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sonnes contre les timidités impatientes et tyranniques de M. Villemain, intervint-il dans cette affaire, ne fût-ce que pour faire pièce au ministre ? Je ne sais. Toujours est-il que M. Charma se tira de ce mauvais pas, mais il ne s'en tira que bien et dûment averti.

C'est ce qui explique, je crois, la brusque interruption d'une carrière d'écrivain si brillamment commencée. Je ne doute même pas que sa verve de professeur et l'audace généreuse de ses leçons ne se soient ressenties de ce coup inattendu qui enfin lui ouvrait les yeux. Ce qui est certain, c'est qu'à partir de cette époque les ouvrages de longue haleine font place à de courtes brochures, presque toutes ou indifférentes par leurs sujets ou peu convenables au talent de M. Charma. Je ne ferai que les mentionner, en suivant autant que possible l'ordre des temps. C'est d'abord, pour commencer par les œuvres dogmatiques, un travail incomplet sur le sommeil, lu en 1851 devant notre Compagnie, et qui ne fut complété qu'en 1867 par un écrit sur le même sujet, rédigé loin des yeux et du concours du maître, par un de ses auditeurs, M. Fierville; puis un discours sur l'établissement d'une langue universelle, prononcé à la rentrée des Facultés en 1855; le résumé d'un cours d'esthétique, professé dans l'année scolaire 1857-1858; une brochure sur une nouvelle classification des sciences, 1859; un Manuel de philosophie, publié en 1833, réimprimé plusieurs fois, et dont la 4o et dernière édition est de 1868; quelques pages assez paradoxales, qui donnèrent lieu à de chaudes discussions, sur la part qui revient à la

philosophie dans les questions relatives à l'aliénation mentale, 1864; une dissertation non moins contestable qui a pour titre, Une définition du droit, 1866, dans laquelle l'auteur revient sur quelques idées de sa Philosophie sociale pour en aggraver encore la fausseté; et enfin une Démonstration de la création qui, en 1869, fut réunie avec les deux opuscules précédents en une seule brochure. Cette brève et sèche énumération en dit plus que les plus éloquentes paroles sur le découragement de l'auteur.

Je ne serai guère moins bref sur les travaux qui touchent à l'histoire de la philosophie. Commençons par la moderne pour finir par la scolastique. En 1846, M. Charma donna une Biographie de Fontenelle, et, en 1863, un Mémoire sur la vie et les œuvres de Condorcet, opuscules agréables et non sans intérêt, qui ne vont pas cependant au fond des choses, parce qu'ils négligent trop le savant dans Condorcet et le sceptique dans Fontenelle. L'étude sur Condorcet avait été précédée, en 1857, de deux notices biographiques, l'une sur Charles de Quens, et l'autre sur le P. André, une de ces médiocrités, comme il y en a tant, sur lequel M. Cousin avait eu la fantaisie d'appeler l'attention, et dont MM. Charma et Mancel avaient publié, en 1844-1857, quelques œuvres inédites depuis longtemps oubliées. Les Mémoires sur la scolastique, au moins les deux premiers, ont plus d'importance pour l'histoire de la philosophie. Ce sont deux belles et fortes études, en effet, que celle sur Lanfranc, donnée en 1849-1850, et celle sur saint Anselme en 1853. La notice biographique, littéraire et philosophique sur Guillaume de Conches, est loin d'avoir

cette valeur à cause de la médiocrité du personnage. Son principal intérêt est de nous faire connaître un de ces docteurs, beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit généralement, réfractaires à la philosophie dominante. Quant à l'étude sur le Compendiloquium de Jean de Galles (1866) et à celle sur le Fons philosophie, poëme du XIIIe siècle, par Godefroi de Saint-Victor (1868), elles ont pour objet de pures curiosités qui ne pouvaient avoir grand prix aux yeux de M. Charma. Ajoutez quelques morceaux philosophiques ou polémiques, mis dans les journaux du pays, entre autres celui qui parut en 1846 et 1847 sur l'Histoire de Dieu par Didron, et un certain nombre d'articles, tous répartis dans les deux premiers volumes du Dictionnaire des sciences philosophiques (1), et vous aurez à peu près tout ce qui est sorti de la plume de notre confrère, moins ses opuscules de pure archéologie. Ces travaux d'une nouvelle espèce ont dû être pertinemment appréciés par un de ses pairs de la Société des Antiquaires de Normandie : pour moi, telle est mon insuffisance en ces matières, qu'il me serait impossible de juger si M. Charma y apportait ou non les qualités requises. Je me bornerai à énumérer ces opuscules dans une note (2).

