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poxylées; Pelvet, de Vire, qui a formé un précieux herbier cryptogamique; Chauvin surtout, qui fut successivement professeur au Lycée et à la Faculté des Sciences de Caen et qui excellait dans la préparation des hydrophytes. Dans une notice émue et savante, dont vous avez conservé le souvenir, René Lenormand a fait ressortir l'importance des découvertes de ce dernier naturaliste, qui avait été son compatriote et son ami d'enfance; mais il a eu soin de garder le silence sur ses propres travaux. La même abnégation se retrouve dans son éloge de Turpin, un autre botaniste éminent que la ville de Vire a vu naître.

En 1828, le 16 octobre, René épousa Milo Mélitte Legouix, fille d'un avoué très-considéré de Vire, et, l'année suivante, la naissance d'une fille vint encore ajouter au bonheur des époux; mais, hélas! le bonheur parfait n'est pas de ce monde ; cette chère enfant leur fut enlevée à l'âge de six mois, et ce malheur fut d'autant plus grand qu'il ne devait pas être réparé.

A la Révolution de 1830, M. Dubourg-d'Isigny, président du Tribunal civil de Vire, très-attaché à la famille des Bourbons, ne voulant pas prêter serment au gouvernement nouveau, se décida à donner sa démission; mais, avant que sa décision fût connue il en fit part à René, en ajoutant que ce serait pour lui une grande satisfaction de l'avoir pour successeur. M. Dupont de l'Eure était alors ministre de la Justice et il eût été heureux de nommer le fils de son ancien collègue et ami. Cette démarche, si honorable à la fois pour le président et pour le jeune avocat, n'eut pas de suite. Par un désintéressement bien

rare, surtout aux époques de révolution, où tant de gens se précipitent sur les emplois publics, René voulut rester avocat et indépendant, et il n'invoqua ses bons souvenirs que pour faire entrer dans la magistrature ses confrères du barreau virois.

En octobre 1835, René Lenormand renonça au barreau et au séjour de Vire. La santé de Mme Lenormand s'était altérée et exigeait des soins assidus; les deux époux allèrent fixer leur résidence à Lénaudières, hameau de Tallevende-le-Grand, dans une propriété faisant partie de la succession de M. Lenormand père et dont M. Legouix avait facilité l'acquisition à son gendre.

Empruntons à M. le comte Jaubert une charmante description d'une visite à cette délicieuse retraite.

«Le voyageur qui se rend à pied à Lénaudières, << en partant de Vire, traverse un pays pittoresque, << mêlé de bois et de prairies; il s'engage ensuite « dans une vée ombreuse, qui conduit à la demeure « du sage:

Vos sapere et solos aio bene vivere, quorum
Conspicitur nitidis fundata pecunia villis (4).

« C'est un petit manoir patrimonial, de bonne « apparence et qui sent sa vieille bourgeoisie, « loin des villages, dans une situation riante. Au « fond, une belle plantation de sapins l'abrite, ainsi « que le potager, paulum sylva super his de la maison << d'Horace. A l'ouest, la Cour normande, qui est un

(1) Horat., Epist., I, 15.

« verger avec une fontaine, jugis aquæ fons, et la « métairie, modus agri non itu magnus (1). A l'est,

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une allée en terrasse et taillée, dont les ouvertures « latérales laissent glisser la vue dans un vallon et au-delà, sur des collines boisées. Au midi, des bosquets composés de plantes choisies de pleine terre, sorte de jardin botanique, moins les étiquettes. « Point de portier, on entre partout en tournant a le loquet d'une barrière basse. Au seuil, un << cordial accueil vous attendait. Alors commen« çaient les entretiens familiers où le cœur avait la « meilleure part, mais où la botanique ne tardait guère à se placer en tiers qui ne craint jamais « d'être importun. L'herbier fournissait d'inépui«sables sujets de recherche et de comparaison; une << foule de questions de nomenclature, de géographie botanique, de culture, étaient tour à tour abor«dées sans fatigue ni pédanterie. Bientôt une « courte promenade entraînait, dans le voisinage, « à la recherche de ce que nous appelons une bonne plante: le Sibthorpia europæa, par exemple, au << moulin de Bionnet; le Lepidium Smithii, que le << visiteur, pressé d'arriver au rendez-vous, avait «omis de cueillir sur les talus de la vée.

