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sayer sur des vierges chrétiennes, mais sans se persuader auparavant qu'il faut purifier leur imagination et faire jeûner longtemps leur palette et leur ciseau de sujets sensuels et voluptueusement débraillés. Nos églises reçoivent trop fréquemment de l'État de ces œuvres suspectes; et si quelques honorables exceptions se rencontrent dans les compositions d'artistes nourris des traditions de MM. Rio et de Montalembert, dans le plus grand nombre de cas, les membres du clergé feraient un acte de justice et de convenance en refusant la porte du temple aux tableaux et aux statues d'une origine officielle. Il faudrait pourtant en venir là pour hàter le retour aux véritables bases de tout art chrétien; et si les hommes qui travaillent dans le genre religieux voyaient leurs œuvres repoussées et restées sans destination, faute d'être conçues dans des conditions convenables, ils se mettraient bientôt à faire des études sérieuses, et beaucoup de temps ne se passerait pas sans que les choses ne fussent presque complétement réformées. Espérons que nous n'élèverons pas toujours notre voix dans le désert, et qu'après avoir longtemps protesté contre le débordement d'un torrent qui n'a fait que trop de ravages, nous n'aurons plus bientôt que des éloges et des encouragements à donner à des œuvres traitées avec science, avec inspiration et avec amour.

Les considérations qui précèdent étaient écrites quand le hasard me fit rencontrer, quelques jours après, chez mon excellent ami, M. Charles de Vaublanc, une œuvre de peinture dont la vue est venue corroborer, d'une manière bien palpable, tout ce que j'ai dit plus haut de la convenance et du respect avec lesquels les sujets religieux doivent être traités. Il s'agit ici d'un joli triptyque du xv-xvr siècle, peint sur bois, à l'huile, et qui représente trois époques dans la vie de la sainte Vierge. Sur l'un des petits volets, le peintre a représenté la sainte Vierge avec sainte Anne, sa mère, et l'enfant Jésus. Dans le compartiment du milieu est figurée la présentation au temple; et je dois dire que ce sujet, où se voient treize personnages, est traité avec beaucoup de bonheur. Enfin, le second volet est consacré à l'assomption de la sainte Vierge la mère de Dieu est représentée debout, absolument nue, les cheveux épars et tombants, avec l'intention de remplacer un vêtement qu'ils ne remplacent en aucune façon : elle a les mains jointes sur la poitrine, et elle est enlevée au

1. Primitivement, cette Vierge-Vénus était moins voilée encore qu'elle ne l'est aujourd'hui. Le peintre, qui est un élève de Van Eyck, ou d'Hemmeling, si ce n'est Hemmeling ou Van Eyck lui

ciel par huit petits anges ou petits amours, comme on voudra les appeler, qui la touchent sur toute la hauteur de son corps, afin de mieux l'aider à monter. C'est bien ici l'assomption que l'artiste a voulu peindre point de doute possible. C'est la pensée qui a inspiré le bas-relief de l'église de Saint-Denis, dont M. Didron nous entretenait dans le douzième volume, pages 300-319, des « Annales Archéologiques », et dont l'attribution exacte se trouve aujourd'hui surabondamment prouvée, à supposer que, par impossible, quelques personnes eussent conservé de l'hésitation à voir une assomption figurée d'une manière aussi monstrueuse. Voilà donc encore la sainte Vierge dans son assomption, telle qu'a su la faire la Renaissance; voilà donc la très-pure et très-chaste vierge Marie métamorphosée en déesse de l'olympe, montant au ciel, au milieu d'un essaim de petits amours, dans un état de nudité si complète, que l'oeil se baisse et que le front rougit involontairement, alors que l'observateur chrétien

