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voir ceux qu'il reconnoît pour ses enfants légitimes. Et quand il les aura marqués, qu'il aura débrouillé cette confusion qui les mêle, elles tourneront toute leur fureur contre ses ennemis : Pugnabit cum eo orbis terrarum contra insensatos (Sap., v. 21.): « Tout l'univers com>> battra avec lui contre les insensés. » Elles se soumettront volontiers à ses enfants: Omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc,.... revelationem expectans filiorum Dei: « Jus» qu'à présent toute créature soupire et paroît >> dans l'enfantement,... attendant la manifes>>tation des enfants de Dieu. >>

Si nous allons encore plus avant dans le dessein de Dieu, nous trouverons quatre communications de sa nature. La première dans la création, la seconde se fait par la grâce, la troisième de sa gloire, la quatrième de sa personne. Et si le moins parfait est pour le plus excellent; donc la création regardoit la justification, et la justification étoit pour la communication de la gloire, et la communication de la gloire pour la personnelle. C'est la gradation de saint Paul : Omnia vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei (1. Cor., ш. 22, 23.) : « Tout est à » vous, et vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus» Christ est à Dieu. » Mais il ne faut pas séparer Jésus-Christ d'avec ses élus, d'autant que c'est le même esprit de Jésus-Christ qui se répand sur eux : tanquam unguentum in capite (Psal., CXXXII. 2.): « Comme le parfum répandu sur la >> tête, qui descend sur toute la barbe d'Aaron. >> Ce sont ses membres, et la glorification n'est que la consommation du corps de Jésus-Christ : Donec occurramus ei in virum perfectum secundùm mensuram plenitudinis Christi (Ephes., Iv. 13.): » Jusqu'à ce que nous parve» nions à l'état d'un homme parfait, à la me» sure de l'âge et de la plénitude selon laquelle » Jésus-Christ doit être formé en nous. » Et nous sommes tous bénis en Jésus-Christ, tanquam in uno (Galat., III. 16.), « commc en un seul. » Donc les prédestinés sont ceux qui ont toutes les pensées de Dieu dès l'éternité, ce sont ceux à qui aboutissent tous ses desseins. C'est pourquoi, отnia propter electos (2. Cor., IV. 15.) » Tout >> est pour les élus. » C'est pourquoi encore, diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum (Rom., VIII. 28.): « Tout contribuera » au bien de ceux qui aiment Dieu » omnia, tout; d'autant que tout étant fait pour leur gloire, il n'y a rien à qui le Créateur n'ait donné une puissance et même une secrète inclination de Jes y servir,

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Et il y a ici deux choses à remarquer : l'une, que c'est à eux que se terminent tous les desseins de Dieu; la seconde, qu'ils se terminent à eux conjointement avec Jésus-Christ.

Quel doit être cet ouvrage à qui la création de cet univers n'a servi que de préparation, que Dieu a regardé dans toutes ses actions, qui étoit le but de tous ses désirs, enfin après l'exécution duquel il se veut reposer toute l'éternité? Il y aura assez de quoi contenter cette nature infinie. Lui qui a trouvé que la création du monde n'étoit pas une entreprise digne de lui, se contentera après avoir consommé le nombre de ses élus. Toute l'éternité il ne fera que leur dire : Voilà ce que j'ai fait; voyez, n'ai-je pas bien réussi dans mes desseins! pouvois-je me proposer une fin plus excellente?

