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reuse! car puisque c'était notre mal de ne craindre pas le péché parce qu'il est volontaire, et de n'appréhender la mort à cause qu'elle est forcée, qu'y avait-il de plus convenable que de contempler le Fils de Dieu, qui, ne pouvant jamais vouloir le péché, nous montre combien il est exécrable; qui, embrassant la mort avec joie, nous fait voir qu'elle n'est point si terrible; mais qui enfin ayant voulu endurer la mort pour expier le péché, enseigne assez clairement à tous ceux qui veulent entendre, qu'il n'y a point à faire de comparaison, que le péché seul est à craindre comme le vrai mal, et que la mort ne l'est plus, puisque même (a) elle a pu servir de remède?

Paraissez donc1, il est le temps, ô le Désiré des nations, divin Auteur de la vie, glorieux Triomphateur de la mort, et venez vous offrir pour tout votre peuple! C'est pour commencer ce mystère que Jésus entre aujourd'hui dans le temple; non pour s'y faire voir avec majesté comme le Dieu qu'on y adore, mais pour se mettre en la place de toutes les victimes qu'on y sacrifie tellement qu'il n'y reçoit pas encore le coup de la mort, mais il l'accepte, mais il s'y prépare, mais il s'y dévoue. Et c'est tout le mystère de cette journée.

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Ne craignons donc plus la mort, chrétiens, après qu'un Dieu veut bien la souffrir pour nous; mais avec cette différence bienheureuse qui fait l'espérance de tous les fidèles, qu'il y est allé (6) par l'innocence: au lieu que nous y tombons par le crime; et c'est pourquoi, dit saint Augustin, « notre mort n'est que la peine du péché, et <<< la sienne est le sacrifice qui l'expie: » Nos per peccatum

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1. Addition marginale qui peut être sans inconvénient insérée dans le texte. M. Lachat la donne en note.

2. Viv. dix lignes rejetées dans les notes.

ad mortem venimus, ille per justitiam ; et ideo cum sit mors nostra pœna peccati, mors illius facta est hostia pro peccato1.

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Ah! je ne m'étonne pas si le bon Siméon ne craint plus la mort, et s'il la défie hardiment par ces paroles : Nunc dimittis. On doit craindre la mort avant que l'on eût vu le Sauveur : on doit craindre la mort avant que le péché soit expié, parce qu'elle conduit les pécheurs à une mort éternelle1. Maintenant que j'ai vu le Médiateur qui expie le péché par sa mort, ah! je puis, dit Siméon, m'en aller en paix : en paix parce que mon Sauveur vaincra le péché, et qu'il ne peut plus damner ceux qui croient en paix parce qu'on lui verra bientôt désarmer la mort, et qu'elle ne peut plus troubler ceux qui espèrent en paix parce qu'un Dieu devenu victime va pacifier le ciel et la terre, et que le sang qu'il est tout prêt à répandre nous ouvrira l'entrée des lieux saints où nous le verrons à découvert, où nous le contemplerons dans sa gloire, où nous ne verrons que lui parce qu'il y sera tout à tous, illuminant tous les esprits par les rayons de sa face et pénétrant tous les cours par les traits de sa bonté (a) infinie.

Songez quelle douceur, quel ravissement sentent ceux qui s'aiment d'une amitié forte, quand ils se trouvent ensemble. On ne peut écouter sans larmes ces tendres VAR. (a) Beauté.

1. De Trinit., IV, 15.

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2. Luc, 11, 29. Déf. Vous laissez maintenant aller votre ser viteur. »

3. Déf., Vers.: avant qu'on ait vu. Viv.: avant que l'on ait vu.

4. ED. Avant le Sauveur, on ne peut mourir qu'avec trouble. Addition marginale du même caractère que les précédentes : c'est un sommaire du développement, et non pas une phrase qui doive y être ajoutée.

5. ED. Que tardons-nous, chrétiens... où nous le verrons à découvert... Passage emprunté à une première rédaction. V. le Complément des Variantes.

6. Viv.: quelle douceur sentent.

paroles de Ruth à Noémi, sa belle-mère, qui lui persuadait de se retirer : « Non, non, ne croyez pas que je vous << quitte partout où vous irez, je veux vous y suivre; << partout où vous demeurerez, j'ai résolu de m'y établir: « Quocumque perrexeris, pergam; et ubi morata fueris, « et ego pariter morabor1. Votre peuple sera mon peuple, << votre Dieu sera mon Dieu. Ah! je le prends à témoin « que la seule mort est capable de nous séparer : encore << veux-je mourir dans la même terre où vos restes se«ront déposés (a), et c'est là que je choisis le lieu de ma << sépulture » Quæ te terra morientem susceperit 2, in ea moriar, ibique locum accipiam sepulturæ3. Quoi ! la force d'une amitié naturelle produit une liaison si parfaite, et fait même que les amis étant unis dans la sépulture, leurs os semblent reposer plus doucement et les cendres même être plus tranquilles : quel sera donc ce repos d'aller immortels à Jésus-Christ immortel; d'être avec ce divin Sauveur, non dans les ombres de la mort, ni dans la terre des morts, mais dans la terre des vivants et dans la lumière de vie !

