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son irréligion avaient rendu méprisable à tous les gens honnêtes. Ce Pelletier était un petit juge de la ville d'Argentan, sans aucune espèce de talents et de caractère. Ami et parent du grand Goupil de Prefern et de son gendre, Belzais de Courmenis, tous deux constituants, il fut nommé, par leur crédit, un des trois commissaires pour préparer la formation du département. Les districts de son canton le portèrent pour la place de procureur général syndic, mais son incapacité était tellement connue, qu'on ne songea à lui que lorsqu'au résultat du second scrutin, il se trouva en concurrence avec le sieur Vielh, patriote effréné de la ville d'Alençon, qui avait mis le feu dans les campagnes par quelques mauvaises brochures très incendiaires. L'effroi fut si grand quand on vit cet enragé sur les rangs pour cette place, que tous les districts se réunirent pour l'en exclure.

Le sieur Pelletier convint de bonne foi, lors de sa nomination, que cette place était au-dessus de ses forces, mais il ne tarda pas à prendre le ton qu'elle demandait.

Lorsqu'il fut question de faire prêter le serment, le sieur du Coudray fit imprimer un réquisitoire doctrinal, très offensant pour le clergé et surtout pour le corps des évêques, où il s'efforçait de prouver la légitimité du serment; et pour en imposer aux gens simples, il y avait étalé une grande érudition. Il citait les conciles, les Pères, les théologiens, les jurisconsultes. Le public, qui connaissait la médiocrité du sieur du Coudray, était assez étonné de le voir devenu tout à coup théologien et canoniste.

Ce réquisitoire devint le catéchisme du département. Il n'y avait pas jusqu'aux femmes des administrateurs qui ne se crussent en droit de prêcher les prêtres que leurs affaires appelaient au département, pour les engager à prêter le serment.

Mais malheureusement pour le sieur du Coudray, il parut peu de temps après une réponse à son réquisitoire, qui renversa tout l'échafaudage d'érudition qui s'y trouvait. On lui prouva que son faiseur était un méchant ou un sot, qui avait ramassé ses citations dans des brochures mensongères, et on le ramena aux véritables

sources.

Comme cette brochure fit fortune et qu'elle compromettait la gloire littéraire de M. le Procureur général syndic, on lui proposa de répondre. Mais ni lui ni son ouvrier n'osèrent accepter le défit public que leur donnait l'auteur de la réponse embarras

sante. On assure que le saint homme, confus et humilié, se facha et jura contre le faiseur.

La femme du sieur du Coudray avait sur lui le même ascendant que Mme Rolland sur son mari. Il ne se terminait rien d'important sans son avis. Il était assez plaisant de voir une ménagère de campagne prendre le ton hautain d'une intendante.

Dans toutes les occasions, ce du Coudray a bien suivi la Révolution.

Mgr d'Argentré adopta, comme plusieurs autres évêques, la lettre pastorale de M. de Boulogne. Il publia un petit mandement à cet égard, où il disait à ses diocésains de prendre garde aux nouvelles doctrines qu'on voulait introduire parmi eux. Le sieur du Coudray dénonça aussitôt ce mandement à l'accusateur public, comme tendant à soulever le peuple.

Lorsque les électeurs s'assemblèrent pour remplacer Mgr d'Argentré, il leur adressa une lettre pour leur montrer que son siège n'était pas vacant, et que quand il le serait, le droit de lui donner un successeur ne leur appartenait pas. Nouvelle dénonciation.

Mais le tribunal du district, composé de quelques hommes sages, ne voulut pas donner de suite à toutes ces dénonciations. M. le vicomte Le Veneur, autre administrateur, travesti en Jocquet depuis 1789, a suivi la Révolution de toutes ses forces. Il était l'ennemi des prêtres. On connaît de lui des tours secrets qui annoncent que sa conscience se pliait à tout.

Après avoir servi la nation comme administrateur, il est allé la servir sur les frontières, comme maréchal de camp.

Les autres administrateurs ne valent pas la peine qu'on en parle. Quand on leur reprochait l'injustice et l'atrocité de leurs arrêtés, ils en convenaient, en gémissaient, mais ils signaient toujours. Il n'y avait en général aucun talent dans ce département.

Mgr d'Argentré, évêque de Séez, mourut à Münster, le 24 février 1805. Un de ses successeurs, Mgr Rousselet (1844-1881), fit revenir de l'exil les restes du prélat.

Quant à l'évêque intrus de l'Orne, il mourut à Argentan, le 2 décembre 1806.

F. UZUREAU,

Directeur de l'Anjou historique.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

LES SEIGNEURS DE BOSNORMAND-EN-ROUMOIS (Eure), par M. l'abbé Ch. GUERY. Grand in-8° de 1x-397 pp. avec 10 illustrations hors texte et tableaux généalogiques. Titre rouge et noir. Evreux, imp. de l'Eure, 1924.

M. l'abbé Ch. Guéry, le très distingué directeur de la «< Revue Catholique de Normandie », vient d'éditer Les Seigneurs de Bosnormand-en-Roumois, dont les pages ne sont pas inconnues à ceux qui suivent les travaux de cette publication.

Aucune des productions de M. l'abbé Guéry ne laisse indifférents ceux qui, aimant le passé, ont suivi les nombreuses et brillantes étapes de ses études historiques.

Sa carrière est remarquablement honorable. Il a été le bon ouvrier de la première heure et les années n'ont fait que cons'tater l'ampleur de ses aptitudes, le sens pénétrant de son esprit critique et la vitalité de sa capacité laborieuse.

