Page images
PDF
EPUB

au fond, ne redoute pas les investigations philosophiques et scientifiques, loyales et sincères, et qui offre une base réelle à cette sérieuse alliance que nous demandons entre la philosophie et la religion : c'est la foi que l'Eglise a en ellemême, c'est la certitude où elle est de posséder la vérité. Est-ce qu'une vérité d'un ordre quelconque peut jamais. contredire une vérité d'un autre ordre? Est-ce que jamais une découverte quelconque de la science pourra donner un démenti à nos dogmes? Nous retenons donc, nous chrétiens, et nous concédons à nos adversaires une liberté pleine et entière d'observer et d'expérimenter, certains que l'opposition entre la foi et la vraie science ne peut être qu'apparente, et ne sera jamais définitive. Ceux qui se défient de la religion sont ceux qui n'ont pas cette certitude; ceux qui se défient de la science sont ceux qui ne sont pas conséquents avec cette certitude.

La question même est plus générale, et l'accord que nous établissons ici entre la foi et la raison ne doit pas s'entendre seulement de l'ordre des vérités philosophiques, mais de l'ordre rationnel tout entier. « Comme au fond le «beau et le bien sont inséparables du vrai, »> dit avec raison M. l'abbé Lagrange dans les conclusions d'une belle thèse soutenue devant la Faculté de théologie de Paris sur le sujet qui nous occupe, « ni les beaux-arts, ni «<les sciences morales et politiques ne peuvent redouter « la vérité révélée, ni la doctrine révélée proscrire les « beaux-arts, entraver les sciences morales et politiques. « Ce n'est pas seulement la philosophie, ce sont les arts, « les lettres, les sciences, qui doivent s'allier avec la reli«gion. En un mot, tout légitime progrès peut être accepté « par elle, ou plutôt le principe de l'union de la raison et « de la foi est la formule même du progrès '. »

La raison et la foi, ou Étude sur la controverse entre Celse et Origène, par M. l'abbé F. Lagrange,

Jamais donc l'Église ne considèrera la philosophie comme une ennemie ou comme une rivale; et loin de la repousser, elle lui tend la main avec loyauté et avec confiance. Aussi, comme nous l'avons établi tout d'abord, la philosophie a oujours fait partie intégrante de l'enseignement spécial donné dans l'Église. C'est par la méditation des hautes vérités naturelles et métaphysiques qu'elle introduit ses jeunes lévites dans les grandeurs du surnaturel et dans la sainteté du sanctuaire : c'est par là qu'elle couronne les études de ceux qui doivent rester laïques. Elle ne bannira donc jamais la philosophie de ses écoles; ni de celles où elle élève la jeunesse ecclésiastique, ni de celles où elle élève la jeunesse séculière. Tout au contraire, dans toutes les éducations, séculières, religieuses, laïques, sacerdodales, publiques et privées, le vœu de l'Église est que l'étude de la philosophie soit ample, sérieuse, franche, complète, mais en même temps réglée, dirigée, gouvernée.

Au fond, c'est son propre bien que la religion revendique en patronant, encourageant, relevant les études philosophiques; et quand elle voit les corps savants entrer dans la même voie, elle les en félicite sans doute elle n'abdique pas la priorité de ses traditions, mais elle se garde bien de déprécier de loyaux auxiliaires, disons mieux, de savants et puissants alliés.

Il ne lui en coûta jamais de rendre à chacun la justice qui lui est due.

Mais ce qu'elle demande à tous, professeurs de philosophie et autres, c'est qu'ils se gardent de confondre les méditations sérieuses avec les improvisations romanesques, les fermes enseignements de la logique avec les piquantes excentricités du paradoxe, la témérité avec une sage liberté, la mobilité avec le progrès, les impressions passionnées avec les pensées sereines, ce qui honore la raison avec ce qui l'outrage, ce qui grandit et éclaire la vérité avec

cè qui la compromettrait et la déshonorerait, si elle pouvait l'être.

