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Telle était la doctrine des Épicuriens, laquelle, toute brutale qu'elle est, tâchait de s'appuyer sur des arguments; et ce qui paraît le plus vraisemblable, c'est la preuve qu'elle a tirée de la (a) distribution des biens et des maux telle qu'elle est représentée dans notre évangile. « Le monde se réjouira, dit le Fils de Dieu; et vous, << mes disciples, vous serez tristes 1. » Qu'est-ce à dire ceci, chrétiens? Le monde, les amateurs des biens périssables, les ennemis de Dieu seront dans la joie: encore ce désordre est-il supportable; mais vous, ô justes, ô enfants de Dieu, vous serez dans l'affliction et2 dans la tristesse. C'est ici que le libertinage s'écrie que l'innocence ainsi opprimée rend un témoignage certain contre la Providence divine, et fait voir que les affaires humaines vont au hasard et à l'aventure.

Ah! fidèles, qu'opposerons-nous à cet exécrable blasphème, et comment défendrons-nous contre les impies les vérités que nous adorons (b)? Écouterons-nous les amis de Job qui lui soutiennent qu'il est coupable, parce qu'il était affligé, et que sa vertu était fausse, parcequ'elle était exercée ? « Quand est-ce que l'on a vu, di<< saient-ils, que les gens de bien fussent maltraités (c) ? << cela ne se peut, cela ne se peut. » Mais au contraire, dit le Fils de Dieu, ceux dont je prédis les afflictions, ce ne sont ni des trompeurs, ni des hypocrites; ce sont mes disciples les plus fidèles, ce sont ceux dont je propose la vertu au monde, comme l'exemple le plus achevé d'une bonne vie1. « Ceux-là, dit Jésus, seront affligés, » vos au

Var. (a) Avait. —(b) L'adorable vérité de notre Évangile.— (c) La vertu maltraitée et les gens de bien affligés?

1. Joan., XVI, 20.

2. Omis par les éditeurs.

3. Job, iv, 7.

4. Vers.: d'une vie bonne.

tem [contristabimini] : voilà qui paraît bien étrange, et les amis de Job ne l'ont pu comprendre.

D'autre part, la philosophie ne s'est pas moins embarrassée sur cette difficulté importante: écoutez comme parlaient certains philosophes, que le monde appelait les stoïciens. Ils disaient avec les amis de Job: C'est une erreur de s'imaginer que l'homme de bien puisse être affligé. Mais ils le1 prenaient d'une autre manière : c'est que le sage, disaient-ils, est invulnérable et inaccessible à toutes sortes de maux ; quelque disgrâce qui lui arrive, il ne peut jamais être malheureux, parce qu'il est luimême sa félicité. C'est le prendre d'un ton bien haut pour des hommes faibles et mortels. Mais, ô maximes vainement pompeuses! ô insensibilité affectée ! ô fausse et imaginaire sagesse, qui croit être forte parce qu'elle est dure, et généreuse, parce qu'elle est enflée! que ces principes sont opposés à la modeste simplicité (a) du Sauveur des âmes, qui, considérant dans notre évangile ses fidèles dans l'affliction, confesse qu'ils en seront attristés, vos autem contristabimini; et partant leurs douleurs seront effectives.

Plus nous avançons, chrétiens, plus les difficultés nous paraissent grandes. Mais voulez-vous voir3 en un mot (5) le dernier effort de la philosophie impuissante, afin que, reconnaissant l'inutilité de tous les remèdes humains1, nous recourions avec plus de foi à l'évangile du Sauveur des âmes? Sénèque a fait un traité exprès pour défendre

VAR. (a) Doctrine modeste. (b) Voyons encore le dernier effort.

1. ED. ils se prenaient. Ce qui n'a aucun sens.

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la cause de la Providence et 1 fortifier le juste souffrant; où, après avoir épuisé toutes ses sentences pompeuses et tous ses raisonnements magnifiques, enfin il introduit Dieu parlant en ces termes au juste et à l'homme de bien affligé: « Que veux-tu que je fasse? dit-il; je n'ai pu te << retirer de ces maux, mais j'ai armé ton courage contre << toutes choses: » Quia non poteram vos istis subducere, animos vestros adversus omnia armavi 2. Je n'ai pu : quelle parole à un Dieu! Est-ce donc une nécessité absolue qu'on ne puisse prendre le parti de la Providence divine, sans combattre ouvertement sa toute-puissance ? C'est ainsi que réussit la philosophie quand elle se mêle de faire parler cette majesté souveraine, et de pénétrer ses secrets. Allons, fidèles, à Jésus-Christ, allons à la véritable sagesse; écoutons parler notre Dieu dans sa langue naturelle, je veux dire dans les oracles de son Écriture; cherchons aux innocents affligés des consolations plus solides dans l'évangile de cette journée. Mais, afin de procéder avec ordre, réduisons nos raisonnements à trois chefs tirés des paroles du Sauveur des âmes, que j'ai alléguées pour mon texte. « Le monde, dit-il, se réjouira, et vous, << ô justes, vous serez tristes, mais votre tristesse sera <«< changée en joie. » Le monde se réjouira; mais ce sera certainement d'une joie telle que le monde la peut avoir, trompeuse, inconstante et imaginaire, parce qu'il est écrit « que le monde passe3. » Mundus autem gaudebit. « Vous, « ô justes, vous serez tristes; » mais c'est votre Médecin qui vous parle ainsi, et qui vous prépare cette amertume: et donc elle vous sera salutaire, vos autem contris