Et qui peut douter que ce dessein ne soit tout extraordinaire, puisque Dieu y agit avec passion? Il s'est contenté de dire un mot pour créer le ciel et la terre. Nous ne voyons pas là une émotion véhémente. Mais pour ce qui regarde la gloire de ses élus, vous diriez qu'il s'y applique de toutes ses forces: au moins y a-t-il employé le plus grand de tous les miracles, l'incarnation de son Fils. « Ne s'est-il pas lié et comme collé d'affection avec » son peuple? » Conglutinatus est Dominus patribus nostris ( Deut., x. 15.). Tantôt il se compare à un aigle qui excite ses petits à voler, tantôt à une poule qui ramasse ses petits poussins sous ses ailes. Il condescend à toutes leurs foiblesses; son amour le porte à l'excès, et lui fait faire des actions qui paroissent extravagantes. Ecoutez comme il crie au milieu du temple: Si quis sitit, veniat ad me et bibat (JOAN., VII. 37.) : « Si › quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il >> boive. » Il n'en faut pas douter. Il y a ici une inclination véhémente. Jamais Dieu n'a rien voulu avec tant de passion or vouloir à Dieu, c'est faire. Donc ce qu'il fera pour ses élus sera si grand, que tout l'univers ne paroîtra rien à comparaison de cet ouvrage. Sa passion est si grande, qu'elle passe à tous ses amis, et fait remuer à ses ennemis tous leurs artifices pour s'opposer à l'exécution de ce grand dessein. C'est le propre des grands desseins de s'étendre à beaucoup de personnes. Et nous ne jugeons jamais un dessein si grand, que lorsque nous voyons que tous les amis y prennent part, et que tous les ennemis s'en remuent. Comme ils ne s'excitent qu'à cause de nous, et que nous donnons le branle à tous leurs mouvemens, il faut que notre émotion soit bien grande pour porter son coup si loin.

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Elle paroît bien son affection envers ces élus par les soins qu'il a de les rechercher. N'est-ce

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pas lui qui les a assemblés de tous les coins de la terre, qui leur a donné le sang de son Fils? Et celui qui leur a donné son Fils, que leur peut-il refuser? Il a pris plaisir lui-même de les faire aimables; afin de leur donner sans réserve son affection: Dedit semetipsum pro nobis, ut mundaret sibi populum acceptabilem, sectatorem bonorum operum (TIT., II. 14.): « Il s'est >> livré lui-même pour nous, afin de se purifier un » peuple qui lui fût agréable, et qui se portât avec >> ferveur aux bonnes œuvres. » Quoi! en ce monde, qui est un lieu d'épreuve et de larmes, où il ne leur promet que des misères, où il veut les séparer de toutes choses: Veni separare :... non veni pacem mittere, sed gladium (MATTH., X. 35. Ibid., 34.): « Je suis venu pour séparer... : je ne >> suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Cependant il les comble de bénédictions. Ils sont inébranlables, voient tout le monde sous leurs pieds ils se réjouissent dans leurs peines : Gaudentes quia digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati ( Act., v. 41.): « Remplis de » joie de ce qu'ils ont été jugés dignes de souffrir » des outrages pour le nom de Jésus. >> Au reste ils sont dans un repos, une fermeté et une égalité merveilleuse. Leurs chaînes délivrent les infirmes de leurs maladies: il donne de la gloire jusques à leur ombre. Vous diriez que quelque résolution qu'il ait prise, il ne sauroit s'empêcher de leur faire du bien et de leur laisser tomber un petit avant-goût de leur béatitude. Et cependant cela n'est rien, il leur en prépare bien davantage. Il n'estime pas que cela rompe la résolution de les affliger: tant il estime peu ses biens à comparaison de ceux qu'il leur garde ! Ce monde même, quoiqu'il ait été fait pour les élus, il semble que Dieu n'estime pas ce présent : ou s'il l'estime, c'est à peu près comme un père estimeroit cette partie du bien de ses enfants de laquelle ils auroient l'usage commun avec les valets. Ce soleil, tout beau qu'il est, luit également sur les bons et sur les impies. Et quelles seront donc les choses qu'il réserve pour ses enfants! Avec combien de magnificence les régalera-t-il dans ce banquet de la gloire, où il n'y aura que des personnes choisies, electi, et où il ne craindra plus de profaner ses bienfaits! Avec quelle abondance cette nature souverainement bonne se laissera-t-elle répandre ! abondance d'autant plus grande, qu'elle se sera rétrécie si long-temps durant le cours de ce temps misérable, et qu'il faudra alors qu'elle se débonde. Vivez, heureux favoris du Dieu des armées : il a tout fait pour vous; il vous a préservés parmi tous les périls de ce monde; il vous a gardés, quasi pupil

