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sacrent le plus exclusivement leur temps à satisfaire leurs haines privées par le meurtre, de se procurer avant tout une retraite où ils puissent se mettre à l'abri de l'attaque de leurs ennemis, combattre leurs ennemis avec avantage, et retenir dans les fers ceux qui se sont trouvés les plus faibles.

« Ils élèvent aussi haut qu'il leur est possible un monticule de terre transportée; ils l'entourent d'un fossé d'une largeur considérable et d'une effrayante profondeur. Sur le bord intérieur du fossé, ils plantent une palissade de pièces de bois équarries et fortement liées entre elles, qui équivaut à un mur. S'il leur est possible, ils soutiennent cette palissade par des tours élevées de place en place. Au milieu de ce monticule, ils bâtissent une maison ou plutôt une citadelle d'où la vue se porte de tous côtés également. On ne peut arriver à la porte de celle-ci que par un pont qui, jeté sur le fossé et porté sur des piliers accouplés, part du point le plus bas, au-delà du fossé, et s'élève graduellement jusqu'à ce qu'il atteigne le sommet du monticule et la porte de la maison, d'où le maître le domine tout entier. »>

Dans l'image des villes figurées sur la tapisserie de Bayeux, nous voyons très-distinctement ce pont de bois dont parle Colmieu, et par lequel on montait à la porte du donjon. J'ai reproduit, dans mon Cours d'antiquités, un fragment de cette tapisserie, qui représente la ville de Rennes et le siége de Dinan par l'armée de Guillaume en 1065. Ces deux villes y sont indiquées simplement comme des donjons assis sur leurs mottes.

Après cette citation, M. de Caumont présente le tableau des mottes en terre qu'il a déjà produit dans son Cours d'antiquités et qui appartiennent à l'ancien diocèse de Lisieux (Voir pages 102 et 103).

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Ces mottes ne sont pas toutes du même temps; s'il y en a qui peuvent être du Xe siècle, la plupart vraisemblablement datent du XI. Il y en a peut-être quelques-unes qui ne sont que du XII; mais la plupart doivent correspondre à l'ère romane: M. de Caumont renvoie d'ailleurs aux détails qu'il a donnés sur les châteaux à mottes dans son Abécédaire et dans son Cours. Il n'en est pas moins tout prêt à modifier sa classification chronologique si des faits bien observés et contraires à ce qu'il vu viendront à se produire.

M. le vicomte de Neuville va jeter un coup d'œil sur l'ensemble des ouvrages de défense, appartenant à différents âges, qui existent dans la région. Cet aperçu rapide est écouté avec beaucoup d'intérêt.

M. L. de Neuville croit reconnaître dans les enceintes de terre du Pays-d'Auge trois systèmes de fortifications tout à fait distincts. D'abord les camps romains qui, par leur régularité et leur caractère uniforme, ne peuvent se confondre avec les restes d'aucune autre époque. Il a vu souvent attribuer la construction de ces camps au temps de la conquête romaine, où ils auraient eu pour but d'assurer la soumission de la population gauloise. Il ne croit pas cette opinion fondée. Ces camps, formant une ligne concentrique autour de la plaine de Caen, lui semblent avoir eu pour but la défense du pays contre des invasions maritimes auxquelles les côtes basses de la plaine se trouvaient plus particulièrement exposées, ou contre les attaques de Barbares qui s'y seraient établis après la destruction des cités romaines. Il ne pense donc pas que ces camps puissent remonter au-delà du III° ou du IVe siècle de notre ère.

Une seconde classe d'ouvrages en terre, auxquels le nom de mottes appartient plus spécialement, se composait d'une

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enceinte de fossés souvent circulaire et ordinairement destinée à recevoir une eau assez profonde pour ne pouvoir être franchie à gué, hors le cas assez fréquent où une rivière en tenait lieu. Ces fossés ou cette rivière circonscrivaient une éminence factice au sommet de laquelle s'élevait un donjon ou tour d'une importance considérable dans laquelle, avec les fossés pleins d'eau, se trouvait toute la force de résistance de la place; en effet, bien que le bord intérieur des fossés ait pu être garni de palissades, on n'attachait cependant que peu d'importance à ce moyen de défense, ainsi que le démontre la situation d'un grand nombre de mottes placées dans des vallons étroits et dominées à portée de trait par des hauteurs très-supérieures. Il est à remarquer que les fouilles entreprises sur l'emplacement de ces mottes ne produisent habituellement aucun résultat: la raison en est que les terres dont elles sont formées ont été amoncelées avant la construction des donjons qui les surmontaient. On trouve étrange que ces donjons n'aient laissé aucun vestige et l'on en a conclu qu'ils devaient souvent être bâtis en bois. M. de Neuville ne regarde pas cette conclusion comme justifiée, la rareté des matériaux solides dans le Pays-d'Auge ayant ordinairement fait poursuivre la démolition des édifices anciens jusqu'aux fondations dont le plan se trouve parfois dessiné en creux sur le terrain au lieu de l'être en relief. Quant à l'époque que l'on peut assigner à l'érection des ouvrages de cette classe, c'est selon l'opinion la plus vraisemblable le temps des premiers ducs de Normandie jusqu'à Guillaume-le-Conquérant. Il est, en effet, remarquable que la plupart des fiefs les plus importants du pays de Lisieux avaient pour siéges des mottes de cette espèce, comme Roncheville, Brucourt, Coquainvilliers et tant d'autres. On peut même constater que plusieurs des grandes forteresses de pierre du XIIe siècle ont succédé

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