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Quelle origine peut-on attribuer aux vitraux de couleur ?

Il est parfaitement certain que le verre a été employé à beaucoup d'usages chez les Romains, et de bonne heure chez nous on s'en servit pour vitrer les fenêtres des églises. Le verre de couleur put trèsbien y être disposé de manière à former des mosaïques, mais il règne beaucoup d'obscurité sur ce que pouvaient être, jusqu'au XII«. siècle, les vitres peintes.

Effectivement on ne connait pas, aujourd'hui, une seule vitre de couleur qui puisse, avec certitude, être rapportée au-delà du XIIe. siècle, et c'est réellement à cette époque que commence pour nous l'histoire de la peinture sur verre. Il est assez remarquable que le développement de ce genre de peinture coïncide avec le temps des croisades, et l'on en a conclu que les peintures, les mosaïques et peutêtre les vitraux de l'Orient, où il y avait toujours eu des artistes, avaient dû inspirer les créateurs ou les rénovateurs de la peinture sur verre en Occident; mais il ne faut pas exagérer les conséquences de cette supposition. Sans nier l'influence de l'Orient, M. Emile Thibault croit que l'art de la peinture sur verre tout français n'a emprunté de l'Orient que son style d'ornementation, en s'inspirant du souvenir de ses riches tapis.

Le développement de la peinture sur verre coïncide encore avec l'adoption de l'arc en ogive pour les ouvertures des édifices; on conçoit quelle influence cette forme exerça sur la marche de l'art du peintre verrier et réciproquement quelle influence le progrès de la peinture sur verre exerça sur le développement de l'architecture ogivale, en permettant aux architectes de percer ces énormes fenêtres que l'on trouve dans les édifices, dès la fin du XIII. siècle.

Les seules vitres à personnages, que l'on cite comme remontant certainement au XII. siècle, sont celles que donna l'abbé Suger à son église, et dont il reste encore des verrières à St.-Denis.

Plusieurs autres verrières sont présumées du XII. siècle, mais on n'a pas, pour le prouver, comme à St.-Denis la signature de Suger, et l'on doit être très-réservé dans l'attribution de dates aussi reculées.

Les vitraux peints du XIIIe. siècle, jusqu'au temps de saint Louis et long-temps encore après son règne, sont composés de médaillons de différentes formes (circulaires, elliptiques, quadrilobés) en lozange, etc., etc., disposés symétriquement sur un fond de mosaïque, comme telles le montre l'esquisse suivante d'une fenêtre en forme de lancette, qu'on les faisait le plus souvent dans la première moitié du XIIIa. siècle.

Des médaillons alternativement ronds et quadrilobés forment une ligne verticale de tableaux au centre de la fenêtre; d'autres cadres se trouvent à droite et à gauche des précédents; mais vu le peu d'espace, ils n'offrent que des moitiés de cintre et de quatrefeuilles dans les ouvertures en lancettes, qui ont peu de largeur et un grand développement dans le sens de la hauteur, on a souvent réduit ainsi à moitié les médaillons qui touchent à la bordure de l'encadrement.

Ce sont ces médaillons qui ont été remplis de figures; le reste n'offre qu'un fond de mosaïque.

Les mosaïques des fonds présentent le plus souvent des compartiments, tantôt carrés ou en lozange, remplis de fleurs à quatre pétales, tantôt arrondis et garnis

de feuillages, souvent avec des

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fleurons dans les intervalles qui séparent les cercles les uns des autres.

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Les bordures sont aussi assez variées; elles offrent des feuilles recourbées en crochets; des entrelacs dessinant des encadrements elliptiques, aux centres et aux extrémites desquels s'épanouissent des

STYLE OGIVAL PRIMITIF.

palmettes; des feuillages de différents genres, recourbés à leurs extrémités en offrant des formes analogues à celles que l'on trouve dans certaines moulures de la fin du XII. siècle.

Quant aux couleurs, c'est le bleu, le rouge et le vert qui dominent. Ces trois couleurs principales s'harmonisent très-bien entr'elles et produisent un très-bel effet. On a employé le jaune, le brun et quelques avec sobriété. autres nuances,

On vit aussi, au XIII., des vitraux en grisaille, c'est-à-dire dont le

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fond blanc était couvert de dessins et d'entrelacs noirs ou gris. Ces vitres, moins chères que les vitres à personnages, produisaient aussi, dans les églises, un clair obscur d'un effet agréable: elles sont ordi

GRISAILLES TIRÉES DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.

nairement divisées et relevées par des bandes dessinant des encadrements elliptiques, en lozange, etc., et se détachant en noir, quelquefois en verre de couleur sur le fond. Le spécimen précédent est tiré d'un des vitraux de ce genre les plus élégants que j'aie rencontrés dans la cathédrale de Chartres.

