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obligé de raser pour l'édification de la forteresse de Gisors.

L'église de Gisors, dédiée aux saints Protais et Gervais, est l'une des plus considérables de la cortrée après les grandes cathédrales normandes, et l'une des plus intéressantes par la variété de ses détails, variété qui résulte des diverses époques de sa construction, à laquelle ont concouru le XIIIe siècle pour la tour centrale et le chœur, le xve et le xvi pour les nefs, la façade et les tours.

Cette façade, œuvre prodigieuse de la Renaissance, est caractérisée par le désaccord qui existe entre la partie centrale et les tours qui la flanquent. Le portail s'ouvre sous une grande arcade en plein cintre, profondément ébrasée et ornée de caissons qui abritent un tympan où l'on voit figuré le songe de Jacob. Au-dessus, un étage orné de figures en ronde bosse, d'un goût plus mythologique que chrétien, et enfin, comme couronnement, un élégant portique à trois arcades, surmonté d'un fronton arrondi, qui cache fort malencontreusement une grande fenêtre à claire-voie et à rinceaux gothiques.

La tour carrée du nord, grave, sobre de décorations dans ses parties inférieures, conserve encore des souvenirs de l'art gothique. Ses étages supérieurs, au contraire, s'enrichissent de longues baies à plein cintre, de statues abritées sous des dais à pinacles ajourés, de médaillons à figures classiques, de balustrades à dessins rectangulaires et se prolongent par une tourelle octogone établie en retraite, terminée elle-même par un couronnement. d'un goût bàtard et disgracieux. La tour du sud, qui semble plus moderne que tout le reste, par une bizarrerie de plan inexplicable, porte de biais sur l'angle de la facade. Elle est restée inachevée et se composerait des trois ordres classiques superposés, dorique, ionique et sans doute corinthien, si ce dernier eût été terminé.

En plan, l'église présente un choeur avec collatéral, un transept, cinq nefs et des chapelles latérales. Quarantedeux piliers soutiennent les voûtes, à nervures chargées de sculptures et à longues clefs pendantes. Plusieurs de ces piliers se font remarquer par leurs formes élancées et leur décoration. Il faut surtout citer le premier, à droite. de la grande porte; il est octogone et couvert de blasons de différentes corporations de métiers et de sujets relatifs aux travaux de ces métiers, particulièrement celui des tanneurs. Au milieu de ces armoiries qui rappellent la part que prenaient à la construction et à l'embellissement de l'édifice les bourgeois et les corporations ouvrières, apparaît la cordelière de Claude de France. La date de construction de ce pilier se trouve dans cette inscription, répétée à l'entour de ses faces :

IE FUS ICY MIS L'AN 1526.

Ce pilier, à lui seul, fournirait le sujet d'une intéressante monographie que le Bulletin Monumental espère donner un jour à ses lecteurs.

Indiquons aussi, du même côté, un autre pilier à faces prismatiques, en spirale, ornées d'attributs de pèlerin ; et enfin un troisième sur lequel on voit des dauphins.

Dans la première chapelle, près de la tour du sud, s'élève un immense arbre de Jessé en pierre, avec des personnages de grandeur naturelle, l'un des plus curieux spécimens de cette représentation familière aux artistes du XVIe siècle. Sur le mur d'une autre chapelle voisine, les regards sont attirés par un cadavre couché, que l'on attribue, sans preuve, à Jean Goujon, comme on l'aurait probablement attribué, en Provence, à Pujet, et en Lan

guedoc à Bachelier. Cette sculpture, saisissante de réalisme, est accompagnée de ces deux vers :

Quisquis ades, tu morte cades, sta, respice, plora;
Sum quod eris, modicum cineris; pro me, precor, ora.

Le temps et l'espace nous manquent pour parler des verrières du XVIe siècle qui ornent quelques-unes des chapelles, et de celle qui, dans le chœur, représente Blanche de Castille. Mentionnons, cependant, le magnifique support d'orgues, à colonnes cannelées, à frise magistralement ornementée, installé au-dessus de la porte ⚫ occidentale.

Le portail par lequel nous sommes sortis et qui s'ouvre au fond du transept nord, avec ses vantaux et son pilier central portant dans une niche une statue de la Vierge à l'enfant, est une merveille de pierre et bois, où l'art gothique du temps de Louis XII s'allie aux plus fines et plus charmantes fantaisies de la Renaissance.

