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humaine; en un mot, tout jeune homme qui, après avoir fait sa philosophie, ne saurait pas adorer et prier, et ne serait pas ce qu'on appelle une âme religieuse; ce jeune homme-là, quelques spéculations qu'il ait pu faire, et quel qu'ait été son maître, aurait mal fait sa philosophie, et manqué le but essentiel de cette science.

Et ce que je dis ici de la théodicée, je le dirai également de la psychologie et de la morale.

Il n'est pas seulement question de ne laisser aucun doute dans l'esprit de ces jeunes gens sur la spiritualité de leur ame, sur sa liberté et son immortalité; il est question de leur en faire comprendre la dignité, la céleste origine, la sublime destinée, afin qu'ils la respectent et travaillent chaque jour à l'ennoblir.

Après leur avoir enseigné la loi naturelle, fondement immuable et éternel de toute loi, et la distinction essentielle entre le bien et le mal, il faut leur inspirer l'amour du bien, l'horreur du mal, et leur apprendre, avec Fénelon, que la liberté n'est en leur âme un digne et merveilleux trait de ressemblance avec la divinité, que quand ils en font un noble et saint emploi, que quand ils s'en servent pour accomplir le bien et observer la loi.

Que si la philosophie est tout à la fois spéculative et pratique, que si elle doit enseigner à l'homme tout à la fois à comprendre et à agir, à bien savoir et à bien faire, en un mot, la vérité et la vertu, oh! alors, je le dis sans hésiter: rien n'est plus grand; et c'est vraiment la sagesse !

I importe donc singulièrement aussi d'apprendre aux jeunes gens où en est la source. Et ici, le professeur de philosophie peut citer à ses disciples la Bible et Platon. La plus haute raison, et avant elle le Livre sacré, nous répondent: «Fons sapientiæ Verbum Dei in excelsis, et ingressus « illius mandata æterna. La source de la sagesse, c'est le « Verbe de Dieu au plus haut des cieux, et ses voies

<< sont les commandements éternels. » (Eccl., c. 1, 5.) Dieu! voilà la source de la sagesse; Dieu, qui est le Dieu des sciences, et dont la lumière prépare en nous la pensée: Deus scientiarum Dominus, et ipsi præparantur cogitationes;

Dieu, qui est le Père des lumières, et de qui vient tout don parfait Deus, Pater luminum, a quo omne donum perfectum.

Sur ce point capital, j'invite mes lecteurs à relire ce chapitre premier, où nous avons vu que l'origine de la philosophie, c'est la lumière même du Verbe: Erat lux vera, quæ illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum.

Mais, pour faire descendre dans son âme cette divine lumière, pour s'élever jusqu'à ces hauteurs, il faut deux choses, essentiellement philosophiques: l'humilité et la prière. Pour attirer sur son âme quelque écoulement de cette source éternelle de lumière, la première condition, c'est de la demander, et pour cela de reconnaître son indigence. La prière et l'humilité, voilà les deux puissants moyens d'obtenir la sagesse: Si quis indiget sapientia, postulet a Deo qui dat omnibus affluenter. (JAC., C. 1, 5.)

Et toutefois, n'est-ce pas une chose bien rare que des professeurs de philosophie qui prient avant d'enseigner, qui cherchent dans la prière la lumière de leur propre esprit, et présentent aux jeunes gens, comme un auxiliaire nécessaire de leurs études philosophiques, l'humilité dans la prière?

CHAPITRE XI

SUITE DU MÊME SUJET

De la philosophie séparée.

J'ai dit que l'enseignement philosophique donné à la jeunesse chrétienne, chez un peuple chrétien, doit avoir une direction chrétienne. Mais cela se peut-il, sans sortir des limites de la philosophie? Un professeur de philosophie doit-il se transformer en théologien et enseigner le catéchisme? Assurément, ce n'est pas là ce que je veux dire.

Mais il y a une théorie qui parfois se rencontre, non-seulement chez des philosophes qui n'ont pas la foi, mais même chez des philosophes croyants, adoptant ici à leur insu la logique rationaliste, et qui consiste à séparer systématiquement la philosophie de la religion.

