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Les vitraux du XIII. siècle sont toujours composés de pièces de petite dimension, parce qu'alors l'art était privé de plusieurs ressources importantes dont il se servit plus tard, telles que les moyens d'étendre le verre en grandes feuilles et celui de diriger à propos les coups de feu, plus ou moins violents, par l'action desquels les substances colorantes pénétraient ou teignaient superficiellement les pièces découpées qui entraient dans la composition de la verrière.

Souvent les pièces se brisaient au feu; or, moins elles étaient grandes, moins on avait ce danger à redouter, et, si la fracture arrivait, il était plus facile et moins coûteux de les réparer.

La difficulté que, faute d'employer le diamant, on éprouvait alors pour tailler le verre, et qui occasionnait aussi des fractures, était encore une des causes de l'emploi des pièces de petite dimension : cet emploi, il faut le dire, donne aux grandes verrières du XIII*. siècle une solidité considérable, et nous lui devons la conservation des vitres nombreuses qui nous restent de cette époque. Ces vitraux ont une telle solidité qu'ils peuvent résister à des chocs violents : j'ai vu des enfants s'exercer longtemps à jeter sur eux des pierres sans parvenir à les crever.

La mise en plomb des panneaux terminée, il fallait placer ces différents morceaux dans les fenêtres qu'ils étaient destinés à fermer, et les assujettir solidement avec des barres de fer scellées dans la pierre : ces barres de fer s'appellent armatures; elles entraient quelquefois dans le système du dessin en suivant le contour des médaillons ou encadrements renfermant des personnages.

Quelle est en France la distribution géographique du style ogival primitif?

On trouve en France un très-grand nombre d'églises appartenant au style ogival primitif, mais elles ne sont pas également réparties dans toutes les provinces.

Les observations que j'ai faites, celles que plusieurs observateurs ont entreprises de leur côté, ont démontré depuis long-temps déjà que le style ogival du XIII. siècle, tel que je viens de le décrire, devient de plus en plus rare à mesure qu'on s'avance du Nord vers le Midi, contrée dans laquelle il a eu beaucoup de peine à s'acclimater. Des observations, faites il y a quinze ans, m'avaient porté à circonscrire la région où l'architecture ogivale a pris son plus grand développement par une ligne idéale embrassant la Normandie, le Maine, l'Orléanais, la Touraine, le pays Chartrain, l'Ile de France, la Champagne et le nord de la France. Cette

circonscription n'était pas d'une exactitude rigoureuse : elle devra recevoir des modifications, mais nous pouvons provisoirement l'admettre pour ramener nos divisions géographiques aux termes les plus simples.

Ainsi, dans cette région, le style ogival s'est développé dès le commencement du XIII. siècle avec les caractères que j'ai indiqués. Nous le voyons timide encore, mais cependant avec ses formes et ses combinaisons bien arrêtées dans la nef de Fécamp, bâtie à la fin du XII. et au commencement du XIII. siècle, par l'abbé Radulf, mort en 1220. Le beau chœur de la cathédrale de Bayeux, plus avancé que la nef de Fécamp, s'élevait aussi dans la première moitié du XIII.; vers le même temps nous voyons surgir nos plus belles cathédrales gothiques, telles que celle de Chartres qui, commencée dans le XII. siècle, fut achevée et dédiée en 1260, par Pierre de Maincy, soixante-seizième évêque ; celle de Reims commencée peu de temps après 1210, par le célèbre architecte Robert de Coucy; la cathédrale d'Amiens commencée en 1221; enfin les cathédrales de Paris, d'Auxerre, de Tours, du Mans, de Séez, de Rouen, de Lisieux et tant d'autres églises qui appartiennent, au moins en partie, au XIII. siècle, et aux dernières années du XIIa. Sous saint Louis, cette architecture atteignit son apogée par l'emploi des larges fenêtres, des sculptures les plus fines et les plus pures, des formes les plus harmonieuses; la chapelle que ce prince ajouta à son palais, en 1245 (la St.-Chapelle de Paris), fait époque dans les annales de l'architecture française. De ce moment, le principe d'élévation et de légèreté fit des progrès rapides et le style ogival revêtit les formes les plus gracieuses.

