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s'est naturellement reportée sur la patrie, et on a reconnu avec surprise et admiration que la France renfermait encore dans ses villes de province des cathédrales plus belles, malgré le triste dénûment des unes et le fard ridicule des autres, que les plus célèbres cathédrales de l'Angleterre. On a trouvé dans la poudre de ses bibliothèques des poëmes plus originaux, plus inspirés que les épopées les plus populaires de l'Allemagne. On a vu encore les manuscrits de ces poëmes souvent ornés de miniatures plus fines, plus gracieuses que les plus vantées du Vatican. On est arrivé ainsi à comprendre et à découvrir que, même en France, il avait existé un autre art, une autre beauté que la beauté matérialiste et l'art païen du siècle de Louis XIV et de l'empire. Cette découverte renfermait implicitement celle de l'art religieux. Nous n'hésitons pas à employer ce mot de découverte, parce qu'une réhabilitation aussi complète, aussi fondamentale que celle qui est exigée pour l'art religieux vaut bien l'invention la plus difficile. Malheureusement cette découverte n'a guère été faite que par des gens de lettres ou des voyageurs. La faire passer dans la vie pratique, la faire reconnaître par les artistes ou ceux qui aspirent à le devenir, la faire comprendre par ceux qui commandent ou qui jugent les œuvres dites d'art religieux, c'est là le difficile, mais c'est aussi là l'essentiel; car à l'heure qu'il est, il n'y a pas d'art religieux en France, et ce qui en porte le nom n'en est qu'une parodie dérisoire et sacrilége.

Ce n'est pas assurément que la matière de l'art religieux manque aujourd'hui en France plus qu'en aucun autre pays ou à aucune autre époque. Il y a une religion en France qui compte encore des millions de fidèles; or toute religion qui n'est pas née à l'état de secte, comme le protestantisme, a toujours donné la vie à un art qui pût lui servir d'organe, parler son langage à l'imagination et au cœur de ses enfants,

traduire ses dogmes en images vénérées et chéries, enfin parer ses rites et ses cérémonies d'un attrait mystérieux et populaire. Ce que la religion des Hindous, des Égyptiens, des Grecs, des Mexicains a fait, la religion catholique l'a fait aussi, mais avec une splendeur et une puissance à nulle autre égales. Notre patrie est couverte des produits de l'art catholique, qui ont survécu à trois siècles de profanations, d'ignorance et de ravages. Pour un Louvre, pour un Versailles dont la France s'enorgueillit, elle a cent cinquante cathédrales, elle a six mille églises qui remontent aux temps où régnait le véritable art chrétien. Ces cathédrales et ces églises, malgré leur pauvreté et leur nudité actuelles, ou plutôt à cause de cette nudité, offrent aux peintres et aux sculpteurs le champ le plus vaste, et presque le seul, pour leurs travaux; car on ne pourra pas avoir le bonheur et la gloire de faire un musée de Versailles à chaque règne, et où trouver aujourd'hui des particuliers qui remplacent pour l'art les princes et les prélats d'autrefois? Ces églises ouvrent chaque jour leurs portes à une foule plus ou moins nombreuse de personnes, qui y voient avec intérêt et émotion les représentations des objets de leur culte et de leurs croyances, et qui ne demanderaient pas mieux que de s'y intéresser avec ardeur et enthousiasme, si l'on prenait la peine de donner à ces représentations une valeur réelle et de la leur expliquer. Ce n'est donc pas, nous le répétons, la matière qui manque en France à l'art religieux; ce qui lui manque, c'est la foi, c'est la pudeur chez la plupart de ceux qui en sont les prétendus ouvriers. Ce qui importe, c'est de dénoncer aux hommes sincères et conséquents l'étrange abus qu'on fait des mots et des choses, dans un ordre d'idées et de faits qui exige plus de conscience et plus de scrupule qu'aucun autre. Ce qui importe encore, c'est de mettre à nu les plaies qui gangrènent l'application reli

gieuse de l'art, afin que la partie saine de la jeune génération d'artistes qui s'élève puisse en éviter le contact et la honteuse contagion.

