colonnettes appliquées et munies de chapiteaux à crochets. La seconde se développe en abside à sept pans, donnant huit compartiments à la voûte, également portée sur nervures qui correspondent à des colonnettes engagées dans les angles des murs. Cinq fenêtres en lancettes ogivales éclairent ce sanctuaire et sont encore décorées de précieuses verrières datant, sauf quelques retouches, du XIIIe siècle. Un Arbre de Jessé et différents sujets de l'Ancien et du Nouveau Testament ont fourni les motifs de cette décoration, réalisée avec le charme naïf, la grande puissance de dessin, l'éclat des couleurs à la fois vives, douces, translucides, qui caractérisent les meilleures œuvres de cette époque. L'art des terres émaillées avait aussi contribué à orner ce sanctuaire. Les nombreux carreaux, couverts de figures, de blasons, de feuillages et autres sujets, que l'on remarque encore dans le pavé, attestent son ancienne splendeur. La chapelle est séparée par une salle du musée que le Congrès était si justement impatient de visiter, et dont la magnifique installation fait le plus grand honneur aux maîtres de la maison. Il occupe une aile du château, nouvellement appropriée à cette heureuse destination. L'ameublement en est d'un goût parfait. Nous y avons vu des pièces d'ancienne ferronnerie qui sont des merveilles. Des bahuts d'un excellent style de la Renaissance et du temps de Henri II, tous de la plus sérieuse authenticité, sont venus au secours des vitrines modernes pour recevoir la prodigieuse collection d'objets exhumés par M. J. de Baye des grottes préhistoriques et des cimetières gallo-romains et mérovingiens, qu'il a fouillés par centaines en Champagne. Plusieurs vitrines et armoires sont consacrées aux découvertes provenant d'autant de grottes avec les débris de squelettes ou les squelettes entiers, les armes de silex, les ustensiles, parures et vases qui les accompagnaient. En dehors de ces groupes particuliers, toute l'industrie guerrière et pacifique de l'âge de la pierre en Champagne est représentée par d'abondants spécimens de haches pourvues de leur gaînes, de pointes de lances, de flèches variées, de couteaux, de scies, de grattoirs, de poinçons, de lissoirs, de manches de haches, de houes, de spatules en os, auxquels il faut ajouter des poteries grossières, des objets de parure en grains de craie, en coquillages et os d'arimaux de la même époque. Les flèches à tranchant transversal, recueillies à fleur de terre, sont réunies en vrais monceaux, et plusieurs vertèbres humaines sont là, triomphalement exposées, montrant les projectiles meurtriers qui les ont pénétrées. Que dire maintenant des richesses des époques galloromaines et mérovingiennes, des splendides pièces de céramique de diverses formes, noires, rouges, jaunâtres, des bijoux d'or, des émaux, des vases de verre, des armes franques, qui remplissent les plus grandes vitrines? Il faudrait un long catalogue pour les décrire et de longues heures pour les étudier. Après une trop courte visite au musée, sous la gracieuse direction de leurs bienveillants organisateurs, les membres du Congrès se sont réunis dans la salle qui précède, pour tenir une séance présidée par M. de Cougny, entouré de MM. Paulin-Pâris, membre de l'Institut, baron de Baye, Peigné-Delacour et de Gourcy. La parole est d'abord donnée à M. l'abbé Barré, qui parle des grottes de Saran et dit qu'une analogie complète existe entre ces grottes et celles de Coizard. Une même idée, une idée symbolique, a dominé dans toutes. Suivant l'orateur, les grottes de Coizard sont des sépultures; la première des deux chambres dont elles se composent, ou antégrotte, forme comme l'avant-garde du véritable tombeau. Et, chose curieuse, cette disposition a été retrouvée par M. Jacquesson, dans son voyage en Egypte. Il a remarqué que les tombeaux égyptiens étaient, eux aussi, précédés de leur antégrotte ou pronaos. Les objets usuels déposés auprès des morts étaient comme les témoins de leur manière de vivre. M. Barré ajoute que les grains de collier trouvés dans les grottes de Saran étaient en tout semblables à ceux dont se composent les colliers qui sont en la possession de M. Joseph de Baye, et qui font l'admiration de l'Europe savante. Après cette courte improvisation du curé de Plissot, M. Paulin-Pâris se lève