J'achève maintenant le peu qui me reste à dire

(1) Activité, analogie, André, argumentation, bien, Cléanthe, devoir, dialectique, enthymème, espèces ;-1844-1847.

(2) Billet d'indulgence délivré au XIIIe siècle par l'abbaye d'Ardennes à ses bienfaiteurs, 1850.

Protestation contre la démolition de l'église de St-Étienne-leVieux, 1850.

de sa biographie. Nommé secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie en 1853, outre les travaux qu'il faisait pour cette Société, M. Charma se donnait une peine extrême pour relire des manuscrits, revoir des épreuves, empaqueter les exemplaires à envoyer, et tenir la correspondance qu'il multiplia peut-être outre mesure. Ses fonctions de secrétaire lui créèrent de nombreuses relations, soit en France, soit à

Sur quelques objets antiques découverts à Notre-Dame-deLavoye, près Avranches, 1851.

Notice sur un manuscrit de la Bibliothèque de Falaise, 1851.
Rapport sur les fouilles faites à La Cambe, 1851.

Rapport sur les fouilles exécutées à Catillon, 1852.
Documents inédits sur les Palinods, 1852.

Magni Rotuli saccarii pars secunda, 1852.

Notice biographique sur Ch. Bourdon, 1852.

Sur les fouilles de Vieux, 1853.

Sur les fouilles de Jort, 1854.

Fouilles au village de Vieux, 1852, 1853, 1854, 1855.

Biographie du docteur Lesauvage, 1855.

Mémoire adressé au Ministre sur la conservation de l'église de St-Étienne-le-Vieux, 1855.

Note sur une découverte faite dans l'église de la Ste-Trinité, à Caen, 1856.

Documents inédits pour servir à l'histoire de l'ancienne université de Caen, 1856.

Mémoire sur les fouilles pratiquées au village de Vieux, 1863. Notices sur quelques énigmes archéologiques, 1864.

Une charte délivrée en 1369 par l'évêque de Séez au prieuré de Villers-Canivet, 1865.

Éducation donnée aux enfants de France, petits-fils de Louis XIV,

1865.

Histoire de la Société des Antiquaires de Normandie, pendant l'année académique 1865-1866.

Fouilles d'Évreux, 1867.

l'étranger, et le mirent à même de faire partie du Comité des sciences historiques, et de diverses Sociétés d'archéologie, celle de Londres, celle d'Herculanum, et même de plusieurs Sociétés savantes du Nouveau-Monde. Il aimait cette sorte de notoriété: c'était pour lui comme la monnaie de la gloire qu'il avait rêvée. Il eut bientôt d'autres occupations encore. Au commencement de l'année scolaire 1863-1864, il fut promu au décanat; et l'on ne saurait imaginer à quelles besognes fastidieuses et rebutantes il se croyait forcé de descendre pour en remplir les devoirs. Ces travaux ingrats trompaient son besoin dévorant d'action, et dans les deux dernières années, ses souffrances. Sa santé, jusque-là robuste, s'altéra tout à coup gravement, et nous le vîmes, dès la fin de 1866, porter littéralement la mort sur le visage. Il ne se ménagea point davantage pour cela, il voulait vivre jusqu'au bout, ou comme dit Montaigne, vivre le plus avant possible dans la mort.

M. Dansin, qui devait hélas! le suivre de trop près au tombeau, a dit mieux que je ne saurais le faire par quel effort, par quel miracle de volonté M. Charma retrouvait non-seulement assez de force pour ne pas interrompre ses cours, mais une verve et une chaleur qui rappelaient ses belles années. Je citerai seulement quelques petits faits propres à mettre en relief cette force et cette obstination de volonté qu'on admirait sans l'approuver.

En vain, ses collègues qui voyaient son état de faiblesse lui proposèrent-ils d'aller à sa place à Rouen, pour le baccalauréat de 1868; il tint à

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