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des Anglais. L'Empereur réparait à peine l'éCHAP. Puifement d'une guerre contre les Turcs. Le Roi VII. d'Espagne Philippe IV mourant, & fa Monarchie auffi faible que lui, laiffaient Louis XIV le feul puiffant & le feul redoutable. Il était jeune, riche, bien fervi, obéi aveuglément, & marquait l'impatience de fe fignaler & d'être Conquérant.

CHAPITRE HUITIEME.
Conquête de la Flandre.

L'Occafion fe préfenta bientôt à un Roi qui

la cherchait. Philippe IV fon beau-père mourut: il avait eu de fa première femme, fœur de Louis XIII, cette Princeffe Marie-Thérèse mariée à fon coufin Louis XIV; mariage, par lequel la Monarchie Efpagnole eft enfin tombée dans la Maifon de Bourbon, fi longtems fon ennemie. De fon fecond mariage avec Marie-Anne d'Autriche, était né Charles II, enfant faible & malfain, heritier de fa couronne & feul refte de trois enfans mâles, dont deux étaient morts en bas âge. Louis XIV prétendit que la Flandre & le Brabant, la Franche-Comté, provinces du Royaume d'Espagne, devaient felon la jurifprudence de ces provinces, revenir à fa femme, malgré fa renonciation. Si les caufes des Rois pouvaient fe juger par les loix des nations à un tribunal defintéreffé, l'affaire eût été un peu douteufe.

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Louis fit examiner fes droits par fon Confeil, & par des Théologiens, qui les jugèrent inconteftables; mais le Confeil & le Confeffeur de la veuve de Philippe IV les trouvaient bien mauvais. Elle avait pour elle une puiffante raifon, la loi expreffe de Charles-Quint; mais les loix de Charles-Quint n'étaient guère fuivies par la Cour de France.

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la Flan

Un des prétextes, que prenait le Confeil du Roi, était, que les cinq cent mille écus donnés CHAP. en dot à fa femme, n'avaient point été payés; VIII. mais on oubliait, que la dot de la fille de Henri Raifons IV ne l'avait pas été davantage. La France & ou prél'Espagne combattirent d'abord par des écrits, où textes de l'on étala des calculs de Banquier & des raifons la cond'Avocat; mais la feule raifon d'Etat était écou- quête de tée. Cette raifon d'Etat fut bien extraordinaire. dre. Louis XIV allait attaquer un enfant dont il devait être naturellement le protecteur, puifqu'il avait époufé la foeur de cet enfant. Comment pouvait-il croire que l'Empereur Léopold regardé comme le chef de la Maifon d'Autriche le laifferait opprimer cette Maison & s'agrandir dans la Flandre? Qui croirait que l'Empereur & le Roi de France euffent déja partagé en idée les dépouilles du jeune Charles d'Autriche Roi d'Efpagne ? On trouve quelques traces de cette trifte vérité dans les mémoires du Marquis de Torci a), mais elles font peu démêlées. Le tems a enfin dévoilé ce mystère, qui prouve qu'entre les Rois la convenance & le droit du plus fort, tiennent lieu de juftice, fur-tout quand cette juftice femble douteufe.

Secree

Louis

Tous les frères de Charles II Roi d'Efpagne étaient morts. Charles était d'une complexion faible & mal-faine. Louis XIV & Léopold firent dans fon enfance à-peu-près le même traité de traité de partage qu'ils entamèrent depuis à fa mort. Par l'Empece traité qui eft actuellement dans le dépôt du reur & de Louvre, Léopold devait laiffer Louis XIV fe mettre déja en poffeffion de la Flandre, à condition qu'à la mort de Charles, l'Efpagne pafferait pouiller fous la domination de l'Empereur. Il n'eft pas dit le Roi s'il en coûta de l'argent pour cette étrange négod'Efpaciation. D'ordinaire ce principal article de tant de traités demeure fecret.

Léopold n'eut pas fi-tôt figné l'acte, qu'il s'en repentit. Il exigea au moins qu'aucune Cour n'en

a) Tom. I. pag. 36, édition supposée de la Haie.

XIV

pour dé

gne.

eût connaiffance, qu'on n'en fit point une double CHAP. copie felon l'ufage, & que le feul inftrument qui VIII. devait fubfifter tût enfermé dans une caffette de

métal, dont l'Empereur aurait une clef & le Roi de France l'autre. Cette caffette dut être dépofée entre les mains du Grand Duc de Florence. L'Empereur la remit pour cet effet entre les mains de l'Ambaffadeur de France à Vienne, & le Roi envoya feize de ses Gardes-du-Corps aux portes de Vienne pour accompagner le courier, de peur que l'Empereur ne changeât d'avis & ne fit enlever la caffette fur la route. Elle fut portée à Versailles & non à Florence; ce qui laiffe foupçonner que Léopold avait reçu de l'argent, puifqu'il n'ofa se plaindre.

Voilà comme l'Empereur laiffa dépouiller le Roi d'Espagne.