Ainsi, sans chercher d'autres exemples, la Sainte-Chapelle de Paris que tout le monde connaît, nous montre l'état de l'art à la fin de la première moitié du XIIIe siècle dans les provinces situées au Nord de la Loire. L'architecture ogivale était moins avancée dans les autres régions que nous avons citées en parlant de l'architecture romane.

Si nous prenons d'abord l'Alsace et les provinces rhénanes, cette région du roman-germanique, nous pourrons affirmer qu'une grande partie des édifices de ce pays, dans lesquels le style ogival se montre à peine, où le style roman prédomine, appartiennent au XIIIa. siècle. Le roman de transition régnait encore sur les bords du Rhin, lorsque, sur quelques points de la France, le style ogival était déjà brillant d'élégance et de légèreté.

Ainsi, il résulte des observations faites par les antiquaires allemands et de celles que j'ai pu faire moi-même, qu'au XIII. siècle, on n'employait point, au moins généralement, le style gracieux et léger que

nous trouvons dans nos cathédrales d'Amiens, de Reims, de Chartres et de Paris, style qui régnait aussi en Angleterre, où il a reçu la dénomination d'ancien anglais ( early englisch).

Il faut dire toutefois que certains édifices exceptionnels nous montrent le style ogival à peu près aussi avancé que chez nous, Telles sont l'église Notre-Dame de Trèves, élevée vers 1227, et diverses parties de la cathédrale de Cologne, commencée en 1248. Mais ces basiliques, dont le style est si différent de celui qu'on a employé pour la plupart des édifices contemporains, ont très-vraisemblablement été construites par des compagnies d'ouvriers étrangers et élevées sous la direction d'artistes ou d'architectes qui appartenaient à l'école française. Ce fait, que j'avais annoncé en 1837, a été depuis prouvé d'une manière tout-à-fait satisfaisante par le savant baron de Roisin, de Trèves.

Le retard dans l'adoption du style ogival, au XIII. siècle, et la persistance de l'architecture romane, parallèlement au style ogival primitif, sont remarquables aussi en Lorraine et dans le pays Messin.

La formation complète du genre gothique a été également plus tardive dans les provinces du centre que chez nous, et si l'on s'avance plus au Sud, dans le Lyonnais et le Dauphiné, les monuments de ce style deviennent de plus en plus rares. Il est vrai que certaines églises du premier ordre font exception, mais leur rareté confirme la supposition que je faisais tout-à-l'heure pour expliquer le style avancé de la cathédrale de Cologne; ils sont l'œuvre de corporations formant une école à part et composée d'hommes étrangers au pays.

Dans le midi de la France, l'architecture de transition, cette époque de fusion entre le style roman qui finit et le style ogival qui commence, ne se manifeste qu'au XIII. siècle, comme en Allemagne. Alors seulement l'ogive, tout en gardant une certaine lourdeur, un caractère et des détails romans, commence à prédominer et à revêtir des formes qui lui sont propres. Les édifices qui appartiennent incontestablement au XIII. siècle offrent un mélange continuel de cintres et de tiers-points, d'ornements byzantins et ogivaux, de formes pesantes et élancées. S'il y a quelques exceptions, parmi les monuments du XIII. siècle du midi de la France, elles sont dues à des causes étrangères au pays.

Si de la Provence nous nous transportons dans les autres provinces du Sud, et que même nous remontions vers l'Aquitaine du Nord, nous remarquerons que, pendant que chez nous la forme ogivale était déjà en usage, elle n'était pas comprise par les artistes qui commençaient à l'employer.

« L'ogive dans leurs édifices produit l'effet d'un élément étranger et bizarre ; elle ne se marie pas avec les autres parties des constructions; « elle y vient en corps, pour ainsi dire, et non en esprit; l'arc pleincintre est devenu aigu sans que ses proportions aient été changées, « il n'est ni plus étroit, ni plus élevé, et la pointe qui le termine est « souvent si peu prononcée qu'il faut un œil attentif pour l'apercevoir. « Du reste, l'architecture est restée la même. Les colonnes sont courtes et rares, les chapiteaux carrés, historiés, à feuilles grasses ou à en« roulements; les ornements, imités de l'antique ou barbares; les fa<çades sont toujours percées de larges portes cintrées ou d'une ogive à « peine sentie, surmontées d'un fronton à peine plus exhaussé que les « frontons antiques; les tours sont rares et massives (1). »

M. Parcker, d'Oxford, est persuadé que l'architecture romane persiste et résiste à l'art ogival suivant certaines directions correspondant aux principales lignes de communication avec l'Italie fréquentées au moyen-âge, tandis que l'architecture ogivale s'avance en sens contraire entre ces lignes formant elle-même des courants au milieu des régions romanes vers le Midi. Cette théorie ingénieuse sera prochainement développée dans le Bulletin monumental.