L'époque est déjà lointaine, il y a plus de trente ans peut-être, où il publiait sa Notice sur Saint-Martin-du-Tremblay, sa première et sa dernière paroisse; un essai, un début toujours quelque peu timide et soucieux, mais portant en lui-même des énergies et des espérances, que l'avenir devait confirmer et réaliser.

Puis, successivement, c'est la litanie savante et admirée de ses publications, qui égrène, sans arrêt, des titres intéressants et des révélations nouvelles.

En 1892 Histoire de Claude de Sainctes, évêque d' Evreux, in-8°, 194 pp.

En 1894 Annales de la Communauté des religieuses hospitalières d'Harcourt, in-8°, 78 pp.

En 1904 Le Bailli de Chambray, in-8°, 83 pp.

En 1905 Histoire des Commanderies dans le département de l'Eure (Renneville, Chanu, Bourgoult), in-8°, 400 pp.

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TONE XXX.

VI. 3.

En 1906 Le Chapitre épiscopal, d'après le Grand Pouillé du diocèse d'Evreux, in-8°, 153 pp.

En 1907 Guillaume Alexis, dit le bon moine de Lyre, prieur de Bucy, in-8°, 133 pp., qui remporta le prix Lucien Fouché.

En 1909 Une fleur des champs, Marie-Jeanne Langlois, morte sur l'échafaud le 12 juin 1794, in-8°, 80 pp.

En 1911 Les OEuvres satiriques du P. Zacharie de Lisieux, in-8°, 60 pp.

En 1912: Le Culte de sainte Catherine à Rouen et à Vernon, in-8°, 116 pp.

En 1914: Deux bénédictins normands. Dom L.-A. Blandin, 1760-1848; dom L.-C.-M. Fontaine, 1715-1782, gr. in-8°, 94 pp.

En 1915 Correspondance inédite de Bénédictins normands avec Montfaucon, gr. in-8°, 90 pp.

En 1916 Palinods ou Puys de Poésie en Normandie, gr. in-8°, 108 pp., qui a obtenu la Lyre d'or au concours de Lyre.

En 1917 Histoire de l'abbaye de Lyre, gr. in-8°, 676 pp., 15 illust., couronnée par l'Académie, prix Bordin.

Ce furent enfin, au cours de ces mêmes années, les biographies de Michel Odieuvre; de l'abbé Le Galloys, docteur-médecin, 16971763; de Jacques du Lorens, poète, jurisconsulte, etc., 1580-1665; de Gace de la Bigne, curé de la Gouiafrière, poète et premier chapelain de France, 1310-1380; de M. Emile Picot, membre de l'Institut, 1919, sans compter ni les plaquettes, ni les articles cou

rants.

Les récompenses, en dehors peut-être de la plus précieuse de toutes, la joie du travail accompli, en dehors d'amitiés littéraires précieuses, et de l'estime de l'élite intellectuelle agissante et laborieuse, ne se firent pas attendre. La belle tenue de ses œuvres toujours empreintes d'une haute dignité sacerdotale, leur valeur documentaire, leur multiplicité trouvèrent un accueil favorable dans le monde savant.

En 1900, M. l'abbé Guéry était élu membre correspondant de l'Académie de Rouen, puis nommé officier d'Académie. En 1919, un arrêté ministériel le nommait correspondant du Ministère de l'Iustruction Publique, enfin officier de l'Instruction Publique.

Il n'a pas pensé que cette consécration officielle de son savoir, sonnait pour lui l'heure de la retraite, ou qu'elle fut l'ultime

parfum en vue de la sépulture, et il a continué à secouer la poussière des vieilles archives, et nous nous en réjouissons, pèlerin dévot des choses d'autrefois

Qui va toujours... et n'est pas encore fatigué (1). ·

Les Seigneurs de Bosnormand entrent donc dans le rang et prennent place à la file, après la remarquable Histoire de l'abbaye de Lyre.

Bosnormand, écrit-il, avec un flegme malicieux, qui sent bien son normand de race, Bosnormand... commune de 162 habitants! Comment, pensera le lecteur car j'espère en avoir au moins un (on peut toujours compter sur soi-même pour cet exercice) comment une paroisse de si minime importance, a-t-elle pu fournir matière à un si gros volume? » « C'est, dit-il, que j'offre au public, non une monographie de commune, mais une biographie des seigneurs qui, tour à tour, possédèrent ce pays.

Et il tient parole, il promène le flambeau sur toutes ces physionomies seigneuriales de la petite paroisse, les met sous sa lumière, et retrouvées et explorées dans l'obscurité de leurs généalogies, les raconte.

Bosnormand remonte plus probablement à l'époque galloromaine. Comme le reste du pays, il eut alors son époque de prospérité, puis fut submergé sous le flot des invasions. La paroisse Saint-Aubin semble dater du vie siècle. A la conquête normande elle reçoit son vocable définitif : Saint-Aubin du BoisNormand... et au cours des siècles, Bosnormand, tout court.

Au XIe siècle, vers 1180, la petite localité entre dans l'histoire, par l'apparition de Guillaume de Bosnormand. Les rôles mentionnent son domaine, et ses largesses attestent sa générosité. Dès 1204, le fief est uni à la seigneurie de Quittebeuf et n'en sera séparé qu'en 1670.

Au xire, les Templiers de Sainte-Vaubourg occupent et garderont jusqu'à la Révolution, une grande partie du sol paroissial. Près d'eux ou chez eux, les Burnel, les Recuchon, les de SaintAubin, les Botherel s'implantent et font souche. Mais la famille la plus illustre qui attache son nom à cette terre est celle des

(1) Coppée.

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