même, avait rejeté les cheveux de cette Vierge en arrière, dans le dos, en sorte que le corps entier était nu comme un ver, plus nu que celui de la Vierge de Saint-Denis. Mais l'un des premiers propriétaires de ce triptyque eut peur, eut honte d'une nudité aussi complète, aussi brutalement crue, et il fit dérouler de longues tresses de cheveux sur le devant du corps, le long de la poitrine et des cuisses. Mais ces cheveux ne couvrent encore que très-imparfaitement la sainte Vierge. Les cheveux anciens sont d'un brun châtain; les cheveux ajoutés sont blonds. On voit la soudure, en quelque sorte, on voit l'attache plus nettement que celle d'un faux toupet aux cheveux naturels d'un chauve. Cette « perruque de chasteté », inventée par l'un des propriétaires du triptyque, rappelle l'obligation qu'on voulut imposer à Michel-Ange de voiler les inutiles nudités de son Jugement dernier. Ce fait de cheveux postiches ajoutés sur le devant du corps est fort curieux. Sur la gravure que nous en donne M. Léon Gaucherel, on a pu faire sentir parfaitement cette différence entre les cheveux bruns de derrière et les cheveux blonds de devant. Nous devons les plus grands remerciements à M. le comte de Vaublanc, qui a bien voulu nous confier pendant plusieurs mois son charmant et précieux tri tyque, pour qu'on fit avec une exactitu le scrupuleuse la gravure du volet où se voit cette Vénus montant lourdement au ciel par l'assistance de huit anges « porteurs ». Cette Vierge est, assurément, d'une inconvenance plus révoltante encore que celle de Saint-Denis; mais ce petit triptyque, dont la longueur est de 40 centimètres sur 20 de hauteur, peut, comme œuvre d'art, passer pourune des plus fines peintures de l'école de Van Eyck, si ce n'est de celle de Hemmeling. Je pencherais pour l'école de Van Eyck à cause du goût, aussi prononcé que celui du maître, pour la reproduction d'une architecture archaïque, d'une architecture romane comme celle des bords du Rhin. La maison où sainte Anne admire l'enfant Jésus et caresse sa chère fille, la mère de Dieu, le temple où saint Siméon reçoit Jésus en disant le « Nunc dimittis », présentent des colonnes romanes parfaitement caractérisées et une de ces vieilles églises comme Notre-Dame-du-Capitole, à Cologne. Cet amour de Van Eyck pour la vieille architecture des xie et xn siècles, se trahit ici dans toute sa force. Ce petit triptyque est donc une œuvre d'art d'un grand prix, et à laquelle M. le comte de Vaublanc doit attacher une véritable valeur. Un pareil tableau ornerait le musée de Cluny; il ne déparerait certainement pas la salle des vieux maîtres, dans le musée du Louvre. L'importance de cette peinture doit ajouter encore au regret qu'on éprouve qu'un artiste véritable de la renaissance ait ainsi profané le corps virginal de la mère de Dieu. Murillo, dans ses « Assomptions », est un saint vis-à-vis de ce brutal peintre flamand. (Note du Directeur des « Annales ».)

cherche à se rendre compte de tout ce dévergondage pieux; voilà donc ce qu'a produit la Renaissance dans un de ses meilleurs moments, quand l'intention était droite et que l'artiste se proposait un but religieux. Triste et fatale époque que celle de cette prétendue renaissance, qui a enfanté d'aussi grossières erreurs! C'est à croire qu'on l'a affublée de son nom par une amère ironie. Cette rénovation douloureuse n'a été que l'abandon de toutes les traditions chrétiennes au profit d'un engouement sans aveu pour l'antiquité païenne, époque où tout fut déplacé, où toutes les données des siècles catholiques furent renversées, et où les réminiscences d'une autre civilisation venant à s'infiltrer dans le corps social, les éléments constitutifs de celui-ci en furent profondément altérés. Qui pourrait dire les maux incalculables qui, depuis trois cents ans, ont découlé de cette aberration des esprits, et les modifications radicales qui se sont fait jour dans les habitudes et dans la vie intellectuelle des peuples? Jusqu'à la Renaissance, tout, lois, mœurs, littérature, arts, était imprégné de l'esprit chrétien : la peinture et la sculpture s'inspiraient aux sources les plus pures des traditions et des symboles de notre foi; l'architecture, cet art sublime, expression des dogmes et des espérances, s'était élevée à une supériorité de formes que les siècles suivants n'ont jamais pu atteindre, et dont ses ennemis même subissent, de leur aveu, l'influence; les scènes dramatiques, les représentations populaires puisaient leurs motifs dans les mystères de la vie de Notre-Seigneur ou dans des données morales. Depuis le xvr siècle, il n'en est plus ainsi, tant s'en faut. Sans entrer dans de grands détails pour prouver une thèse que tout esprit sérieux apprécie facilement, qu'il me suffise de faire ici quelques remarques qui se rattachent plus particulièrement à l'art, cette expression formulée des intimités de l'âme. Si nous considérons la poésie sacrée, que d'expressions profanes introduites dans les hymnes de nos liturgies modernes, qui ne conviendraient qu'au maître de l'olympe et aux divinités mythologiques, mais qui ne peuvent s'associer sans témérité à la pensée du Dieu des chrétiens! Quant à l'architecture, que dire de ces églises dont le style consiste souvent à n'en avoir aucun, à n'être qu'un assemblage hybride d'éléments qui jurent de se trouver ensemble, imitation plus ou moins malheureuse des temples grecs, ne disant rien à l'âme, et souverainement impropre aux exigences du culte catholique? En ce qui concerne la peinture et la sculpture, je n'ai point à revenir sur les observations que j'ai présentées dans la première partie de ce travail sur les compositions modernes; elles suffisent pour faire mesurer l'abîme qui sépare ces dernières des œuvres des anciens maîtres chrétiens. Il ne sera point hors de propos de faire observer ici que depuis la Renaissance la manie mythologique a tellement pénétré partout, que de nos jours elle envahit tous les lieux