Ce coup-d'œil, beaucoup trop rapide sans doute, suffit cependant pour limiter approximativement la région dans laquelle naquit, en France, et se développa le style ogival primitif, et déjà il conduit, comme on le voit, à préciser dans quelles contrées était le siége principal de l'école architectonique à laquelle nous devons les basiliques ogivales élevées au XIII. siècle.

S'il m'était permis d'analyser l'architecture à plein-cintre qui régnait au XII. siècle, dans les contrées où le style ogival paraît s'être d'abord développé, nous verrions que des combinaisons habituelles dans ce pays, et fort rares ou complètement inconnues dans les autres, préparaient insensiblement aux innovations que devait consacrer irrévocablement l'architecture ogivale. Ainsi, dès la fin du XI®. siècle, nous trouvons en Normandie et ailleurs, et aussi en Angleterre, des colonnes de différents modules disposées en faisceau sur les piliers, tandis que les régions d'outre-Loire ne nous offrent habituellement que les colonnes cantonnées en croix sur les quatre faces du pilier; nous voyons au Nord de la Loire ces colonnes s'élancer en faisceau jusqu'à la naissance des voûtes, caractère frappant du style gothique.

(1) V. M. Renouvier, Sur le style ogival dans le midi de la France.

Si nous comparons les fenêtres aiguës du XIII. siècle avec les fenêtres semi-circulaires du XIo. et du XII., nous pourrons remarquer que les lancettes géminées nous représentent absolument, sauf la forme aiguë des arcades, les cintres géminés, si souvent employés dans l'architecture romane; les fenêtres disposées trois à trois, telles qu'on en voit à la fin du XII. siècle et au XIII., nous rappellent aussi les cintres disposés de même dans le siècle précédent.

La distribution des arcades et des portes est, à peu de chose près, la même dans le XIII. que dans les siècles précédents.

Quant aux ornements, on peut dire que les trèfles, les quatre-feuilles et quelques autres habituellement employés dans le XIII®. s'étaient montrés dans le XII.

Nous pourrions pousser beaucoup plus loin notre examen comparatif, si ce court aperçu ne suffisait pour prouver que beaucoup d'éléments du nouveau style étaient compris dans l'architecture romane de la dernière époque; au reste, il n'est pas moins extraordinaire que presque partout et presque en même temps on ait abandonné, dans la région du Nord, le cintre pour l'ogive, l'ancien système pour le nouveau.

L'usage des toits élevés présentant une inclinaison favorable à l'écoulement des eaux pluviales, prévalut de bonne heure dans le Nord, et c'est une des causes qui durent puissamment influer sur l'adoption de l'arcade en pointe.

Je vais mentionner quelques églises appartenant au style ogival primitif; les unes de la première moitié du XIII. siècle, les autres de la seconde moitié. Suivant le temps auquel elles appartiennent et le talent plus ou moins avancé des architectes, les unes offrent dans leurs arcades, leurs colonnes, leurs moulures, un air robuste qui les rattache à l'architecture du XIIa. siècle, et à l'époque de transition; les autres, au contraire, montrent le style ogival à l'état parfait, léger, svelte, élégant et bien proportionné dans toutes ses parties.

Eglise d'Epinal.

Montierender (Haute-Marne).

etc.

Très-curieuse, probablement de la première moitié du
XIII. Triforium trilobé. Colonnes annelées, etc., etc.,
Le chour fort élevé, dans lequel on remarque des tri-
bunes et un triforium superposés. Les bas-côtés qui
F'entourent. La chapelle de la Vierge, etc., etc.

Joinville (Haute- En partie.
Marne).

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