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tation des statues funéraires de deux rois et de deux reines d'Angleterre qui étaient dans l'église où ils avaient été enterrés, à Fontevrault en Anjou, et qui ont été transportées, je ne sais en vertu de quelle autorité, à Paris, pour être mises à Versailles. Je ne sais pas d'abord si on avait le droit d'enlever ces statues à l'endroit où elles étaient, à l'église de Fontevrault qui appartient à l'État. Et surtout j'en conteste la convenance, j'entends la convenance historique et artistique. Il ne s'agit de rien moins que de Richard Coeur-de-Lion, d'Henri II, d'Éléonore d'Aquitaine, et Isabelle d'Angoulême. Ces tombeaux devaient rester où ils avaient été fondés, c'est-à-dire à Fontevrault, c'est-à-dire en Anjou, près du berceau de la maison de Plantagenet, au cœur de leurs possessions, dans une abbaye que ces rois et ces reines avaient entourée de leur affection spéciale, et qui était pour eux ce que S int-Denis était pour les rois de France.

J'ai vu, il y a quinze ans, ces tombes dans leur église; malheureusement il ne reste de cette belle église qu'une abside, qui sert de chapelle à la maison centrale de détention; j'y ai vu ces statues, j'ai déploré leur abandon, je l'ai signalé; je pensais, comme tout le monde, qu'elles méritaient d'être préservées, surveillées avec soin; car ce sont de belles statues des douzième et des treizième siècles, trèsrares, comme il n'en existe pas dix en France; en les signalant et en les admirant, je comptais les retrouver dans le site qui leur convient. Car qui est-ce qui s'en irait chercher le tombeau de Richard Coeur-de-Lion à Versailles? Richard Coeur-de-Lion et Versailles, ces mots hurlent vraiment de se trouver ensemble. Qu'y a-t-il de commun entre Richard Cœur-de-Lion et Versailles? Cependant ces statues sont à Paris; on les restaure; je suis toujours effrayé quand j'entends parler de statues et de monuments en restauration;

mais enfin si cette restauration est faite tant bien que mal, j'espère que tout le monde appréciera la convenance qu'il y aurait à ne faire qu'en mouler des modèles pour le musée historique de Versailles, et à restituer les originaux à l'église pour laquelle ils ont été faits, et d'où ils n'auraient jamais dû sortir. (Adhésion.)

Maintenant, Messieurs, si la Chambre n'est pas trop fatiguée (Non! non!) (je lui demande pardon d'avoir été si long), je lui dirai quelques mots encore sur les constructions modernes. Je viens de parler des constructions anciennes et des soins que le Gouvernement y donne; je voudrais dire deux mots très-courts sur les constructions modernes, pour lesquelles tant de fonds extraordinaires ou complémentaires nous sont demandés dans la loi que vous allez voter.

Ces constructions se divisent naturellement en deux classes les constructions civiles et les constructions religieuses; elles ont toutes à mes yeux deux qualités, si je puis ainsi parler, ou deux caractères : elles sont toutes ou à peu près toutes très-laides et très-dispendieuses. Commençons par les églises, et ici, Messieurs, je regrette encore de ne pas voir à son banc M. le ministre de l'intérieur...

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Il est malade. M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Je ne lui fais pas un rèproche de son absence: je la regrette; mais ce que je dis pourra servir peut-être à M. le ministre des cultes, qui est devant moi et qui a à peu près les mêmes attributions, quoique ne s'appliquant pas précisément aux mêmes objets.

Le 24 septembre 1846, M. le comte Duchâtel a lancé une circulaire sur la construction des églises, où il s'est rendu malheureusement, et à son insu, j'en suis sûr, l'écho d'une certaine démonstration maladroite et ridicule qui avait eu lieu quelque temps auparavant au sein d'une certaine aca

démie. Il a lancé une sorte de condamnation contre les cons

tructions d'églises entreprises dans le style chrétien, dans le style, j'ajouterai même national, créé en France, et qui a atteint en France l'apogée de sa beauté, de sa grandeur, le style ogival. Il est dit dans cette circulaire « qu'il ne faut pas construire dans un genre que rien ne motive, et qui, pour être convenablement exécuté, entraînerait les administrations municipales dans des dépenses excessives.» Eh bien! Messieurs, je conteste formellement ces deux assertions; elles sont l'une et l'autre complétement inexactes. Comment oset-on dire que rien ne motive le style ogival en France? Comment! rien ne motive le style ogival en France, dans ce pays qui est couvert, non-seulement de ces magnifiques cathédrales que je vous signalais tout à l'heure, mais jusqu'aux derniers villages, de petits chefs-d'œuvre qui n'ont leur égal dans aucun des pays où l'architecture gothique a régné? Non, l'Angleterre et l'Allemagne, pays que j'admire beaucoup et que j'ai beaucoup étudiés, je le déclare sans aucun patriotisme de mauvais aloi, sont loin d'avoir des églises aussi admirables et aussi nombreuses que les nôtres; et, encore une fois, je parle, non pas de nos cathédrales, mais de nos petites églises paroissiales, chefs-d'œuvre de grâce, de délicatesse, de dignité et de convenance, comme on en trouverait cinquante dans un rayon de quinze lieues autour de Paris. Et c'est en présence de ces innombrables monuments que M. le ministre de l'intérieur vient nous dire que rien ne motive la reconstruction, la génération de ce style si national et si catholique dans la France catholique!