lam oculi sui (Deut., XXXII. 10.), « comme >> la prunelle de son œil. » Il ne s'est pas contenté de vous faire du bien par miséricorde ; il a voulu vous être redevable, afin de vous donner plus abondamment. Il a voulu vous donner le contentement de mériter votre bonheur, et a mieux aimé partager avec vous la gloire de votre salut et de son dessein dernier, que de diminuer la satisfaction de votre âme. Vous êtes les successeurs de son héritage c'est vous que regardent les promesses qu'il a faites à Abraham et à Isaac; mais c'est vous que regarde l'héritage promis à JésusChrist.

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Il faut donc savoir que tous les biens que Dieu promet aux prédestinés, c'est conjointement avec Jésus-Christ; il ne faut point séparer leurs intérêts. Dieu promet à Abraham de bénir toutes les nations: In semine tuo (Gen., XXII. 18.) : « Dans ton fils ; » où l'apôtre saint Paul remarque : Non in seminibus, sed tanquam in uno (Galat., III. 16.) : « L'Ecriture ne dit pas à ceux » de sa race, mais à sa race, c'est-à-dire à l'un » de sa race. »> Cette bénédiction, c'est ce qui fait cette nouvelle vie que Dieu nous donne. Donc cette vie nouvelle réside dans Jésus-Christ comme dans le chef, et de là elle se répand sur les membres. Mais ce n'est que la même vie : Vivo ego, jam non ego vivit verò in me Christus (Ibid., 11. 20.): « Je vis, ou plutôt ce n'est plus >> moi qui vis; mais c'est Jésus-Christ qui vit en >> moi. » L'héritage ne nous regarde qu'à cause que nous sommes les enfants de Dieu. Nous ne sommes les enfants de Dieu, que parce que nous sommes un avec son Fils naturel; d'autant que nous ne pouvions participer à la qualité d'enfant de Dieu, que par dépendance de celui à qui elle appartient par préciput. C'est pourquoi «< Dieu a envoyé dans >> vos cœurs l'esprit de son Fils qui crie: Mon » Père, mon Père: » Misit Deus in corda nostra spiritum Filii sui clamantem: Abba, Pater (Ibid., Iv. 6.). Cet esprit est un : Unus et idem spiritus (1. Cor., XII. 11.). Donc, et notre qualité de fils, et la prétention à l'héritage, et la nouvelle vie que nous avons par la régénération spirituelle, nous ne l'avons que par société avec Jésus-Christ: Tanquam in uno ( Galat., III. 16.) : << Comme dans un seul. » C'est pourquoi Dieu lui a donné l'abondance: Complacuit in ipso habitare omnem plenitudinem ( Coloss., I. 19.): « Il a >> plu au Père que toute plénitude résidât en lui; >> afin que nous fussions abondants par ses richesses. De plenitudine ejus nos omnes accepimus (JOAN., 1. 16.); « Nous avons tous reçu de sa pléni>> tude. »>

