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imperceptible. L'ensemble est grave et correct, mais manque de chaleur.

Il était écrit que Paris serait funeste à Thibaudeau. A la fin de l'année 1804, en sortant d'une séance du Corps législatif, il fit un faux pas, tomba et se blessa grièvement. Ses jours furent préservés ; mais il dut renoncer à ses fonctions. Le 20 février 1813, âgé de 76 ans, il termina à Poitiers une carrière qui, dans des fortunes diverses, au milieu des orages politiques les plus violents, avait été constamment ennoblie par le travail, l'intégrité et l'amour de son pays.

UN MOT

SUR LES

MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE METZ

(1870-1871)

Par M. A. JOLY

Membre de l'Académie de Caen, doyen de la Faculté des Lettres

MESSIEURS,

Dans votre dernière réunion, lorsqu'on nous énumérait les envois fraternels des Sociétés savantes qui échangent leurs Mémoires avec les vôtres, un de nos confrères exprimait le regret de ne pas entendre analyser tant de substantiels et curieux travaux. On lui répondait, avec toute raison, que, malgré le sérieux intérêt que présenteraient de pareilles études, la place dans vos Mémoires, comme l'attention dans vos séances, appartient tout d'abord et de plein droit aux seuls travaux originaux. Je commence par déclarer que je suis absolument de cet avis; il est pourtant un volume pour lequel je voudrais vous voir faire une exception, une seule, d'autant plus significative par cela même qu'elle serait seule. Je voudrais qu'on pût, sinon l'analyser, du moins lui donner une bienvenue toute spéciale.C'est le volume des Mémoires de l'Académie de Metz, pour l'année 1870-1871. Son

aspect seul produit une impression douloureuse. En le voyant à côté de ses aînés, lui, si humble et si chétif, contenant une centaine de pages à peine, au lieu des cinq ou six cents pages d'autrefois, comment ne pas voir là comme une saisissante image de la ville même qui nous l'envoie, de ce qu'elle est aujourd'hui à côté de ce qu'elle a été? A la veille de cette guerre maudite, quand elle était heureuse, joyeuse et fière, une des plus justement fières entre les cités françaises, fière de ses remparts où n'avait jamais pénétré l'ennemi, fière de ses arsenaux, de ses écoles, toute pleine de bruits de guerre en pleine paix, elle comptait près de 50,000 habitants, elle en a aujourd'hui 12,000 à peine, laissant les rues désertes, s'enfermant dans leurs maisons, protestant par leur silence et leur retraite contre la présence odieuse de l'étranger.

Mais ce volume, tout mince qu'il est, et par son humilité même, me paraît précieux entre tous. Les travaux académiques accomplis dans ces conditions ont une valeur, un mérite et une portée tout à fait à part, et qu'on ne soupçonnerait pas tout d'abord. Ceux qui ont aidé à le composer, tous ceux dont les noms figurent dans ce volume, ne sont pas seulement des amis dévoués des sciences et des lettres : ce sont des soldats, tenant encore bravement l'étendard de la France au milieu du pays envahi. On a tout pris à cette pauvre et vaillante ville. On lui a pris son drapeau, sa patrie, on veut en ce moment même lui prendre sa foi. On sait comment la Prusse luthérienne, avec son pédantisme scolastique, avec son esprit étroitement et bassement rancuneux, ramenant

le monde aux plus mauvais jours du passé, renouvelle en plein XIXe siècle les persécutions religieuses du XVIo, et venge aujourd'hui sur les catholiques allemands ses ressentiments religieux d'il y a trois cents ans, comme elle vengeait sur nous en politique, c'est elle qui nous l'a dit, les rancunes du Palatinat dévasté par Louvois, ou la mort de Conradin.

On veut ôter aussi à Metz sa langue, le signe visible de la nationalité. On voudrait que Metz, la ville française, ne parlât plus que tudesque. L'Académie de Metz est la dernière citadelle de notre langue; on continuera à y parler le français, à s'y entretenir de choses françaises : l'âme et le cœur de la France, grâce à elle, seront toujours là vivants et palpitants; c'est elle qui couvera le germe de l'avenir. Tant qu'il y aura une Académie de Metz, Metz sera toujours pour le monde une ville française. Dût-elle même, comme elle en est menacée, être forcée de se transporter hors du territoire aujourd'hui allemand, qu'elle reste Académie de Metz. C'est une protestation vivante, une affirmation vivante de la nationalité de la ville.

Honneur donc à tous ces Messins, qui, portant le deuil de la patrie et la mort dans l'âme, y ont cependant trouvé assez de résolution et assez de force pour continuer le labeur des jours heureux! honneur à tous ceux qui cultivent encore là-bas les lettres et les sciences françaises! honneur aussi à ceux qu'elle a perdus et dont la mort a pris, dans les circonstances qui l'ont accompagnée, un caractère tel que la France entière doit s'associer aux regrets qu'ils ont laissés! En effet, par le fait de la guerre, les

joies comme les tristesses de l'Académie n'ont pas un caractère ordinaire. Son nécrologe n'offre pas l'aspect banal qu'ont trop souvent les regrets académiques. Celui-ci, au contraire, présente une doulou reuse originalité; c'est comme un supplément aux bulletins de l'armée. Presque tous les membres que l'Académie a perdus ont été tués par le même coup qui a blessé à mort la gloire et le juste orgueil de la France. Son jeune vice-président, M. Chevrier, a péri au champ d'honneur, dans son laboratoire converti en champ de bataille, tué par une explosion en cherchant, pour le salut de sa patrie, un nouvel engin de guerre, que les Prussiens, hélas ! auraient ramassé comme les autres, en magasin, sans péril comme sans gloire. M. le docteur Maréchal, maire de Metz depuis dix-sept ans, M. le docteur Scoutetten, M. André, mouraient des fatigues et des chagrins du siége.

Quel douloureux intérêt aussi ne prennent pas ces séparations de collègues encore pleins de vie, ces départs de quelques-uns des membres de la Société, qui se produisent partout, mais qui ici frappent par leur nombre énorme! Ailleurs ils sont le fait seulement de quelque nécessité de carrière ; ici c'est la main brutale de l'étranger qui a violemment rompu ces liens. Ils ont dû quitter leur pays pour retrouver leur patrie. Aussi comme les adieux sont déchirants! Quel caractère saisissant prend en de telles circonstances une simple altération du règlement, quand, pour garder la plupart de ses membres titulaires, qui doivent être, disaient les statuts, domiciliés à Metz ou dans les environs, la

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