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en fait remonter les origines à une sorte de poursuite d'office, qu'il appelle rügeverfahren et qu'il trouve organisée dans plusieurs Capitulaires francs. Ces origines se lient intimement, d'ailleurs, à celles de l'inquisitio franco-normande, attendu que cette poursuite d'office procédait dans les mêmes formes.

M. Brünner n'a pas jugé à propos de donner à cet égard des développements aussi amples qu'on aurait pu le désirer. Il en dit assez, cependant, pour faire connaître cette procédure, qui fut adoptée plus tard par le droit canonique.

L'enquête normande resta assez longtemps en usage; mais, après la réunion à la Couronne de France, la force même des choses et l'intervention des légistes français devaient faire perdre peu à peu à l'ancien droit de cette province son caractère primitif. Des étrangers présidèrent comme commissaires royaux les tribunaux suprêmes. La charge normande du sénéchal fut remplacée par l'institution française des grands bailliages. Une armée de baillis occupa un pays où ils étaient depuis longtemps l'objet de l'aversion populaire. Maître Wace, énumérant les griefs des vilains du XIe siècle, leur faisait déjà dire :

Tant y a prevoz et bedels

Et tant baillis viez et nuvels

Ne poent aveir paiz nule heur.

(Roman de Rou. Pluquet, I, v. 6011.)

Et Pierre de Blois écrivait à leur propos, sous Henri II: Ministerialium tanta est multitudo quanta est locustarum. Enfin, on commença à en appeler au Parlement de Paris, ce qui diminua d'autant la compétence de

l'Échiquier. L'esprit de province se souleva contre ce qui semblait un envahissement et une atteinte à ses libertés. On réclama hautement la conservation de

l'Échiquier. La Normandie était, disait-on, un état particulier, que le roi de France ne devait gouverner qu'à titre de duc. On soutint que la réunion à la France n'était pas une absorption. C'est ce que la glose du grand Coutumier exprime en ces termes, dont la brièveté ne laisse rien à désirer: Que jasoit ce que le Roy en feust seigneur, si n'estait-ce pas comme Roy, mais comme duc»> (1523, ch. XII, fo 21, col. c).

L'abus de la centralisation des bailliages provoqua, au commencement du XIV siècle, une vigoureuse réaction. Louis X le Hutin, comme on sait, se vit forcé de céder, et l'année 1315 vit promulguer cette fameuse Charte des Normands, dans laquelle le Roi promettait la libre jouissance des libertés et priviléges normands. La Charte fut souvent confirmée par les successeurs de Louis le Hutin et joua (si parva licet componere magnis, dit M. Brünner) un rôle analogue à celui de la Magna Charta en Angleterre.

L'enquête n'eut pas le sort de la fameuse clameur de haro et ne se maintint pas aussi longtemps en vigueur. L'influence déjà signalée des légistes de Louis IX et l'indifférence des populations, qui ne virent bientôt plus dans les obligations de juré qu'une charge dont elles avaient hâte de s'affranchir, sont les causes les plus certaines de la décadence et de la suppression de cette institution.

Il est permis de penser, d'ailleurs, que la disparition de l'enquête ne causa pas de bien vifs regrets. Cette procédure n'inspirait à nos aïeux, en matière criminelle surtout, qu'une bien médiocre confiance, si on

en juge d'après ces brocards juridiques: Nul ne se doit mestre en enqueste de ses membres; Nus n'est dampnez par enqueste se il ne s'i met; - Fol est qui se met en enqueste; et, enfin, d'après ces vers, dans lesquels un poète et chevalier français déplorait, vers la fin du XIIIe siècle, la perte des libertés françaises :

-

Gens de France mult estes ebahis.

Je dis à tous ceux qui sont nez de fiefs,
Si m'ait Dex, franc estes vous mes mie.
Mult vous a l'en de franchise esloigniez
Car vous estes par enquête jugiez.

Ch. HETTIER,

Docteur en droit.

Robert de Floques, bailli d'Évreux et capitaine de Conches, ou l'Expulsion des Anglais de la Normandie, par M. le docteur Semelaigne. 1872.