1. Omis par Déf. et Vers.

2. De Provid., VI. Ms., Viv, ... potui subducere te istis omnibus... animum adversus...

3. I Joan., 11, 17.

4. Omis par Déf. et Vers.

tabimini. Que si peut-être vous vous plaignez qu'il vous laisse sans consolation sur la terre au milieu de tant de misères, voyez qu'en vous donnant cette médecine il vous présente de l'autre main la douceur d'une espérance assurée, qui vous ôte tout ce mauvais goût et remplit votre âme de plaisirs célestes : « votre tristesse, dit-il, sera changée en joie, » tristitia vestra vertetur in gaudium.

Par conséquent, ô homme de bien, si parmi tes afflictions il t'arrive de jeter les yeux sur la prospérité des méchants, que ton cœur n'en murmure point, parce qu'elle ne mérite pas d'être désirée ; c'est la première vérité de notre évangile. Si cependant les misères croissent, si le fardeau des malheurs s'augmente, ne te laisse pas accabler, et reconnais dans la douleur qui te presse l'opération du Médecin qui te guérit, vos autem contristabimini: c'est le second point. Enfin, si tes forces se diminuent, soutiens ton courage abattu par l'attente du bien que l'on te propose, qui est une santé éternelle dans la bienheureuse immortalité, tristitia vestra [vertetur in gaudium; c'est par où je finirai ce discours. Et voilà en abrégé, chrétiens, toute l'économie de cet entretien, et le sujet du saint évangile que l'Église a lu ce matin dans la célébration des divins mystères. Reste que vous vous rendiez attentifs à ces vérités importantes. Laissons tous les discours superflus; cette matière est essentielle, allons à la substance des choses avec le secours de la grâce.

[PREMIER POINT]

Pour entrer d'abord en matière, je commence mon raisonnement par cette proposition infaillible, qu'il n'est rien de mieux ordonné que les événements des

choses humaines, et toutefois qu'il n'est rien aussi où la confusion soit plus apparente1.

Qu'il n'y ait rien de mieux ordonné, il m’est aisé (a) de le faire voir par ce raisonnement invincible. Plus les choses touchent de près à la Providence et à la sagesse divine, plus la disposition en doit être belle: or, dans toutes les parties de cet univers, Dieu n'a rien de plus cher que l'homme qu'il a fait à sa ressemblance; rien par conséquent n'est mieux ordonné que ce qui touche cette créature chérie, et si avantagée par son Créateur. Et si nous admirons tous les jours tant d'art, tant de justesse, tant d'économie dans les astres, dans les éléments, dans toutes les natures inanimées, à plus forte raison doit-on dire qu'il y a un ordre admirable dans ce qui regarde les hommes. Il y a donc certainement beaucoup d'ordre; et toutefois il faut reconnaître (b) qu'il n'y a rien qui paraisse moins (c). Au contraire, plus nous pénétrons dans la conduite des choses humaines, dans les événements des affaires, plus nous sommes contraints d'avouer qu'il y a beaucoup de désordre.

Ce serait une insolence inouïe, si nous voulions ici faire le procès à tout ce qu'il y a jamais eu de grand dans le monde. Il y a eu plus d'un David sur le trône; ce n'est pas pour une fois seulement que la grandeur et la piété se sont jointes: il y a eu des hommes extraordinaires que la vertu a portés au plus grand éclat, et la malice n'est pas si universelle que l'innocence n'ait été souvent couronnée. Mais, chrétiens, ne nous flattons pas; avouons,

VAR. (a) C'est ce qu'il m'est aisé. · (b) Confesser. — (c) Il y a beaucoup de confusion.

1. Un renvoi de Bossuet (f. 123, v°, l. 8) avertit de chercher la suite au milieu de la page suivante (f. 124, l. 19).

2. Un signe du ms. (1. 29) nous fait revenir à la page précédente (1.8).

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