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La vie donc que nous avons, nous est commune avec Jésus-Christ: or la vie de la grâce et celle de la gloire est la même ; d'autant qu'il n'y a autre différence entre l'une et l'autre, que celle qui se rencontre entre l'adolescence et la force de l'âge. Là elle est consommée ; mais ici elle est en état de se perfectionner mais c'est la même vie. Il n'y a que cette diversité, qu'en celle-là cette vie a ses opérations plus libres à cause de la juste disposition de tous les organes ici elles ne sont pas encore parfaites, d'autant que le corps n'a pas encore pris tout son accroissement. C'est ce qu'explique l'apôtre saint Paul : Vita nostra abscondita est cum Christo in Deo ( Coloss., III. 3. ) : « Notre » vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. >> Maintenant dans cette vie mortelle la plupart de ses opérations sont cachées; la force de ce cœur nouveau ne paroit pas : Cùm autem Christus apparuerit, vita vestra, tunc et vos apparebitis (Ibid., 4.) : « Mais lorsque Jésus-Christ, qui est >> votre vie, viendra à paroître, alors vous paroì>>trez aussi. » Ah! ce sera lorsque votre vie paroîtra dans toute son étendue, que les facultés entièrement dénouées feront voir toutes leurs forces, et que Jésus-Christ paroîtra en nous dans toute sa gloire. C'est la raison pour laquelle l'apôtre parlant de la gloire, se sert quasi toujours du mot de révélation: Ad futuram gloriam quæ revelabitur in nobis (Rom., VIII. 13.): « Cette » gloire qui sera un jour découverte en nous; >> d'autant que la gloire n'est autre chose qu'une certaine découverte qui se fait de notre vie cachée en ce monde, mais qui se fera paroître toute entière en l'autre. Et le même apôtre décrivant, et notre adolescence en cette vie, et notre perfection en l'autre, dit que « nous croissons et que nous »> nous consommons en Jésus-Christ : » Occurramus ei in virum perfectum, secundùm mensuram plenitudinis Christi (Ephes., IV. 13.). Voilà pour l'état de la force de l'âge. Et en attendant, «croissons en toutes choses dans >> Jésus-Christ, qui est notre chef et notre tête: >> Interius crescamus in eo per omnia qui est caput Christus (Ibid., Iv. 15.). Donc l'apôtre saint Paul met la vie de la gloire en Jésus-Christ, comme celle de la grâce; et cela bien raisonnablement. Car la même chose en laquelle nous croissons, doit être celle en laquelle nous nous consommons. «< Or nous croissons en Jésus-Christ : >> Crescamus, etc. Donc nous devons nous consommer en Jésus-Christ, « jusqu'à l'état d'un >> homme parfait, à la mesure de l'âge et de la » plénitude selon laquelle Jésus-Christ doit être >> formé en nous: » In virum perfectum secun

dùm mensuram plenitudinis Christi. Et cela est d'autant plus véritable, que, si le commencement fait une unité, la consommation en doit faire une bien plus étroite. Donc nous sommes appelés à la gloire conjointement avec Jésus-Christ, et par conséquent nous posséderons le même royaume. Et pour signifier encore plus cette unité, l'Ecriture nous apprend que nous serons dans le même trône, Qui vicerit, dabo ei ut sedeat in throno meo (Apoc., III. 21.): « Qui>> conque sera victorieux, je le ferai asseoir avec >> moi sur mon trône. »

Or, pour concevoir la grandeur de cette récompense, il ne faut que penser ce que le Père éternel doit avoir fait pour son Fils. C'est son Fils unique Unigenitus qui est in sinu Patris ( JOAN., 1. 18.) : « Le Fils unique qui est dans le sein du Père. » C'est celui qu'il a oint de cette huile d'allégresse, c'est-à-dire de la divinité: Unxit te Deus, Deus tuus, oleo lætitiæ ( Ps., XLIV. 8.). C'est celui qui a toutes ses affections: Hic est Filius meus dilectus in quo mihi bene complacui (MATTH., III. 17.): « Celui-ci est mon Fils >> bien-aimé en qui j'ai mis toute ma complai>>sance. >> C'est son Fils unique ; et si nous sommes ses enfants, ce n'est que par un écoulement de l'esprit et de la vie de son Fils, qui a passé jusques à nous. Et c'est pourquoi seul il est l'objet de ses affections. Mais comme nous sommes ses enfants par la participation de l'esprit de son Fils, « par lequel nous crions : Mon Père, mon Père : » In quo clamamus: Abba, Pater (Rom., VIII. 15.), aussi sommes-nous ses bien-aimés par une extension de son amour. Il doit à ses élus la même affection qu'il a pour son Fils; et il leur doit par conséquent le même royaume. Et puisque nous sommes ses enfants, nous sommes ses bien-aimés. Par la société de la filiation et de l'amour de son Fils, nous devons aussi avoir le même héritage. C'est ce que dit l'apôtre saint Paul : Qui eripuit · nos de potestate tenebrarum, transtulit in regnum Filii dilectionis suæ (Coloss.,1. 13.) : << Il nous a arrachés de la puissance des ténèbres, » et nous a fait passer dans le royaume de son » Fils bien-aimé. »