Mais, avant d'aller plus loin, répondons d'avance en deux mots à une multitude d'objections et de reproches qui pourraient nous être adressés. Qu'on le sache bien, nous n'entendons nullement parler de l'art en général, mais uniquement de l'art consacré à reproduire certaines idées et certains faits enseignés par la religion tout le reste est complétement étranger à nos plaintes et à nos invectives. Nous n'empiéterons pas sur cette vaste extension d'idées qui comprend aujourd'hui sous le nom d'artistes jusqu'aux coiffeurs et aux cuisiniers. Nous ne prétendons en rien intervenir dans les grandes transformations, dans le rôle humanitaire que divers critiques et philosophes assignent à l'art, d'abord parce que nous n'y croyons pas, ensuite parce que nous n'y comprenons rien, enfin, et surtout, parce qu'il n'y a rien de commun entre tout cela et le catholicisme. En effet, le catholicisme n'a rien d'humanitaire, il n'est que divin, à ce que nous croyons; en outre il n'est nullement progressif, il est encroûté (pour me servir d'un terme familier et emprunté à l'atelier); d'où il suit que les œuvres d'art qu'il est censé inspirer ne doivent et ne peuvent être qu'encroûtées comme lui. Plein de respect pour la critique et pour la philosophie, nous leur laissons le domaine intact et l'usage exclusif de tous les tableaux de batailles, de toutes les scènes historiques, des marines, des paysages, de la peinture de genre dans toutes ses intéressantes branches; nous leur laissons les masses d'infanterie et de cavalerie savamment échelonnées, les assemblées populaires et politiques d'hommes en frac; les intérieurs, les cuisines, les plats de fruits avec des mouches qui en dégustent délicatement le suc; le lever et le coucher des grisettes, les pêcheurs

d'huîtres, les intérieurs de chenil, les belles dames en robe de satin, et les notabilités municipales en habit de garde national, en un mot, tous les sujets qui inspirent la peinture moderne et réjouissent le public civilisé; nous ne nous réservons absolument que le droit de parler sur le tout petit coin qui est laissé à l'art religieux, ou, pour parler la langue du jour, à l'art concentré dans le domaine du fanatisme et de la superstition.

Qu'on se rassure donc, il ne s'agit nullement pour nous de savoir si l'art en général sera catholique ou non. C'est là tout bonnement la question de la destinée du monde. Il est certain que si la société tout entière redevenait catholique, l'art le serait aussi, bon gré mal gré; mais il est également certain que, si cela arrive jamais, ce ne sera pas de nos jours, et que tout le monde aura le temps d'y penser. Quant à nous, nous ne nous occupons que du présent, et voici ce que nous en disons: il est de fait qu'actuellement en France il y a beaucoup d'hommes fanatiques et superstitieux, dits catholiques, et que ces catholiques ont des églises vastes et nombreuses, publient des livres de piété illustrés, ornent des chapelles et des oratoires, pour lesquelles églises, oratoires, chapelles, livres illustrés et autres, les artistes de nos jours, grands et petits, font tous les ans une foule de tableaux, estampes, lithographies, statues, bas-reliefs en carton-pierre et en marbre. Il semblerait, au premier abord, que tous ces divers objets d'art, étant à l'usage exclusif des gens religieux, dussent porter quelques traces de l'esprit de leur religion même. Eh bien! il n'en est rien. Au milieu du fractionnement général de la société, fractionnement que l'art a suivi de manière à administrer à chacun selon ses besoins et ses idées, la fraction des hommes qui usent du culte, comme dit M. Audry de Puyraveau, soit en théorie, soit en pratique, cette fraction est comme

la tribu de Lévi; elle n'a rien ou plutôt moins que rien, pire que rien; car elle est inondée de produits divers qui lui sont inintelligibles et inutiles, ou bien antipathiques et injurieux. Avez-vous les goûts militaires? MM. Horace Vernet, Bellangé, Eugène Lamy, et mille autres, sont là pour vous pourvoir abondamment de toutes les batailles que vous pouvez désirer. Aimez-vous, au contraire, la vie sédentaire, les jouissances domestiques, ce qu'on appelle les études de mœurs? Alors MM. Court, Roqueplan, etc., se chargent de récréer vos yeux par une foule de représentations empruntées à cet ordre d'idées et d'habitudes, et souvent pleines de talent et d'esprit. Fatigué de la monotonie de la vie française, aspirez-vous après l'éclatant soleil et les pittoresques mœurs de l'Italie? M. Schnetz et ses émules vous transporteront au sein de cette patrie de la beauté par la chaleur et la fidélité de leurs pinceaux. Avez-vous, par hasard, juré une fidélité désespérée à la mythologie antique? Il y a toujours à chaque salon, surtout parmi les sculpteurs, plusieurs traînards du paganisme; et d'ailleurs vinssent-ils à manquer, il vous resterait toujours les doctrines de l'Académie des beaux-arts, les concours pour les prix de Rome et les regrets de certains feuilletonistes. Préférez-vous sagement les gloires et les souvenirs de notre Europe moderne ? Vous avez MM. Scheffer, Delaroche, Hesse et d'autres qu'on pourrait nommer à côté d'eux, qui ont conquis une place honorable dans l'histoire de l'art pour l'école française de nos jours. En un mot, tout le monde en a pour son goût; et si la caricature réclame par le fait une place dans chacun de ces divers genres, elle peut le faire à bon droit, parce qu'elle n'en envahit aucun, et que sa modestie ajoute à sa vérité. Mais dans le cas où vous seriez catholique, toute satisfaction vous sera refusée; il ne vous restera d'autre ressource que de voir la religion, la seule chose au monde

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