publics, et que les jardins les plus fréquentés de Paris, par exemple ceux que parcourent le plus les femmes et les enfants, sont peuplés de groupes de divinités païennes et de personnages antiques dans un état de nature dont la décence et les convenances ont cruellement à souffrir. Ajoutons pourtant que, par une très-louable innovation qui viendra, nous l'espérons, remplacer petit à petit partout ces indécentes et irrationnelles exhibitions, l'administration a depuis quelque temps substitué dans le jardin du Luxembourg les statues des femmes illustres de la France à tous ces héros de la Fable, dont on nous sature partout ailleurs. Heureuse pensée, qui devrait être suivie partout. Ne serait-ce pas le cas de nous écrier encore une fois : Qui nous délivrera des Grecs et des Romains? Les jeunes élèves de notre temps connaissent l'histoire ancienne, ce qui est bien assurément; mais souvent ils ne connaissent point celle de leur pays, ce qui serait encore mieux. Ils nous diront très-bien ce qu'ont été Épaminondas et Zénobie; mais sauront-ils de même ce qu'étaient Du Guesclin et Jeanne d'Arc?

Je crois en avoir dit assez. Puissent mes paroles porter quelques fruits; puissent-elles faire sentir la nécessité de remonter aux sources de toute beauté et de toute vérité! Il ne faut point que les peines et les difficultés de la tàche viennent effrayer les hommes de bonne volonté qui ont entrepris une salutaire croisade les efforts de la veille doivent encourager pour ceux du lendemain, et les succès obtenus sont un gage certain de ceux qu'on obtiendra encore. La victoire est assurée; et, quand une nation s'est jetée dans une voie pareille à celle que la France a adoptée depuis vingt ans, ce n'est plus pour rétrograder : il faut qu'elle accomplisse son œuvre, il faut qu'elle marche en avant; et le repos ne se prend que quand il n'y a plus ni barrières à briser ni adversaires à vaincre.

COMTE DE MELLET.

MUSÉE DE SCULPTURE

AU LOUVRE

SUITE DE LA SALLE DE JEAN GOUJON '.

Les monuments, ou plutôt les débris de monuments rassemblés dans la salle de Jean Goujon sont au nombre de cinquante-huit. La ville de Paris en a fourni quarante et un; ils décoraient autrefois les églises des Célestins, de Saint-André-des-Arcs, des Jésuites, de Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers, des Cordeliers, de Saint-Magloire, de Sainte-Geneviève, des Grands-Augustins, de Saint-Germain-l'Auxerrois, des Bons-Hommes de Passy 2; la fontaine des Innocents, la porte Saint-Antoine, la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Il y en a neuf qui proviennent de l'abbaye de Bonport, d'une maison de Reims, des châteaux d'Anet, de Gaillon, de Ligny, du Raincy et de Villeroy. L'origine des huit autres est inconnue ou incertaine. On compte dixhuit statues, bustes, médaillons et bas-reliefs, représentant des personnages historiques; deux groupes, quinze figures, huit bas-reliefs, un médaillon, appartenant à la mythologie ou à l'allégorie; une petite statue et six bas-reliefs dont les sujets sont chrétiens; deux colonnes funéraires; une portion de chaire à prêcher avec ses sculptures; une fontaine; une cheminée; deux animaux. Voici, d'après les étiquettes fixées sur les monuments par l'administration du Musée, de quelle manière se compose la part de chacun des artistes dont la salle de Jean Goujon a recueilli quelques ouvrages. —Jean Cousin: la statue de Philippe le Chabot, amiral de France, et deux génies qui accompagnaient le

4. Voir les « Annales », volume XII, pages 44, 84, 239, 294; volume XIII, p. 425.

2. De ces dix églises, deux seulement, celles de Saint-Germain-l'Auxerrois et de la maison professe des Jésuites, ont été conservées. Les huit autres ont disparu complétement. Il est seulement resté une tour de Sainte-Geneviève et quelques pans de murs de Saint-Magloire.

XIII.

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