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« On s'asseyait ensuite à une table frugale, où le « cidre du crû était préféré aux vins fins du Midi, « qui pourtant n'y manquaient pas. Puis on passait << la revue des plantes du potager et des bosquets, « qui, à leur tour, provoquaient d'utiles obser<< vations.

(1) Horat., Sat., II, 6.

<< Comme les intérêts de la patrie restent, bon «gré mal gré, au fond de toutes choses, même « dans les existences que l'expérience a le plus dé<< tachées de la politique active, on s'entretenait, « dans l'allée de la terrasse, des événements, des « misères du temps présent, et on méditait sur « l'avenir. Telle était notre conversation, à la veille, « pour ainsi dire, des désastres de 1870. >>

C'est à partir de l'époque où René Lenormand vint se fixer à Lénaudières qu'il put enfin se livrer tout entier à ses études favorites et que date le prodigieux développement de son herbier. Avec sa jeune femme, qui avait bien vite partagé tous ses goûts, il faisait chaque année une excursion au bord de la mer, tantôt à Arromanches, où ils sont venus pendant plusieurs années, y donnant rendezvous à la famille Chauvin et à M. de Brébisson, tantôt à St-Vaast-la-Hougue, à Cherbourg, à Granville, etc. Ils explorèrent ainsi les côtes de la Manche, rapportant d'énormes cargaisons de plantes marines, qu'ils préparaient ensuite avec une perfection remarquable et qu'ils répandaient dans le monde entier, dont les productions les plus rares revenaient enrichir les collections de Lénaudières. C'est ainsi que de quarante cartons, assez minces, dont se composait son herbier, lors de (son mariage, Lenormand est arrivé, avec l'aide de sa chère compagne devenue son collaborateur infatigable, à former les six cents gros volumes qui se trouvent aujourd'hui au musée botanique de la ville de Caen.

En 1841, après la mort de D. Delise, l'herbier de ce savant botaniste, herbier si précieux pour la

cryptogamie, et surtout pour les lichens, était venu enrichir celui de René. Cette affectation que lui donna Mme Delise, d'accord avec ses enfants, eût été ratifiée par Delise lui-même, dont le fils, au lieu de s'occuper de sciences naturelles, se préparait alors, par des études sérieuses sur le droit et la jurisprudence, à la position élevée qu'il occupe aujourd'hui à la tête du Parquet de la Cour de Caen.

Plus tard, René acheta l'herbier de Despréaux, qui renfermait des phanérogames, des mousses, des algues, et surtout des lichens du plus haut intérêt. Il fit successivement l'acquisition de plusieurs belles collections, qu'il intercala dans son herbier.

Les largesses de Lenormand vis-à-vis des grandes collections et des botanistes en attiraient d'autres de la part de tous les collecteurs. Dans le discours qu'il a prononcé à l'occasion de la réunion de la Société Linnéenne à Vire, en juillet 1866, le savant botaniste de Lénaudières, qui ne perdait jamais l'occasion de prouver à ses correspondants toute sa gratitude, s'est plu à énumérer les noms de ceux d'entre eux qui ont le plus contribué à l'augmentation de son herbier. Cette liste ne comprend pas moins de cent-cinquante noms de botanistes appartenant à diverses parties du monde. - Harvey lui a magnifiquement payé sa dette après le voyage qu'il avait entrepris en Australie, surtout pour la récolte des algues; le Muséum d'histoire naturelle de Paris lui a expédié plusieurs centaines de plantes de l'île Bourbon, de la Nouvelle-Hollande, de la Guyane, et une belle suite de lichens exotiques;-une grande quantité de plantes de la Sibérie et du Caucase lui a

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