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qu'on ne démolisse, dans la cathédrale, que les parties absolument irréparables, et que ces parties soient reconstruites dans les mêmes formes.

No 14.

PROTESTATION INSÉRÉE DANS LE Courrier de l'Eure ET NOTE DE LA Guzette de Normandie.

Le Courrier de l'Eure, dans son numéro du 8 mai 1873, poussait ce cri d'alarme : « Depuis le mois de janvier, des bruits fâcheux circulaient au sujet des travaux projetés à la cathédrale d'Évreux, mais ces bruits nous paraissaient trop invraisemblabes pour être reproduits. Il était d'ailleurs impossible de rien vérifier, les plans de l'architecte diocésain, récemment nommé, et qui réside, non à Évreux, mais à Paris, n'ayant été soumis à aucune publicité. Malgré leur extrême importance, les travaux des cathédrales ne sont précédés d'aucune enquête de commodo et sont décidés au ministère des cultes, par un comité de trois architectes, sans avis préalable, ni du conseil général du département, ni du conseil municipal, ni du chapitre de la cathédrale. L'ancien Comité des monuments historiques, établi auprès du ministère de l'instruction publique, et qui, formé de savants archéologues, a empêché les architectes de détruire beaucoup de monuments. précieux, ne subsiste malheureusement plus.

Mais l'adjudication des travaux approuvés par le ministre devant avoir lieu jeudi prochain, 8 mai, à la préfecture de l'Eure, le devis a été momentanément déposé au bureau des travaux publics, avec quelques dessins, et

il en résulte que les bruits mis en circulation n'ont malheureusement rien d'exagéré.

« L'ensemble de la série de travaux projetés dépasse un million de francs; cependant le ministre n'a autorisé, quant à présent, que les travaux compris dans le chapitre 1er du devis, et s'élevant à 538,200 fr., en y joignant les riches honoraires de l'architecte.

L'adjudication, qui aura lieu à la préfecture de l'Eure après-demain jeudi, 8 mai, comprend 295,838 fr. 14 c. de maçonnerie, et 30,416 fr. 52 c. de charpenterie.

« On adjugera ultérieurement les travaux de couverture et de plomberie évalués à plus de 24,000 fr., ceux de sculpture qui dépassent 36,000 fr., et ceux de vitrerie d'environ 60,000 fr.

« C'est-à-dire que la belle charpente de la grande nef de la cathédrale d'Évreux va être entièrement enlevée et remplacée par une charpente d'un modèle moderne, et que. la nef elle-même, dans toute sa longueur, doit être démolie travée par travée, jusqu'au niveau des chapelles. En sorte que la vieille cathédrale du moyen âge, tout imprégnée des souvenirs historiques des comtes d'Évreux, du chapitre et des évêques d'Évreux, fera place à une bâtisse absolu

ment neuve.

« Nous pouvons ajouter que malgré la juste réclamation de M. le Préfet de l'Eure, les contre-forts ne seront pas rebâtis sur le modèle actuel, mais qu'on leur substituera des arcs-boutants de forme nouvelle, décorés avec des sculptures différentes, et terminés, non par des pinacles gothiques comme ceux qui existent en ce moment, mais par des espèces de fleurons écourtés et extrêmement lourds.

« L'état de robuste solidité de la cathédrale d'Évreux, permettait assurément d'éviter la destruction de sa grande nef, et il était possible de dépenser moins d'argent et de

conserver un monument historique. Les fissures des voûtes de la nef, moins graves que celles du chœur, peuvent, ainsi que les contre-forts, être consolidées, et nous regrettons que l'habile architecte qui a su restaurer les églises des Andelys, de Vernon et de Mantes, sans les démolir, n'ait pas été chargé de conserver la cathédrale d'Évreux.

« Disons en terminant que le grand orgue, restauré à grands frais sous Mgr Olivier, sera également démoli, et que le devis déposé à la préfecture contient un article spécial pour cette dépense. »

Depuis que ces lignes ont été écrites, un an s'est écoulé, et la situation ne semble pas s'être améliorée, tout au contraire. La cathédrale d'Évreux est de plus en plus menacée, ainsi que nos lecteurs en jugeront par cet extrait d'une lettre de l'un de nos correspondants, parfaitement placé pour être bien renseigné :

« M. Viollet-le-Duc, inspecteur général des édifices diocésains, et chargé depuis 1853 des travaux de la cathédrale d'Évreux, n'a jamais prescrit depuis cette époque la moindre réparation à la nef, et a laissé spécialement sans entretien les arcs-boutants, qui, dans un édifice gothique, sont d'une si haute importance pour la conservation du monument.

