurément nouvelle et originale de distinguer les origines ethniques. Nul doute qu'elle ne puisse être d'une application fréquente en anthropologie. M. Bertillon pense que l'emploi n'en est instrucque si les deux types sont notablement différents sous le rapport de la

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grandeur relevée, et s'ils entrent dans le mélange en proportions à peu près égales.

M. Bertillon passe ensuite à l'étude des moyennes indices, telles que la hauteur moyenne des maisons d'une rue dont la hauteur n'est réglée ni par l'édilité, ni par le prix des terrains, mais par le seul caprice des architectes. Il est clair que s'il y a plusieurs types de maisons très-distinctes, la hauteur moyenne pourra n'être celle d'aucune des maisons de la rue. Cependant, si nous avions cette hauteur pour les maisons de Paris au douzième siècle, ce renseignement serait précieux pour l'histoire de notre cité. Il y a beaucoup de moyennes indices en anthropologie et en démographie telle est notamment la vie moyenne, car l'âge de quarante ans est justement un de ceux auxquels on meurt le moins souvent on meurt avant ou on meurt plus tard, mais une bien faible proportion des hommes meurt à cet âge-là.

La similitude des courbes obtenues en sériant les mesures obtenues sur un objet contingent (moyenne objective) et en faisant la même opération pour rechercher une moyenne typique, a beaucoup préoccupé Quételet, qui a assimilé les deux moyennes, et a conçu ainsi sa célèbre théorie de l'homme moyen. Il semble, disait-il, que la cause créatrice de l'homme, ayant formé le modèle du type humain, en ait ensuite brisé le moule en artiste jaloux, laissant ensuite à des artistes inférieurs le soin des reproductions. Cette comparaison poétique, Quételet l'a prise pour une réalité, et il a essayé de retrouver, par l'étude des moyennes, ce type perdu de beauté et de vérité.

M. Bertillon combat par de nombreux arguments cette malheureuse entité qui a certainement égaré quelquefois l'esprit si judicieux et si distingué de Quételet. Que serait en effet un homme qui ne serait ni noir, ni bronzé, ni jaune, ni blond, ni brun, et qui serait un peu tout cela; qui mêlerait la distinction des formes et des sentiments de l'homme civilisé à la grossièreté du sauvage, etc.? Ce ne serait ni notre ancêtre (comme l'espérait Quételet) ni même notre type actuel; encore moins un modèle de beauté!

La recherche de l'homme moyen constitue donc une erreur lorsqu'on mêle ensemble les différentes races humaines.

Mais il y a plus! Même lorsqu'on ne considère que des hommes appartenant à un seul et même type, on doit se défier de ces sortes de synthèses; on doit se garder d'attribuer à un homme de hauteur moyenne un bras de longueur également moyenne, une peau de couleur moyenne, etc., et de regarder l'homme ainsi bâti comme le type de la race qu'on a considérée; car on n'aboutit ainsi qu'à des monstres.

Combiner plusieurs moyennes entre elles, est donc un travail stérile, au moins le plus souvent. On sait en effet qu'il est impossible de construire un triangle rectangle avec les mesures moyennes de plusieurs triangles rectangles qui ne sont pas semblables. Combien un travail analogue devient plus impossible encore pour des êtres vivants! Quételet, essayant de combiner ainsi les tailles moyennes et les poids moyens, est arrivé à des antinomies, et M. Bertillon lui-même, tentant de concilier de même diverses moyennes crâniennes, a dù abandonner cet essai. Même

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