Une halte réconfortante dans la salle à manger de l'hôtel des Trois-Poissons, a servi d'opportune transition entre la visite de l'église et celle des restes de l'ancienne forteresse de Gisors.

On sait que ce château était l'une des plus redoutables défenses élevées, aux XIe et XIIe siècles, par les ducs de Normandie et les rois d'Angleterre, sur les limites du Vexin normand. Il fut bâti, ou du moins commencé, sous Guillaume le Roux, par Robert de Bellême, habile ingénieur militaire, et fut considérablement augmenté dans la suite sous Henri Ier et Henri II. M. de Caumont le cite comme un remarquable exemple du style de transition, mélange de roman et d'ogival, qui se produisit dans l'architecture militaire, en même temps que dans l'architec

ture religieuse. Le Bulletin monumental a déjà publié, sur le château de Gisors, une étude complète, due à la compétence bien connue de notre confrère, M. de Dion, que nous étions heureux d'avoir pour guide dans cette visite, à laquelle son récent travail sur les châteaux du Vexin, lu la veille à la séance de Rouen, ajoutait un nouvel intérêt.

Les restes imposants de la forteresse et leur état d'assez bonne conservation, donnent une idée de son ancienne importance. La tour du donjon, polygonale et munie de contre-forts sur ses angles, se dresse encore fièrement sur la plate-forme, entourée de murs, de la butte artificielle qui s'élève au milieu de la cour du château. C'est la tour de Saint-Thomas, ainsi nommée d'une petite chapelle de Saint-Thomas de Cantorbéry dont on voit encore les débris adossés à l'enceinte de la plate-forme. La cour elle-même, d'une superficie de quatre hectares, est enceinte d'un mur percé de quatre portes et flanqué de douze tours carrées. De plus, une énorme tour ronde s'élève à cheval sur ce mur, vers l'angle sud-est de l'enceinte, et domine à la fois la cour du château et une basse-cour située de ce côté, entre le château et la ville. On l'appelle la tour du Prisonnier. De vastes fossés et des boulevards enveloppaient tout ce formidable ensemble.

Mais, soumis à l'heure inflexible du départ qui s'approchait et qu'imposait notre programme, réglé sur le chemin de fer, comment visiter et étudier, avec tout le temps qu'ils réclamaient, tous ces intéressants détails? Il ne nous

donc fallu que leur donner un trop rapide coup d'œil, sauf à nous dédommager de l'insuffisance d'une exploration si superficielle par la lecture de l'étude de M. de Dion, insérée au Bulletin manumental, 1867, t. XXXIII, p. 335. Nous ne pouvons mieux faire que d'y renvoyer

les lecteurs, ainsi qu'à la notice concernant le château de Gisors, dans l'Abécédaire d'archéologie civile et militaire de M. de Caumont, p. 357.

Rappelons seulement avec M. de Dion, que l'on doit rapporter à la construction du XIe siècle, de Robert de Bellême, la tour du donjon, sauf modifications postérieures, ainsi que son rempart circulaire, et qu'il faut attribuer au XIIe siècle, au règne de Henri II, les tours de la grande enceinte, moins celle du sud-ouest, qui est plus ancienne, et moins la tour du Prisonnier, œuvre de l'ère ogivale, qui date de Philippe-Auguste.

On ne saurait trop féliciter la ville de Gisors des soius intelligents avec lesquels elle conserve et respecte ces vieux et nobles débris; elle a su les utiliser de la façon la plus heureuse pour l'agrément de ses promenades publiques établies dans les anciens fossés et dans la vaste cour du château. Elles sont dignes, assurément, des cités les plus somptueuses; car on trouverait difficilement ailleurs des ombrages plus grandioses et plus touffus, des aspects plus pittoresques, des pelouses plus fraiches et parsemées de fleurs plus splendides.

Une heure après avoir quitté toutes ces merveilles, sans toutefois avoir pu faire la connaissance du musée archéologique de Gisors, nous nous trouvions en présence de l'ancienne église abbatiale et de la sainte chapelle de SaintGermer, deux des plus importants et des plus beaux types de l'architecture religieuse du département de l'Oise. Mais, à vrai dire, ces deux monuments sont si bien reliés ensemble et s'harmonisent si bien dans l'admiration des visiteurs, qu'ils ne forment en quelque sorte qu'un seul édifice. La fondation de l'ancienne abbaye de Saint-Germer remonte au VIIe siècle; mais l'église qui subsiste encore aujourd'hui est une œuvre de transition du milieu du

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