Après cela, chrétiens, serons-nous toujours enchantés de l'amour de cette vie périssable? C'est en vain, mortels abusés, que vous paraissez passionnés pour cette maîtresse infidèle. Elle vous crie tous les jours : « Je <«< suis laide et désagréable; et vous la chérissez avec

VAR. (a) Enterrés.

1. Ruth, 1, 16.

Donné en marge dans le manuscrit.

2. Ms., Viv.: acceperit.

3. Ruth, ibid., 17.

4. Ms., Retour au f. 108.

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5. ED. C'est vainement, dit saint Augustin, que vous paraissez passionnés pour elle. Cette maîtresse infidèle vous crie.

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<< ardeur. Elle vous crie: Je vous suis cruelle et rude (a)1; << et vous l'embrassez avec tendresse. Elle vous crie: « Je suis changeante et volage; et vous l'aimez avec << une attache opiniâtre. Elle est sincère en ce point, << qu'elle vous avoue franchement qu'elle ne sera pas << longtemps avec vous. Ecce respondet tibi amata tua : << Non tecum stabos, et qu'elle vous manquera' comme <«< un faux amis au milieu de vos entreprises; et vous << faites fondement sur elle, comme si elle était bien « sûre et fidèle à ceux qui s'y fient : » Mortels, désabusez-vous; vous qui ne cessez de vous tourmenter (b), et qui faites tant de choses pour mourir plus tard; << songez plutôt, dit saint Augustin, à entreprendre quel« que chose de considérable pour ne mourir jamais : » Qui tanta agis ut paulo serius moriaris, age aliquid ut nunquam moriaris &

Cessons donc de nous laisser tromper plus longtemps à cette amie inconstante, qui ne nous peut cacher ellemême ses faiblesses insupportables. Mais comme les voluptés s'opposent à cette rupture, et que, pour empêcher ce dégoût, elles nous promettent de tempérer les amertumes de cette vie par leurs flatteuses douceurs, faisons un second sacrifice, et immolons à Dieu l'amour des plaisirs avec Anne la prophétesse.

VAR. (a) Rude et cruelle. (b) Vous qui vous tourmentez.

1. ED.: rude et cruelle.

2. Déf. Vers. : Et vous l'aimez avec attache. Viv.: Et vous vous y attachez. En marge, le texte de S. Augustin: Clamat tibi; Fœda sum, et tu amas? Clamat: Volatica sum, et tu sequi conaris. Serm., CCCII, 6.

3. S. August., ibid. Texte rejeté plus bas par les Bénédictins, en note par M. Lachat.

4. ED. et que bientôt.

5. Ms., f. 110.

6. S. August., ibid., 4.

SECOND POINT

C'est un précepte du Sage de s'abstenir des eaux étrangères. « Buvez, dit-il, de votre puits et prenez l'eau << dans votre fontaine : » Bibe aquam de cisterna tua et fluenta putei tui1. Ces paroles simples, mais mystérieuses, s'adressent, si je ne me trompe, à l'âme raisonnable faite à l'image de Dieu. Elle boit d'une eau étrangère, lorsqu'elle va puiser le plaisir dans les objets de ses sens; et le Sage lui veut faire entendre qu'elle ne doit pas sortir d'elle-même, ni aller détourner de quelque montagne écartée (a) les eaux, puisqu'elle a en son propre fonds une source (b) immortelle et inépuisable.

Il faut donc entendre, messieurs, cette belle et sage pensée. La source du véritable plaisir, qui fortifie le cœur de l'homme, qui l'anime dans ses desseins et le console dans ses disgrâces, ne doit pas être cherchée hors de nous, ni attirée en notre âme par le ministère des sens; mais elle doit jaillir au dedans du cœur, toujours pleine, toujours abondante. Et la raison, chrétiens, se prend de la nature de l'âme, qui ayant sans doute ses sentiments propres, a aussi par conséquent ses plaisirs à part; et qui étant seule capable de se réunir à l'origine. du bien et à la bonté primitive, qui n'est autre chose que Dieu, ouvre en elle-même, en s'y appliquant, une source toujours féconde de plaisirs réels, lesquels certes quiconque a goûtés, il ne peut presque plus goûter autre chose, tant le goût en est délicat, tant la douceur en est ravissante.

D'où vient donc que le sentiment de ces plaisirs im

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