Ce qu'elle demande à tous les philosophes, c'est de ne pas exagérer les droits de la raison, et de ne pas oublier ses devoirs; c'est de ne pas proclamer une indépendance qui n'est pas, qui ne peut pas être; c'est de ne pas conclure à un isolement qui serait stérile et funeste; c'est de ne pas repousser systématiquement une lumière qui remplit le monde; c'est de ne pas faire reculer la raison humaine de dix-huit siècles.

Ce qu'elle demande enfin, c'est que toutes forces de l'esprit humain s'unissent, que toutes les vérités se fortifient mutuellement, que toutes les lumières se rapprochent, pour faire marcher l'homme dans la voie de tous les progrès possibles, et le conduire à sa double fin temporelle et éternelle.

Il y a, nous l'avons dit et nous le rappelons pour conclure, il y a, pour arriver à la possession totale de la vérité, trois degrés à franchir, et comme trois sagesses. Il y a la raison ou la sagesse de la nature l'Eglise n'entend pas l'amoindrir, et n'entend pas non plus qu'on la lui interdise; l'Eglise vient à elle et lui tend la main, pour l'aider dans ses déductions légitimes et la conduire aussi loin qu'elle peut aller; puis quand cette sagesse s'arrête, pour combler ses lacunes et suppléer à son insuffisance, l'Eglise offre la révélation, qui est la sagesse de la grâce, laquelle, promettant à nos âmes altérées de lumière et d'amour une satisfaction plus complète encore, nous conduira jusqu'à cette intuition. éternelle qui sera la sagesse de la gloire, l'immortelle et divine philosophie.

Que la philosophie ne craigne donc pas de s'unir à ses lumières supérieures de la révélation, et qu'on ne défende pas aux chrétiens de marcher aussi au flambeau de la philosophie.

Car, selon une belle parole d'un philosophe chrétien, apologiste de la Religion au ive siècle, Lactance : « Ce serait « une grave erreur que de vouloir s'attacher à la religion à « l'exclusion de la philosophie, ou à la philosophie à l'excluasion de la religion. Ces deux ordres de vérités ne peuvent « être l'un sans l'autre 1. »

Nous le dirons donc, en finissant, avec saint Augustin: « Ceux qui pensent qu'il faut fuir toute philosophie ne « tendent à rien moins qu'à nous empêcher d'aimer la sa« gesse.»

α

Homines ideo falluntur, quod cut religionem suscipiunt, omissa sapientia, aut sapientiæ soli student, omissa religione, cum alterum sine altero non possit esse verum. (LACT., Div. inst., liv. III, cap. n.)

* Quisquis omnem philosophiam fugiendam putat, nihil nos vult aliud quàm non amare sapientiam. (De Ordine, liv. I, 32, E.)

LIVRE III

DES SCIENCES

CHAPITRE PRELIMINAIRE

Des sciences en général.

I

La science, voilà certes un grand mot et une grande chose; un mot qui retentit noblement à nos oreilles, parce que la chose qu'il exprime répond à un des besoins les plus élevés, et aussi les plus pressants, de notre nature.

Savoir et connaître, rechercher et découvrir, posséder par l'intelligence, l'homme est fait pour ce glorieux exercice de son activité. Etre actif avant tout, doué par Dieu de facultés investigatrices et conquérantes, l'homme a manifestement été créé pour la science : la science est le déploiement, la satisfaction légitime et nécessaire de ses facultés.

Ce besoin d'activité intellectuelle est invincible, et s'étend à tout ce qui se révèle de loin en loin à nos regards, aux choses créées comme aux choses éternelles : tout le provoque et le sollicite. Quand il s'applique plus particulièrement aux choses spéculatives, à l'objet de la pensée réfléchie, c'est la science philosophique, dont nous venons de traiter; quand il s'applique au monde extérieur qui nous entoure,

« PreviousContinue »