Page images
PDF
EPUB

N° 8.

EXAMEN CRITIQUE DU PROJET DE RECONSTRUCTION

DE LA CATHÉDRALE D'ÉVREUX.

(Extrait de l'Architecte, 10 juin 1874.)

Un conflit sérieux existe depuis deux années entre la population d'Évreux et l'administration des cultes, représentée par MM. les architectes diocésains.

L'objet de ce conflit est la restauration de la cathédrale d'Évreux, restauration reconnue nécessaire par les deux parties en cause, mais qui deviendrait, selon les projets des architectes diocésains, une véritable reconstruction, urgente, indispensable d'après eux; mal étudiée et dénaturant le caractère de l'édifice, selon les habitants d'Évreux, fiers de leur monument et passionnés pour sa conservation.

Le projet est divisé en trois sections, qui seraient successivement exécutées :

1o La nef et le comble;

2o Le chœur;

3o Les tours, le porche, etc.

C'est donc une restauration générale, et tous les avis. sont réunis pour reconnaître l'utilité de ces travaux, en tant que restauration simple, attendu que la cathédrale d'Évreux, depuis trente ans au moins, n'a reçu aucune réparation d'entretien. Mais les habitants d'Évreux demandent avec insistance que les travaux soient limités rigoureusement à la réparation des injures du temps; en

un mot, ils désirent que la restauration de leur église soit une restitution, rien de plus, rien de moins.

Cette restitution est-elle possible?

L'édifice a-t-il subi des détériorations telles qu'il doive ètre reconstruit en grande partie ?

N'a-t-on pas exagéré les accidents, ou, pour mieux dire, le seul accident qui a donné naissance à ce conflit, la chute de quelques plâtras et d'un moellon dans la nef, durant la célébration de l'office divin?

Telles sont les questions à examiner.

Un mot d'abord au sujet des personnes engagées dans le débat :

D'un côté, MM. les architectes diocésains, et, parini eux, M. Viollet-le-Duc, auteur du rapport approbatif du projet ;

De l'autre côté, la population presque entière de la ville d'Évreux, représentée par des hommes qui ont acquis une notoriété honorable en fait d'archéologie, notamment les archivistes du département: MM. l'abbé Lebeurier et Dolbet, élèves de l'école des Chartes, et M. Raymond Bordeaux, archéologue connu par plusieurs publications importantes. M. l'abbé Lebeurier étudie depuis vingt ans la cathédrale d'Évreux ; il en a écrit une notice et établi, au moyen de documents locaux, les dates de construction des diverses parties de l'édifice. M. Bordeaux prépare, de son côté, une monographie de la cathédrale; il a dessiné ou calqué les vitraux, et même relevé en grand des parties intéressantes.

Nous voyons donc, en face des architectes les plus éminents, des archéologues très-distingués, ayant voué un culte au monument le plus important de leur cité, et peut-être mieux armés pour la défensive que leurs adversaires pour l'attaque, car ils ont fait de leur cathédrale le

XLII SESSION.

30

but constant de leurs études, et ils la défendent à bon escient. Voici pourtant comme on les traite :

« Le Comité ne sera pas trop surpris si des observations ont été faites sur ce projet par des personnes étrangères à l'art de la construction, et qui ne voient, dans la restauration de nos édifices, qu'une reproduction, sans examen ni critique, des anciennes formes, si vicieuses qu'elles soient...» (Rapport de M. Viollet-le-Duc sur le projet.)