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Voilà ce qu'étoit Jésus-Christ à son Père à raison de sa filiation; et cela faisoit sans doute une obligation bien étroite de lui préparer un royaume magnifique. Mais lui-même l'exagère encore dans l'Apocalypse: Qui vicerit, dabo ei ut sedeat in throno meo, sicut et ego vici et sedi ad dexteram Patris ( Apoc., 1. 21.): « Quicon» que sera victorieux, je le ferai asseoir avec moi » sur mon trône, comme ayant été moi-même

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> victorieux je me suis assis avec mon père sur » son trône. » Comme s'il disoit : Je devois attendre de mon père de grandes choses, à raison de la qualité que j'ai de son Fils unique et bien-aimé; mais quand je n'eusse dû rien attendre d'une affection si légitime, il ne me peut rien refuser après mes victoires. C'est moi qui ai renversé tous ses ennemis; c'est moi qui ai établi son royaume; par moi il est béni dans les siècles des siècles; par moi sa miséricorde et sa justice éclatent; je lui ai conquis un peuple nouveau et un nouveau royaume ; c'est moi qui ai établi la paix dans ses Etats. Y eut-il jamais un plus puissant exécuteur de ses ordres? J'ai renversé tous ses mis, et il fait redouter sa puissance à la terre et aux enfers. Y eut-il un fils plus obéissant que moi, après m'ètre souvent mis à la mort et à la mort de la croix ? Jamais prètre lui offrit-il une hostie plus agréable et plus sainte? Jamais y eut-il lévite qui lui ait immolé avec plus de pureté que moi, puisque je me suis immolé moi-même comme une hostie sainte et immaculée, non pas pour mes péchés, mais pour les péchés des autres? Ah ! il n'y a rien que je ne doive non-seulement attendre, mais encore justement exiger de mon Père. Aussi n'ai-je pas sujet de me plaindre de lui. Il a ouvert sur moi tous ses trésors; il m'a mis à sa dextre, et je ne pouvois pas attendre de plus grand honneur.

C'est là ce qui regarde Jésus-Christ: voilà ce qui nous regarde. Sa gloire est grande, il est vrai; mais le bien qui le regarde nous regarde aussi : ses prétentions sont les nôtres. S'il a vaincu, ce grand capitaine, il a vaincu pour nous aussibien que pour lui; et j'ose dire plus pour nous que pour lui; car il n'avoit rien quasi à gagner, étant dans l'abondance: ou s'il avoit quelque chose à gagner, c'étoient les élus. S'il a été obéissant à son Père, c'a été pour nous. Le sacrifice même de ce grand-prêtre est pour nous consommer avec lui dans son Père: Sanctifico pro eis meipsum ( JOAN., XVII. 19.)! « Je me sacrifie moi-même » pour eux. >> Et cela pourquoi ? Ut omnes unum sint, sicut tu in me et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint (Ibid., 21.) : « Afin qu'ils » soient un tout ensemble comme vous, mon » Père, vous êtes en moi, et moi en vous, qu'ils » soient de même un en nous. » Nous mourons en sa mort; nous ressuscitons en sa résurrection; nous sommes immolés dans son sacrifice tout nous est commun avec lui. Et si nos souffrances ne sont qu'une continuation des siennes : Adimpleo quæ desunt passionum Christi ( Coloss. 1. 24.) « J'accomplis ce qui reste à souffrir à Jé

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>> sus-Christ; »> notre gloire ne doit être qu'une extension de la sienne; Quod si, comme dit l'apôtre, cùm essemus inimici, reconciliati sumus in sanguine ipsius, multò magis reconciliati, salvi erimus in vitá ipsius ( Rom., v. 10.): « Si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous >> avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison étant maintenant récon>>> ciliés avec lui, nous serons sauvés par la vie de >> son même Fils. » Si lors même que nous étions séparés de lui, ce qui se passoit en lui venoit jusqu'à nous; si nous sommes morts au péché dans sa mort; à plus forte raison les propriétés de sa vie doivent nous être communiquées après que nous avons été réunis par la réconciliation avec son Père, et qu'il nous a lui-même donné sa vie.