Cette théorie ne pose plus en principe, comme on le faisait au XVIIIe siècle, la guerre à la religion, mais la séparation. La raison est conçue par les philosophes dont je parle comme une puissance souveraine, ne relevant que d'ellemême, et ne pouvant en aucune façon s'allier à la foi sans abdiquer. Tel est le point de vue rationaliste. Et même parmi ceux qui ne sont pas rationalistes, il y en a qui prétendent qu'un professeur de philosophie, même chrétien, doit faire dans son enseignement abstraction de ses croyances, et enseigner la philosophie comme si la religion. n'existait pas, sans avoir même la pensée de profiter des lumières que cherchait Platon, et que l'Evangile a données au monde de telle sorte que la question des rapports de la raison et de la foi ne soit pas même abordée, ou soil tran

chée dans le sens de l'indépendance absolue, de l'onnipotence infaillible de la raison. C'est cette théorie que je viens combattre ici.

Aucune raison scientifique n'autorisera jamais la philosophie à se placer et à demeurer dans cet orgueilleux isolement; mais de plus je soutiens que rien n'est plus antiphilosophique, ni plus contraire et à la nature des choses, et à la nature de l'homme, et à cet amour de la vérité qu'implique le nom de philosophie, et à la pratique constante des anciens sages.

C'est en effet supposer trois choses: ou bien qu'il n'y a pour l'homme qu'une seule source de vérité, et que Dieu n'a aucun moyen direct, immédiat, de nous enseigner; ou bien que les vérités révélées de Dieu aux hommes sont contradictoires avec les données de la raison; ou enfin, que si Dieu a parlé aux hommes, cela ne regarde en rien les philosophes. Trois suppositions, non-seulement gratuites, mais absolument absurdes.

Je le demanderai donc aux philosophes sincères: Avezvous prouvé que la raison soit la seule lumière qui puisse éclairer l'homme; la raison privée, individuelle, commençant à elle-même, et s'emprisonnant dans elle-même? Non, assurément. Mais s'il peut exister, s'il existe en fait dans le monde une autre source de lumière, pourquoi dans la recherche et l'étude de la vérité, c'est-à-dire dans la philosophie, n'en tenir aucun compte? Pou: quoi s'enfermer aveuglement et misérablement en soi-mêm??

La raison ne sait-elle pas, et avec la dernière clarté, deux choses: 4° qu'elle ne voit pas toute vérité, puisqu'elle n'est pas infinie, et que ses perspectives sont manifestement limitées; et 2o qu'elle ne voit pas la vérité en elle-même, dans son essence, mais par des images et des reflets qui sont les idées? Et si cela est incontestable, cela suffit pour ruiner à fond la théorie de la séparation. Qui ne conçoit, en effet,

dès lors, qui peut nier la possibilité d'un autre ordre de connaissances plus élevé, auquel la raison seule ne saurait atteindre; connaissances d'un ordre distinct, mais non contraire; supérieur, mais en rien opposé à la raison; en un mot, d'un ordre surnaturel, directement révélé de Dieu à 'homme, et, bien au-delà et au-dessus des horizons bornés de la raison, illuminant de nouvelles clartés les vérités naturelles, et y ajoutant la révélation de vérités plus hautes encore, vues dans la lumière même de Dieu ? Et si cette révélation existe, si un tel ordre de vérités été manifesté au monde, je le demande, quel droit la philosophie a-t-elle de le tenir comme non avenu?

De plus, la révélation repose sur des faits qui, résultant de la volonté libre de Dieu, ni ne peuvent être déduits des idées de la raison, ni ne la contredisent. Ces faits, qui établissent entre Dieu et l'homme des relations nouvelles et obligatoires, ont leurs preuves, qui s'imposent au philosophe comme à tout homme, et le philosophe n'a aucun droit de les repousser a priori, et de passer outre.

En un mot, et c'est le bonheur et l'honneur de l'humanité qu'on le puisse affirmer, les deux ordres de vérités et de faits coexistent. Dieu parle aux hommes, parce qu'il est le Verbe, Ayos, Verbum, la parole éternelle, comme l'ont nommé Platon le prince des philosophes, et saint Jean, l'aigle des évangélistes. Et il parle de deux manières : d'abord par la raison naturelle, mais indirectement, sous un voile, sous le voile des idées, que tous les hommes ne savent pas pénétrer et contempler: il faut tout le travail philosophique de l'humanité pour interpréter les mots divins gravés dans nos âmes. Mais Dieu a parlé d'une autre manière encore, directement, clairement, en personne : « Le Verbe de Dieu s'est fait chair, et il a été vu parmi nous, plein de grâce et DE VÉRITÉ. » Et de là sur la terre une source nouvelle de lumière; une nouvelle et plus haute sagesse,

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