Ainsi, l'éminent rapporteur, écartant de sa route les archéologues d'Évreux, sans daigner même exposer ou réfuter leurs objections, leur oppose une fin de non-recevoir, pour cause d'incompétence, et propose l'adoption du projet dans un rapport où nous lisons encore le passage qui suit :

« Certes, il est fort périlleux, lorsqu'on restaure un vieux monument, d'entrer dans la voie des modifications, sous prétexte d'amélioration; MAIS LORSQU'IL S'AGIT D'UNE RECONSTRUCTION, il serait puéril de reproduire une disposition éminemment vicieuse et pouvant conduire à des déceptions. »

Donc il s'agit bien de reconstruire, et sur ce point déjà les habitants d'Évreux ont raison. Ils ont encore raison sur le suivant :

« Qu'il me suffise, pour montrer le peu d'attention que M. Viollet-le-Duc a donné à notre cathédrale, de relever deux de ses assertions. Il écrit que la partie haute de la nef a été construite à la fin du XIIIe siècle, et les chapelles au xve. Or, les documents que nous possalons et l'examen des constructions prouvent, de la manière la plus évidente, que les parties hautes de la nef ont été bâties dans les premières années du XIIIe siècle, et les chapelles au Xive. On a seulement refait au XVe siècle ou au commencement du xvi les meneaux des fenêtres des chapelles et leurs

ornements extérieurs. » (Rapport de M. l'abbé Lebeurier. à M. le préfet de l'Eure.)

Après des incidents divers, MM. les inspecteurs diocésains s'étant rendus à Évreux et ayant approuvé le projet, les travaux furent mis en adjudication le 9 avril dernier, et bien qu'il ne se soit pas présenté d'adjudicataire, on assure que ces travaux vont commencer quand même.

Tel était l'état de la question lorsque nous fûmes appelé à donner un avis motivé, non pas sur le mérite des projets au point de vue artistique ou archéologique, mais sur les causes de l'accident, origine du débat, sur le péril où se trouverait l'édifice, et, par conséquent, sur l'urgence et la nécessité des reconstructions projetées.

Nous répondrons à ces questions en examinant successivement les diverses parties de la cathédrale d'Évreux comprises dans la section du projet dont l'exécution est décidée.

[blocks in formation]

Les voûtes sont en petits moellons enduits à l'intrados, recouverts d'une chape en mortier sur l'extrados. Elles sont en bon état et ne présentent que de légères fissures sans importance. Mais elles n'ont pas d'arcs-formerets et sont généralement décollées au droit des murs, laissant un espace libre de quelques centimètres de largeur. C'est au droit d'un mur que s'est détaché, il y a trois ans, le moellon, cause Fremière de la panique et aussi de la querelle qui continue encore aujourd'hui. Depuis cette époque, bien qu'on n'ait pas réparé ni consolidé la voûte défectueuse, il ne s'est produit aucune nouvelle chute ni de moellon, ni de mortier. Les arcs ogives et les arcs doubleaux étant en bon état, ni déformés ni crevassés, nous sommes

obligé de conclure en affirmant que les voûtes de la nef, en général, sont bonnes, et qu'il n'existe aucune raison de les démolir entièrement. La chute d'un moellon est un accident que les réparations d'entretien eussent empêché si l'entretien de la cathédrale d'Évreux n'était pas un

vain mot.

20 Les murs de la nef.

Les murs de la nef ont éprouvé de chaque côté un écartement qui se traduit par un surplomb de onze centimètres. Cet écartement est plus sensible vers le milieu de la nef qu'aux extrémités, qui sont naturellement mieux contrebutées. Ces murs ne devant pas être démolis d'après le projet, il n'y a pas, sur ce point, discussion ouverte. Mais nous n'avons pas compris la nécessité de reconstruire les fenêtres percées dans ces murs, ce qui peut entrainer la destruction des vitraux qu'elles contiennent. La reconstruction des pieds-droits de ces fenêtres indiquée aux plans et devis, ne nous parait aucunement motivée et ne pourrait que déconsolider les trumeaux. Or, bien que les murs aient 140 d'épaisseur et qu'ils soient raidis par les contre-forts, le projet proposant la reconstruction totale des voùtes, tout en conservant ces murs qu'il affame, en refaisant les pieds-droits, il nous semble qu'il faut craindre la poussée de ces nouvelles voûtes sur ces murs, très-bons, mais surplombants, et attaqués ainsi de deux côtés à la fois.

[blocks in formation]

La nef est pourvue de deux arcs-boutants superposés, ce qui n'est pas une exception: « l'un à peu près au

« PreviousContinue »