C'est un volume in-12 de 150 pages, bien imprimé par Jouaust, et qui se trouve à la librairie des Bibliophiles. Je lui ai donné place sur les rayons normands de ma modeste bibliothèque, un peu parce que Floquet (1) est pour moi un voisin, mais surtout à cause du rôle vraiment très-actif qu'il a joué dans la recouvrance de notre Normandie. Recouvrer quelque chose, expulser quelqu'un, ne fût-ce qu'en lecture, souvenir ou imagination, est un besoin aujourd'hui pour tous les cœurs à qui la patrie est chère. Ce sentiment paraît, du reste, avoir présidé, sinon à la composition de l'ouvrage, qui, paraît-il, n'est pas récente, du moins à

(1) Il signait toujours ainsi.

la publication. Je m'y suis associé dès que ce petit volume s'est présenté à mes yeux.

J'ai donc suivi, avec ce guide, Robert de Floques dans ses expéditions rapides, hardies et presque toujours heureuses: lui et les Brezé, ses compagnons d'armes habituels. Le voici, déployant son courage, en 1435, autour de St-Denis, dont les Anglais préparent le siége nous l'avions repris et ne pûmes les empêcher d'y rentrer. Chose curieuse! l'année suivante, nous reprenons, sans coup férir, une grosse ville, tout près de St-Denis, qui s'appelle Paris et que gardaient assez mal, comment l'eussent-ils mieux gardée ? - quinze cents Anglais pas davantage, diton. Robert de Floques ne paraît pas là: peut-être est-il, lui et ses soldats, de ceux que le connétable de Richemont ne veut pas pour instruments dans cette grande entreprise : conjecture qui trouvera plus loin son motif. Puis, ce sont des châteaux normands dont Robert ne peut empêcher la capitulation pendant qu'il les a quittés pour les ravitailler. Meaux, facilement pris en 1439 il y commande sous le connétable. Le Marché, qui donne plus de peine. Puis, le siége malheureux d'Avranches. Chambon pris sur les ennemis du Roi, dans cette courte guerre civile appelée Praguerie et cette prise rapporte à Robert et à Jean de Brezé une belle rançon, à quoi le héros de M. Semelaigne n'était pas indifférent, pour ne parler que de lui. En 1440, Conches est pris surpris, me disait l'Histoire de Conches, ouvrage du même auteur. Ici, l'opération est plus vivement disputée : qu'importe, pourvu que le résultat soit aussi bon? Pierre de Brezé est là en chef, et, partout où il est, c'est son rôle. En mai 1441, Beaumont-le-Roger; puis, sans

:

coup férir, Beaumesnil. Engagement peu clair autour de Maubuisson, sur l'Oise : Robert et les deux Brezé En 1441 encore, le fameux siége de Pontoise, qui ne fut pas un siége de Troie, comme le dit M. Michelet: car enfin Pontoise est Pontoise, et deux ou trois mois ne sont pas dix ans ; mais c'est l'une des opérations qui inaugurent l'art nouveau de la guerre, si différent de l'ancien. Ne pas accepter la bataille quand l'ennemi l'offre, surtout quand il l'offre : battre flegmatiquement les murs d'une ville à coups de canon, jusqu'à épuisement des défenseurs et favorable occasion d'un assaut... Tactique est faible encore, mais elle est née; Chevalerie n'est pas encore morte, mais elle décline. Pendant ce siége même (bien que M. Semelaigne apporte ici une date nouvelle), Évreux est surpris car on surprend beaucoup de villes à cette époque. Les Anglais semblent ennuyés, fatigués, vieillis, trop familiers avec le peuple conquis: ils se gardent mal, et on les trahit tant qu'on peut, si c'est là trahir! Enfin, c'est un fait important que cette prise d'Évreux, vu la grosseur de la place. Robert y paie de sa personne; mais je vois que l'historien moderne de Charles VII en donne presque tout l'honneur à Pierre de Brezé : quoi qu'il en soit, c'est celuici qui est créé comte d'Évreux, et Robert bailli, ce qui comprenait le gouvernement de la ville et du château, En 1442, dans la plaine du Neubourg, engagement, succès; mais Jean de Brezé est tué M. Semelaigne essaiera vainement, comme nous le verrons, de le ressusciter. Robert, devenu capitaine de Conches, le garde aussi mal que les Anglais : Talbot le lui reprend sans coup férir. Vient une trève avec nos adversaires, plus las que nous. Que faire de nos dé

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