Les vitraux de couleur se sont multipliés, partout, au XIII. siècle, avec une rapidité surprenante. L'abbé Le Bœuf fut étonné d'en trouver une si grande quantité dans les églises du diocèse de Paris, quoique de son temps on en eût suprimé déjà beaucoup, pour obtenir plus de jour. Nous en voyons encore dans presque toutes les églises un peu considérables de la première période ogivale. Il faut donc qu'au XIII*. siècle il y ait eu un grand nombre d'artistes occupés à la fabrication et à la composition des vitraux.

Si la fabrication de ces verrières occasionnait des frais considérables, on avait alors de grandes ressources dans les villes, pour subvenir à la dépense: non-seulement les riches seigneurs, les abbés et les autres dignitaires du clergé, mais encore toutes les corporations d'ouvriers concouraient au vitrage des églises chaque corporation fournissait une vitre entière ou un panneau de vitre, et c'était l'usage de figurer au bas du vitrail, au-dessous des autres tableaux, les membres des corporations avec leurs attributs. Ainsi, au bas des vitres données par les poissonniers on voit, comme à la cathédrale de Rouen, des poissons exposés sur des tables, et des personnages présidant à la vente; la corporation des changeurs est figurée par des hommes comptant de l'argent sur une table (Chartres); celle des bouchers, par un boucher tuant un bœuf (id.); celle des boulangers, par un homme portant du pain ou en vendant (id.); celle des maréchaux, par des ouvriers ferrant un cheval et battant une enclume (id. ); celles des cordonniers, par des personnages dont l'un taille le cuir et l'autre coud les souliers (id.).

On voit beaucoup d'autres industries ainsi représentées au bas des vitres de Chartres, ce qui prouve que toutes les corporations d'arts et métiers y avaient contribué.

Les évêques et les abbés, les barons et les chevaliers sont représentés de même au bas des verrières qu'ils ont données.

Cette espèce de signature, que l'on trouve au bas de toutes les vitres, est très-importante à examiner, puisqu'elle indique infailliblement quels en furent les donateurs.

Dans les fenêtres composées de lancettes surmontées d'une rose,

l'image du donateur a quelquefois été encadrée dans la rose qui forme le couronnement de la fenêtre; c'est ainsi qu'à Chartres, on voit représentés, dans ces vitres circulaires, des rois, des ducs, des comtes, des barons bienfaiteurs de cette cathédrale revêtus de leurs armures, montés sur des chevaux richement harnachés et caparaçonnés, ayant leur écu chargé d'armoiries; mais cette place me paraît avoir été réservée aux grandes notabilités de l'époque.

Non-seulement on voit, sur les vitraux du XIII. siècle, des tableaux qui nous montrent l'histoire légendaire des saints patrons, mais on y retrouve la plupart des sujets qui décorent les façades des édifices les plus richement sculptés. Les cathédrales qui, comme celles de Chartres et de Bourges, avaient une si grande quantité de fenêtres, complètement closes, en verre, offraient aux peintres d'immenses surfaces à remplir; ils mettaient également à contribution l'Ancien Testament, l'Apocalypse, les légendes et tous les emblêmes alors admis par les théologiens.

Donnez quelques explications sur la confection des vitraux ?

C'était au peintre verrier à faire la distribution des tableaux qui devaient former chaque fenêtre et des fonds sur lesquels il devait les placer : sur les mesures données, il devait établir son dessin et l'arrêter en couleur sur ces cartons. Le trait du contour des figures qu'il avait à peindre devait y être formé si exactement que les pièces nombreuses, dont chaque panneau était composé, rapprochées les unes des autres, en ayant soin de laisser entr'elles la place de l'épaisseur du plomb, pussent remplir avec justesse l'espace auquel le panneau de verre était destiné.

Ces cartons, qui devaient coûter beaucoup de peine et d'attention, étaient soigneusement conservés et servaient à la confection de plusieurs vitraux destinés à des églises différentes. Aussi trouve-t-on, dans des vitres du XIII. siècle éloignées les unes des autres, les mêmes sujets, reproduits de la même manière et provenant des mêmes cartons.

Pierre Le Viel avait fait la même remarque. Il cite des vitraux du XIII. siècle, identiques de dessin et d'exécution, dans les églises de St.-Etienne de Limoges, de Clermont-Ferrand, de Cambray, de Poissy, etc., etc.... Les mêmes verriers devaient transporter, suivant les besoins, leurs ateliers dans différentes villes. La signature Clemens vitrearius Carnotensis, qu'on lit à Rouen sur une des verrières de la cathédrale, nous apprend que l'artiste qui les a faits était de Chartres: la confection des nombreuses verrières de la cathédrale avait dû occuper des peintres long-temps dans cette ville il y avait vraisemblablement là une école.

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