La grâce et la vie nouvelle réside en lui; mais elle n'y réside que comme dans la principale partie. Et tout de même que la vie du cœur ne seroit pas parfaite, si elle ne se répandoit sur les membres, quoiqu'elle réside principalement dans le cœur ainsi il manqueroit quelque chose à la vie nouvelle de Jésus-Christ, si elle ne se répandoit sur les élus qui sont ses membres, quoiqu'elle réside principalement en lui comme dans le chef. Sa clarté ne paroît pas dans sa grandeur, si elle ne se communique; d'autant que ce n'est pas comme ces lumières découlées du soleil, qui ne se répandent pas plus loin : mais c'est une lumière et une splendeur première et originelle; telle que celle qui réside dans le soleil. Vous gâtez une source, quand elle ne s'étend pas dans tout le lit du ruisseau.

C'est pourquoi le Fils de Dieu dit à son Père : Ego in eis, et tu in me, ut sint consummati in unum (JOAN, XVII. 23.) : « Je suis en eux et >> vous en moi, afin qu'ils soient consommés dans >> l'unité.» Vous êtes un, mon Père, et vous voulez tout réduire à l'unité : Ut sint unum, sicut et nos unum sumus ( Ibid., 22.): « Afin qu'ils » soient un, comme nous sommes un. » C'est pourquoi vous êtes dans moi et moi en eux, «< afin » de les consommer dans l'unité » Ut sint consummati in unum. C'est pourquoi << je leur >> ai donné la clarté que vous m'avez donnée: >> Dedi eis claritatem quam dedisti mihi, ut sint unum sicut et nos (Ibid.); afin qu'ils soient un comme nous, parce que cette clarté m'est donnée pour la leur communiquer. Et « c'est par-là qu'il faut que le monde sache » que vous m'avez envoyé : » Ut sciat mundus quia tu me misisti ( JOAN., XVII. 23.). Voilà pourquoi, je suis venu; voilà votre dessein quand vous m'avez envoyé, de consommer tout en un,

C'est pourquoi, Pater, quos dedisti mihi (Ibid., 24.): : « Père, ceux que vous m'avez >> donnés, » non-seulement comme mes compagnons et comme mes frères, mais comme mes membres; volo, « je veux ; » ah! ce sont mes membres; si vous me laissez la disposition de moi-même, vous me devez laisser celle de mes membres Volo ut ubi sum ego, et illi sint (Ibid.): « Je veux que là où je suis, ils y soient » aussi. » Si je suis dans la gloire, il faut qu'ils y soient mecum, mecum, « avec moi, par >> unité avec moi; » afin qu'ils connoissent la clarté que vous m'avez donnée, qu'ils la connoissent en eux-mêmes, et qu'ils voient sa grandeur par son étendue et par sa communication : quam dedisti mihi, « C'est de vous que je la tiens, » mon Père. » C'est pourquoi, « parce que vous >> m'aimiez avant la création du monde: »> Quia me dilexisti à constitutione mundi; vous me l'avez donnée toute entière, capable de se communiquer et de se répandre; «< afin qu'où je suis >> ils y soient aussi avec moi, pour qu'ils voient » la gloire que vous m'avez donnée : » Ut ubi ego sum et illi sint mecum, ut videant claritatem meam quam dedisti mihi ( Ibid. ). « Je >> me sacrifie pour eux » et pour leurs péchés: Ego pro eis sanctifico meipsum (Ibid., 19.). C'étoient des victimes dues à votre colère : je me mets en leur place, pro eis, « pour eux; » afin qu'ils soient saints et consacrés à votre majesté à même temps que je me dévoue et me sacrifie moi-même.