« Aujourd'hui il prétend faire démolir le comble et les voûtes de la nef, ses grandes fenêtres avec les colonnettes engagées qui ornent leurs pieds-droits, les contre-forts, les arcs-boutants, et reconstruire le tout entièrement à neuf.

« Cette prétention exorbitante a suscité les réclamations. de diverses natures. Les entrepreneurs d'Évreux, chargés successivement depuis plus de quarante ans de l'entretien de la cathédrale, MM. Modeste le Roy et Guersent, affirment que la voûte et les contre-forts sont solides et n'ont jamais bougé depuis cette époque; ils affirment que le

mauvais état des arcs-boutants, dont plusieurs ont besoin d'être reconstruits, la chute des plåtras et les fissures sans importance dans les moellons de la voûte, viennent du défaut d'entretien. Jamais on ne leur a prescrit la moindre réparation, et il n'y a pas eu de fonds alloués pour cet objet.

« Les archéologues déplorent la démolition d'une voûte dont l'ossature (arcs-doubleaux et arcs ogives) apparaît à tous les yeux en bon état de conservation, d'une voûte qui est probablement la première et certainement une des premières voûtes ogivales qu'on ait construites en Normandie, et qui présente le plus haut intérêt pour l'histoire de l'art.

<< Ils trouvent ces contre-forts et ces doubles arcs-boutants d'un très-bon goût et bien plus élégants que le lourd contre-fort et l'arc-boutant unique qu'on veut leur substituer.

« C'est là, dira-t-on, affaire de sentiment. C'est vrai; mais ils refusent à un architecte le droit d'apporter des changements au-si notables à la conception première de l'édifice et d'imprimer quand même son cachet personnel à un monument qu'il est simplement chargé de con

server.

« La population de la ville, justement fière d'un édifice auquel la rattachent tant de souvenirs de famille et tous les grands faits de son histoire, a protesté énergiquement contre les mutilations dont il est menacé. Le maire, la majorité du conseil municipal, presque tous les notables de la ville et près de cinq cents habitants ont signé une pétition dont l'administration des cultes n'a voulu tenir aucun compte.

« Le Comité des travaux diocésains ayant, dès le principe, et avant toute visite, approuvé le projet de recon

struction des parties hautes de la nef, les habitants d'Évreux ont demandé qu'on leur envoyât un architecte indépendant du Comité pour écouter leurs réclamations et visiter le monument. M. Batbie l'avait promis, mais après la démission de ce ministre, M. Viollet-le-Duc fut assez habile pour obtenir l'envoi à Évreux du Comité même dont cet architecte est membre: c'était être juge et partie. Le Comité se compose en effet des trois inspecteurs généraux : 1o M. Labrouste, qui a pour spécialité les constructions civiles, et auquel son grand âge n'a pas permis de monter sur les échafaudages pour visiter les voûtes et les contre-forts; 2° M. Viollet-le-Duc, l'auteur du projet, qui réglait et dirigeait l'enquête dans sa propre cause; 3o M. Abbadie, entré au Comité sous l'influence de M. Viollet-le-Duc, et par conséquent dominé par lui. Le Comité tout entier était d'ailleurs engagé dans la question par son premier avis, et il pouvait difficilement se déjuger, aussi a-t-il approuvé de nouveau les projets qui lui étaient soumis.

« Les habitants ont alors demandé eux-mêmes le contrôle d'un homme de l'art, étranger au débat, M. Sabine. Son travail, qui met à nu les contradictions et le parti pris de nos adversaires, a été soumis au conseil de la Société nationale des architectes, qui en a voté l'impression dans sa séance du 10 juin dernier, et lui a donné une approbation motivée dans la séance du 17 juin.

« L'affaire en est là. Les habitants d'Évreux continuent à demander que justice soit faite des prétentions qu'on leur oppose; mais ils ne sont pas sans crainte sur l'avenir, et ils tremblent pour leur chère cathédrale, menacée d'une destruction à peu près complète dans ses parties les plus intéressantes, qu'il serait pourtant facile de conserver. >>

Au dernier instant, nous apprenons que M. Ballu, ar

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