Le Roi, comptant encor plus fur fes forces 1667. que fur fes raifons, marcha en Flandre à des conquêtes affurées. Il était à la tête de trentecinq mille hommes; un autre corps de huit mille fut envoyé vers Dunkerque; un de quatre mille vers Luxembourg. Turenne était fous lui le Général de cette armée. Colbert avait multiplié les reffources de l'Etat pour fournir à ces dépenfes. Louvois, nouveau Miniftre de la guerre, avait fait des préparatifs immenfes pour la campagne. Des magazins de toute espèce étaient diftribués fur la frontière. Il introduifit le premier cette méthode avantageufe, que la faibleffe du gouvernement avait jufqu'alors rendue impraticable, de faire fubfifter les armées par magazin: quelque fiége que le Roi voulût faire, de quelque côté qu'il tournât fes armes, les fecours en tout genre étaient prêts, les logemens des troupes marqués, leurs marches réglées. La difcipline, rendue plus févère de jour en jour par l'austérité inflexible du Miniftre, enchainait tous les Officiers à leur devoir. La préfence d'un jeune Roi, l'idole de fon armée, leur rendait la dureté de ce devoir aifée & chère. Le grade militaire commença dèslors à être un droit beaucoup au-dessus de celui

de la naiffance. Les fervices, & non les ayeux, furent comptés, ce qui ne s'était guère vû en- CHAP. cor. Par-là l'Officier de la plus médiocre naif- VIII. fance fut encouragé, fans que ceux de la plus haute euffent à fe plaindre. L'infanterie, fur qui tombait tout le poids de la guerre depuis l'inutilité reconnue des lances, partagea les récompenfes, dont la cavalerie était en poffeffion. Des. maximes nouvelles dans le gouvernement infpiraient un nouveau courage.

Le Roi, entre un Chef & un Miniftre également habiles, tous deux jaloux l'un de l'autre & cependant ne l'en fervant que mieux, fuivi des meilleures troupes de l'Europe, enfin ligué de nouveau avec le Portugal, attaquait avec tous ces avantages, une province mal défendue d'un Royaume ruiné & déchiré. Il n'avait à faire qu'à fa belle-mère, femme faible, gouvernée par un jéfuite, dont l'adminiftration méprifée & malheureuse laiffait la Monarchie Espagnole fans. défenfe. Le Roi de France avait tout ce qui manquait à l'Espagne.

L'art d'attaquer les places comme aujourd'hui, n'était pas encore perfectionné, parce que celui de les bien fortifier & de les bien défendre, était plus ignoré. Les Frontières de la Flandre Efpagnole étaient prefque fans fortifications & fans garnifons.

Louis n'eut qu'à fe préfenter devant elles. Il Succès entra dans Charleroi, comme dans Paris; Ath, rapides. Tournai, furent prifes en deux jours; Furnes, Armentières, Courtrai, ne tinrent pas davan- 6 Juillet tage. Il defcendit dans la tranchée devant Douai, 1667. & elle fe rendit le lendemain. Lille, la plus floriffante ville de ces pays, la feule bien fortifiée, & qui avait une garnifon de fix mille hommes capitula après neuf jours de fiége. Les Efpagnols Aout. n'avaient que huit mille hommes à oppofer à l'armée victorieuse; encor l'arrière-garde de cette petite armée fut-elle taillée en piéces par le Marquis depuis Maréchal de Créqui. Le refte fe ca- Aoust, cha fous Bruxelles & fous Mons, laiffant le Roi vaincre fans combattre..

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Cette campagne, faite au milieu de la plus CHAP grande abondance, parmi des fuccès fi faciles, VIII. parut le voyage d'une Cour. La bonne chère, le luxe & les plaifirs s'introduifirent alors dans les armées, dans le tems même que la difcipline s'affermiffait. Les Officiers faisaient le devoir militaire beaucoup plus exactement, mais avec des commodités plus recherchées. Le Maréchal de Turenne n'avait eu longtems que des affiettes de fer en campagne. Le Marquis d'Humières fut le premier, au fiége d'Arras en 1658, qui fe fit fervir en vaiffelle d'argent à la tranchée, & qui y fit manger des ragoûts & des entremêts. Mais dans cette campagne de 1667, où un jeune Roi aimant la magnificence, étalait celle de fa Cour dans les fatigues de la guerre, tout le monde fe piqua de fomptuofité & de goût dans la bonne chère, dans les habits, dans les équipages. Ce luxe la marque certaine de la richeffe d'un grand Etat, & fouvent la caufe de la décadence d'un petit, était cependant encor très peu de chofe auprès de celui qu'on a vû depuis. Le Roi, fes Généraux & fes Miniftres, allaient au rendez-vous de l'armée à cheval, au lieu qu'aujourd'hui il n'y a point de Capitaine de cavalerie, ni de Secrétaire d'un Officier-Général, qui ne faffe ce voyage en chaife de pofte avec des glaces & des refforts, plus commodément & plus tranquillement, qu'on ne faifait alors une vifite dans Paris d'un quartier à un autre.

La délicateffe des Officiers ne les empêchait point alors d'aller à la tranchée, avec le pot en tête & la cuiraffe fur le dos. Le roi en donnait l'exemple: il alla ainfi à la tranchée devant Douai & devant Lille. Cette conduite fage conferva plus d'un grand-homme. Elle a été trop négligée depuis par des jeunes gens peu robuftes, pleins de valeur, mais de moleffe, & qui femblent plus craindre la fatigue que le danger.

La rapidité de ces conquêtes remplit d'allarmes Bruxelles; les citoyens tranfportaient déja leurs effets dans Anvers. La conquête de la Flan

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