Savez-vous, Messieurs, ce qui n'est point motivé? Ce sont des imitations serviles et stupides des monuments de Grèce ou de Rome; ce sont des Madeleines en petit; ce sont ces éternelles copies du Parthénon ou de je ne sais quel autre

temple païen, dont on afflige sans cesse nos regards (adhésion); et quand je dis copie, c'est parodie que je devais dire, car ce n'est que cela (nouvelle adhésion), et cela au mépris de toutes les exigences de notre culte, de notre climat et de notre histoire.

Eh quoi! Messieurs, dans toute l'Europe éclairée, et notamment dans les pays que je nommais tout à l'heure, en Angleterre et en Allemagne, on ne construit plus une seule église qui ne soit aussi conforme que faire se peut aux règles et aux modèles qui nous ont été laissés par les siècles chrétiens. Ni en Angleterre, ni en Allemagne, on ne songerait désormais à faire une église dans un autre style que celui-là. Serions-nous donc les derniers à entrer dans cette voie ? Faut-il que nous soyons là, comme pour les chemins de fer, en arrière de tous nos voisins? Je ne m'y résigne pas pour ma part.

Quant à la question économique, je déclare que là encore le ministre est tombé dans une complète erreur. Ce n'est pas sur ma parole ni sur la parole de quelques amateurs, de quelques archéologues que je vous fais cette affirmation; c'est sur la parole des architectes qu'emploie le Gouvernement, le Gouvernement lui-même bien inspiré. Les programmes, les devis ont été faits, et non pas seulement pour les grandes cathédrales, mais pour les églises paroissiales. Ces programmes ont été faits par les architectes qui ont été chargés par le Gouvernement des travaux les plus importants de Paris; par M. Viollet-Leduc, chargé des travaux de Notre-Dame et de Saint-Denis; par M. Hippolyte Durand, récemment nommé architecte de la ville de Moulins. Ils ont prouvé et constaté qu'il y avait économie à employer dans de justes limites le véritable style chrétien, le style ogival, plutôt que le style classique.

On m'objectera peut-être une église construite par la ville de Paris, et que M. le ministre de l'intérieur a approuvée, l'église de Sainte-Clotilde, sur la place Bellechasse.

Voici ce que j'ai à en dire. J'ai vu les plans de cette église; on a adopté pour cette église un style assez bâtard; je ne veux pas le juger au point de l'art, mais uniquement à celui de la dépense.

On a adopté un gothique moderne, de décadence, mêlé, il est vrai, avec le gothique primitif, mais qui doit, en vertu de ses défauts mêmes, coûter fort cher. On m'a dit que la ville de Paris estime les dépenses de cette église à cinq ou six millions. M. LE COMTE DE RAMBUTEAU. Quatre millions.

M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Soit; ce n'en est pas moins exorbitant: une église ne coûterait pas cela si l'on n'avait pas adopté le style gothique de décadence, dont M. le vicomte Hugo vous expliquerait les imperfections beaucoup mieux que moi. Une église conforme au style grandiose, simple et sévère que nous offre à Paris l'église romane de Saint-Germain des Prés ou l'église ogivale de Notre-Dame, pourrait se bâtir à beaucoup moins de frais. Et, à ce propos, je dirai que je vois avec douleur, et je ne suis pas suspect en le disant, le système de dépense que l'on adopte pour les églises de la ville de Paris. Il semble que dans une grande ville comme Paris, où il n'y a pas quarante églises, tandis que dans une petite ville comme Parme il y en a près de quatre-vingts, le plus pressé serait de construire de nouvelles églises, simples et grandes, mais sans luxe, ce à quoi le style ogival primitif se prête admirablement. Au lieu de cela, on prodigue l'argent pour élever de loin en loin deux ou trois temples de mauvais goût, où règne une magnificence de mauvais aloi, comme à Saint-Vincent de Paul, à Notre-Dame de Lorette et à la Madeleine.

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