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SÉANCE PUBLIQUE

DU MERCREDI 16 NOVEMBRE 1876.

Présidence de M. HERVÉ DE SAINT-GERMAIN.

Le 16 novembre 1876, à 3 heures de l'après-midi, dans la grande salle de l'École de Droit, la Société des Antiquaires de Normandie s'est réunie sous la présidence de son directeur, M. le sénateur Hervé de SaintGermain.

M. Joly, président, M. Champin, premier président de la Cour d'appel, Mgr Hugonin, M. Seguin, recteur, M. Boivin-Champeaux, procureur général, M. Guinat, vice-président et M. de Robillard de Beaurepaire, secrétaire de la Société, siégeaient au bureau.

MM. de Perthuis, préfet du Calvados, général baron de Launay, commandant la subdivision militaire, Bertauld, sénateur et maire de Caen, avaient exprimé leurs regrets de ne pouvoir assister à la séance. Un public nombreux et choisi se pressait sur l'estrade, sur les gradins de la salle et dans les tribunes latérales. Le programme était ainsi composé :

1° Discours d'ouverture par M. de Saint-Germain ; 2o Rapport sur les travaux de l'année par le secrétaire ;

3o Le droit civil de la Normandie au XIIIe siècle par M. Cauvet;

4o Jean de Bethencourt, roi des Canaries, par M. Guillouard;

5o La station romaine de Ste-Marguerite-sur-Mer, par M. William Martin.

Les lectures ont eu lieu dans l'ordre porté au programme.

L'heure avancée n'a pas permis de donner lecture du dernier mémoire sur la station de Ste-Marguerite.

Le soir, suivant l'usage traditionnel, la Compagnie a offert un banquet à son directeur dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville.

Au dessert, M. le Président s'est levé, et, dans un toast délicatement inspiré, il a rappelé tous les titres de M. de Saint-Germain au choix de la Compagnie et à la reconnaissance publique.

L'honorable sénateur a remercié en termes émus M. Joly des paroles affectueuses qu'il lui avait adressées et a promis de concourir désormais de toutes ses forces à la défense des intérêts que la Compagnie est chargée de sauvegarder.

Nous reproduisons les lectures en les faisant suivre du toast de M. Joly.

DISCOURS DE M. HERVÉ DE SAINT-GERMAIN.

MESSIEURS,

J'ai été honoré par vous d'une mission redoutable, et, au moment de prendre la parole, je m'étonne en

core; je m'étonne d'avoir pu être choisi, quand je ne puis vous apporter le tribut d'aucune connaissance spéciale, d'aucun concours ancien et autorisé, donné à vos travaux si utiles, si consciencieux, si méritoires; mais je m'étonne encore bien plus d'avoir pu accepter ce grand honneur, quand je sens en moi, jusqu'à en être troublé, tout le poids de mon insuffisance, surtout en songeant aux illustrations qui m'ont précédé à cette même place; des hommes du mérite le plus distingué, des membres de l'Institut, un grand ministre dont la vie a défié la calomnie et pour lequel l'immortalité a commencé, des savants entourés du respect et de l'estime de tous et en dernier lieu, l'honorable et sympathique marquis de Chennevières, directeur des Beaux-Arts, dont l'influence efficace s'est fait sentir à tous les objets de votre prédilection, dont la parole si compétente charmait votre réunion de l'année dernière.

Comment ne pas être écrasé par de pareils devanciers? Et cependant, je l'avoue, je vous appartiens par des liens bien anciens, je vous appartiens par la meilleure partie de moi-même, par le cœur. C'est avec le cœur que je me suis associé à vos travaux, à vos efforts, à vos sollicitudes, à vos succès et, ce qui m'a toujours attiré, c'est encore moins la science. profonde qui, le regard fixé sur les lointains horizons du passé, contemple, analyse, restitue à l'histoire nos vieux monuments oubliés, que l'apostolat militant et fécond qui refait une opinion publique, chasse, comme le souvenir d'un mauvais songe, l'apathie et l'indifférence, ravive l'intérêt, réchauffe le zèle, éclaire le goût et finalement rend la vie à de vénérables ruines et des monuments restaurés à notre admiration.

Ce sentiment instinctif de respect et je dirai même

d'affection pour nos vieux monuments date chez moi de bien loin.

Quittant tout enfant notre ville de Caen, où je suis né, arrivant pour la première fois à Avranches, j'aperçus de loin les fières tours de sa vieille cathédrale ; l'église elle-même, entamée d'abord par une appropriation imprudente, profanée ensuite et privée d'une partie de sa toiture, s'était écroulée depuis peu d'années, et les ruines elles-mêmes s'étaient successivement anéanties, mais les tours existaient encore.

Couronnant un promontoire abrupte, dominant une vallée profonde et largement ouverte, entourées d'un horizon étendu, d'un côté l'immensité des grèves blanches, de l'autre une campagne verdoyante et plantureuse, audacieusement placées au bord même du rempart et de l'abîme, elles étaient saisissantes, non seulement par leur architecture, mais surtout par leur position unique et leur masse imposante qui régnait sur toute la contrée.

En 1810, elles semblaient encore braver les siècles, comme elles bravaient les ouragans.

Bien peu d'années après, ces tours ne dessinaient plus leur grande silhouette sur le ciel, l'égalité s'était faite dans les ruines.

C'est ainsi que disparut sans retour un édifice qui avait vu tant de siècles se briser contre ses murs, qui avait fourni à l'histoire de la contrée une multitude d'épisodes intéressants et à l'histoire générale du moyen âge une de ses plus grandes scènes, car ses voûtes avaient prêté leur écho aux paroles de soumission d'Henri II d'Angleterre expiant le meurtre de Thomas de Cantorbéry et à l'absolution solennelle du légat. La ruine avait commencé par une pioche inconsciente

qui n'avait pas craint de rompre des piliers du chœur pour livrer un nouveau passage au clergé, puis la profanation était venue: les plombs avaient été enlevés et une partie de la toiture avait disparu. Bientôt les voûtes s'effondrèrent avec un bruit sinistre qui épouvanta la cité.

Sur la place où s'élevait cette majestueuse basilique, un square solitaire abrite les rêveries et les regrets ; car le charmant hôtel de Sous-Préfecture qui le décore ne saurait remplacer l'ancien sanctuaire.

La ruine successive de l'église et de ses tours fut un grand désastre qui retentit douloureusement dans l'âme des populations. Mais ces populations étaient alors apathiques, peut-être, et certainement impuissantes. Aucune administration, aucun crédit, ne pouvaient leur venir en aide et la Société des Antiquaires de Normandie n'avait pas encore pris naissance.

Parmi les témoins qui ont vu ces nobles ruines et en ont gardé un souvenir pieux, je suis un des derniers survivants.

Messieurs, voilà l'antiquaire que vous avez devant

vous.

Ses regrets lui ont donné l'amour de vos travaux, et décidé de sa préférence entre les diverses tendances qui se partagent l'esprit humain.

Deux courants, en effet, divisent les hommes d'intelligence et de savoir les uns, entraînés par l'esprit d'invention ou plutôt d'innovation, délaissant les études rétrospectives, se portent tout d'abord en avant, sondant avec résolution les mystères de l'inconnu, demandant à leurs propres observations, à leurs inspirations et à leur génie les grandes découvertes qui doivent enrichir les arts, les sciences et l'industrie, illustrer leur nom

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