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Quand les bras ou les autres membres ont failli, c'est assez de punir le chef. Quand on couronne le chef, il faut que les membres soient couronnés s'ils ne participent à la gloire du chef, il faut que la gloire du chef soit petite. Il manqueroit quelque chose à la perfection de mon offrande, s'ils n'étoient offerts en moi : Sanctifico meipsum pro eis, ut sint et ipsi sanctificati : : « Je me » sanctifie moi-même pour eux, afin qu'ils soient >> aussi sanctifiés : » à ma mort, s'ils ne mouroient par ma mort: Adimpleo quæ desunt passionum Christi pro corpore ejus quod est Ecclesia (Coloss., I. 24.) : « J'accomplis ce qui manque aux >> souffrances de Jésus-Christ pour son corps qui » est l'Eglise (1): » à ma vie, à ma résurrection et

(1) Bossuet a mis ici à la marge de son manuscrit ce texte de l'apôtre (Ephes., 1. 22, 23.): Et ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, quæ est corpus ejus et plenitudo ejus, qui adimpletur omnia in omnibus: « Il l'a donné » pour chef suprême à l'Eglise, laquelle est son corps, et » dans laquelle il trouve son entière perfection, lui qui >> accomplit tout en tous. » Sur quoi il fait cette glose : Id eoque adimpletur, eò quòd fit omnia in omnibus: Il accomplit tout en tous, parce qu'il est tout en tous, Edit, de Déforis.

à ma gloire, s'ils ne ressuscitoient par ma résur rection, et ne vivoient par ma vie, et ne fussent glorieux par ma gloire. Mon Père, je suis en eux il faut donc que « l'amour que vous avez » pour moi, soit en eux : » Dilectio quá dilexisti me in ipsis sit, et ego in eis (JOAN., XVII. 26.); et il faut aussi que la joie et la gloire que vous me donnerez soit en eux, « afin que ma joie soit pleine >> en eux : » Ut habeant gloriam meam impletam in semetipsis (Ibid., 13.). Mea omnia tua sunt, et tua mea sunt ; et ego clarificatus sum in eis (Ibid., 10.): « Tout ce qui est à moi est >> à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ; et je >> suis glorifié en eux. »

La gloire du chef tombe sur les membres, et la gloire des membres revient au chef. Je suis glorifié en eux; il faut qu'ils soient glorifiés en moi. Père saint, Père juste, je vous les recommande : puisqu'ils sont à moi, ils sont à vous; et si vous m'aimez, vous en devez avoir soin comme de moi. Enfin il ne veut dire autre chose par tout ce discours, sinon que nous sommes tous à lui, comme étant un avec lui, et comme devant être aimés du Père éternel par la même affection qu'il a pour lui: non pas qu'elle ne soit plus grande pour lui que pour nous; mais cela ne fait pas qu'elle soit différente. C'est le même amour qui va droit à lui, et rejaillit sur nous à peu près comme une flèche qui par un même coup et un même mouvement perce la première chose qu'elle rencontre, et ne fait à ce qu'elle attrape après, qu'une légère entamure. Ou comme un bon père qui regarde ses enfants et les leurs par un même amour, qui ne laisse pas d'être plus grand dans ses enfants sur lesquels se porte sa première impétuosité. Ou plutôt comme nous aimons d'une même affection tout notre corps, quoique nous ayons plus de soin de conserver et honorer les plus nobles parties.

Et après cela nous nous étonnons si Dieu agit avec passion! Et s'il agit avec passion, comment ne produira-t-il point des effets extraordinaires, et qui surpasseront toutes nos pensées ? La passion fait faire des choses étranges aux personnes les plus foibles et que fera-t-elle à Dieu? Elle fait surpasser aux hommes leur propre puissance : eh ! le moins qu'elle puisse faire à Dieu, c'est de lui faire passer les bornes de sa puissance ordinaire. Non, ce n'est pas assez, pour rendre les élus heureux, d'employer cette puissance par laquelle il a fait le monde ; il faut qu'il étende son bras In manu potenti et brachio extento (Deut., v. 15.): « Avec une main forte et un bras » étendu. » Il ne s'attachera plus aux natures des choses; il ne prendra plus loi que de sa puissance

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