et s'exprime ainsi : La civilisation aux temps préhistoriques Je demande la permission de vous soumettre quelquesunes des réflexions qui se sont pressées comme en tumulte dans mon esprit, pendant que vous visitiez, comme je l'avais fait avant vous, ces anciennes nécropoles, dont je ne doute pas que vous n'ayez apprécié et reconnu l'intérêt incomparable. Si loin que nous puissions pénétrer dans les sepulchra regionum, dans l'espoir d'y retrouver la trace perdue des générations primitives, nous devons accorder à ces premiers ancêtres la faculté d'observer et de comparer, c'està-dire de penser. Cette faculté de penser dut être, à l'aurore de l'humanité, telle que nous la retrouverons tou jours, et dès l'origine elle établit une séparation tranchée entre la nature de l'homme et celle de toutes les autres espèces vivantes. C'est pour l'homme seul, en effet, que s'est ouvert le grand livre de la nature, c'est-à-dire de toutes les choses nées et à naître. Dès ses premiers pas dans le monde, il en a lu des pages; il a graduellement avancé dans cette lecture, et si je ne craignais de trop blesser l'orgueil contemporain, je dirais qu'il nous reste encore beaucoup de feuillets à déchiffrer. Un des premiers résultats de cette lecture fut assurément la découverte de l'art d'entretenir, allumer et éteindre le feu. La plupart des animaux se rapprochent volontiers du feu, et paraissent souffrir quand ils le voient s'éteindre; cependant, aucun d'eux, même en dépit de l'exemple que nous leur donnons, ne s'est élevé à la compréhension des moyens d'allumer et d'entretenir ce bienfaisant phéno mène. C'est que l'homme seul a reçu la faculté de penser, et bien plus, c'est qu'il ne peut subsister que par l'exercice de cette pensée mise constamment à l'épreuve. Les productions de la terre, telles qu'elles sont, suffisent à la vie des autres espèces. Pour entretenir la sienne, l'homme est contraint de transformer ces produits et de les façonner à son usage. Il n'est pas bien prouvé que l'épi ait cru de lui-même dans un seul coin de terre; mais il est bien prouvé que le génie de l'homme en a rendu la culture universelle, qu'il a dû creuser, retourner, labourer le sol, tirer de l'épi le grain de blé, le réduire en poudre, le pétrir et le soumettre à l'action du feu avant de le transformer en pain. Les forêts abondaient en fruits amers ou insipides; il a dû greffer les arbres pour en tirer des fruits. doux et savoureux. Il s'est nourri de la chair des animaux, mais après l'avoir lavée, purifiée, brûlée, assaisonnée. En 13 XLII SESSION. un mot, en ne considérant les productions de la terre que dans ses rapports avec l'usage que les hommes en peuvent faire, on a droit de poser un axiome absolument contraire à celui de J.-J. Rousseau et de dire: Tout est brut en sortant des mains de la nature, tout s'améliore entre les mains des hommes. Les branches des arbres, durcies au feu et taillées en forme d'arcs et de massues, les os des quadrupèdes et les cailloux affilés doivent avoir été les premières armes de l'homme. Samson et l'antique Hercule, symbole du premier état de la civilisation, n'ont d'autres vêtements qu'une peau de lion, d'autres armes qu'une massue et des flèches. Ces armes leur ont suffi pour éloigner ou frapper les animaux carnassiers et les ennemis qu'ils rencontraient parmi leurs semblables. Or, pour apprendre à résister et à triompher de tant d'adversaires, il a fallu tout autant d'invention, de courage et d'adresse, que peuvent en développer les générations les plus rapprochées de la nôtre. « L'homme, a dit Pascal, n'est qu'un roseau, mais c'est un roseau pensant; » comme tel, il domine tous les êtres de la création. Dès le premier jour de son avénement dans le monde, il a dû, coinme aujourd'hui, exercer l'intelligence qui lui était donnée, étendre au besoin le cercle de ses observations; le trouble individuel introduit dans ses organes sensuels a pu se répandre jusque dans l'exercice de cette intelligence, mais ce trouble n'a pu l'anéantir. Elle a germé, elle est dans l'enfant au berceau, avant qu'il n'ait les moyens d'en exprimer la présence, et elle existe chez lui comme chez les plus beaux génies dont l'humanité s'honore. Il ne faut donc pas juger en dernier ressort l'état moral et intellectuel de la société primitive sur le peu |