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de la capitale investie, nous avons tenu nos séances ordinaires et continué la publication de nos Mémoires. Au milieu de nos alarmes, c'était la diversion la plus noble et la plus puissante : les belleslettres justifiaient une fois de plus l'éloge qu'en a fait Cicéron elles ranimaient nos esprits abattus, retrempaient nos âmes et leur rendaient parfois toute leur force, sinon toute leur énergie.

Si nos travaux n'ont pas été interrompus par la guerre, la paix a dû accroître leur activité : elle l'a, en effet, sensiblement accrue, et nos procès-verbaux l'attestent.

Une analyse de ces procès-verbaux, depuis notre dernière séance publique, devrait peut-être trouver ici sa place; mais, un peu détaillée, elle serait trop longue, et, réduite à une nomenclature, elle serait trop sèche; vous me saurez gré si je la supprime.

Ce que je ne puis complètement passer sous silence, c'est l'état de nos pertes, c'est le nom des confrères morts qui furent les plus dévoués aux intérêts de la Compagnie, et qui travaillèrent spécialement pour elle, ou lui adressèrent celles de leurs œuvres qui leur font le plus d'honneur.

Après avoir nommé le plus actif de nos correspondants, Saint-Albin Berville, dont le gendre, M. Wiesener, a publié en partie les œuvres et fait la biographie avec un charme et une vérité dignes de son beau-père; après avoir rappelé le savant Dezobry, réfugié à Caen, pendant le blocus de Paris, et qui aimait à nous lire les dernières notes ajoutées à son précieux livre: Rome au siècle d'Auguste; après avoir déploré la perte d'Édélestand

du Méril, ce bénédictin du grand monde, dont le tort grave fut d'abjurer l'esprit et le goût français pour rivaliser de savoir, et aussi de diffuse obscurité, avec les érudits de l'Allemagne; après un souvenir aux deux grands botanistes du Calvados, René Lenormand et Alphonse de Brébisson, vous me saurez gré, Messieurs, de consigner ici la mémoire de mon excellent collègue à la Faculté des lettres, de mon excellent confrère à l'Académie, M. Dansin,

Avant la fin également prématurée de M. Léon Liégard, rapidement enlevé la semaine dernière à sa famille, à ses amis, aux sciences qu'il cultivait avec succès, M. Dansin était la plus récente de nos pertes et peut-être la plus sensible; car, au fort de sa carrière, il n'avait pas seulement fait ses preuves comme historien de conscience et d'indépendance, comme professeur zélé et modeste dans le succès, comme esprit éminent et d'une exquise délicatesse; c'était plus qu'un homme de talent, c'était un modèle de franchise, de politesse et d'urbanité; c'était plus encore, en nos temps d'opinions indécises et de convictions lâchement défaillantes, c'était une âme droite et ferme en un mot, c'était un caractère.

Quels que soient nos regrets pour ceux qui nous ont quittés et quelques vides qu'ils aient laissés parmi nous, nous avons une foi entière dans l'avenir de l'Académie, en voyant quels jeunes hommes, d'un éclatant mérite, viennent combler les lacunes que la mort a faites dans les dernières listes de nos membres. Je ne crois pas blesser l'amour-propre de

nos nouveaux confrères, je ne crois pas manquer aux convenances en citant exceptionnellement un de ces jeunes hommes, né dans le Calvados, économiste déjà profond, publiciste déjà influent, professeur à cette École libre des sciences politiques qui régénérerait toutes les parties de la France, si toutes les parties de la France pouvaient entendre ses leçons je veux parler de M. Paul Leroy-Beaulieu, malgré sa présence; et ce qui m'autorise à le citer parmi tant d'autres, c'est le succès de ses travaux aux derniers concours de l'Institut, succès inouï dans les fastes académiques! succès dont nous ne connaissons d'exemple à aucune époque et dans l'histoire d'aucune littérature! Le même jour, M. Paul Leroy-Beaulieu a été couronné dans trois concours précédemment ouverts par l'Académie des Sciences morales et politiques. J'aime à croire que, au lieu de me blâmer de cette mention tout exceptionnelle, nos nouveaux confrères applaudiront à ma hardiesse.

Je n'oublierai pas, d'ailleurs, un autre membre de notre Compagnie, le successeur de M. Dansin à la Faculté des lettres de Caen, qui a récemment obtenu le prix de trois mille francs, fondé par M. Thiers. L'ouvrage de M. Rambaud, sur l'Empire grec au Xe siècle, a été réputé par l'illustre aréopage le meilleur travail historique publié depuis trois ans. Nous pourrions citer d'autres couronnes gagnées dans d'autres concours par plusieurs de nos confrères; mais nous croyons devoir nous borner à la présente année, à l'année mil huit cent soixantedouze.

Permettez-moi, Messieurs, d'ajouter un mot à l'occasion des espérances que nous fondons sur nos intelligentes et actives recrues. Ces jeunes hommes laborieux ne reculeront pas dans le champ de l'étude, où le charme le plus puissant retient ceux qui s'y sont quelque peu avancés; ils continueront parmi nous la culture de leurs goûts favoris et donneront l'exemple du travail à leurs camarades d'hier, à leurs rivaux de demain, à cette jeunesse que nos malheurs ont retrempée, et dont l'ardeur nous console, en nous laissant entrevoir le rachat de la patrie par les opiniâtres efforts de la science, et la revanche de nos défaites par la gloire si pure des belles-lettres et des beaux-arts. Courage donc à cette jeunesse que nos fautes ont éclairée et qui tient à honneur de les effacer! Courage à l'un des siens, à M. René Delorme, sur l'œuvre duquel vous allez entendre le Rapport de M. de Beaurepaire.

Je cède à ce dernier la parole.

RAPPORT

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M. DE ROBILLARD DE BEAUREPAIRE

SUR LE CONCOURS

ouvert pour un

ESSAI SUR LA VIE ET LES ŒUVRES DE MOISANT DE BRIEUX

FONDATEUR DE L'ACADÉMIE, EN 1652.

Ce Rapport précède l'œuvre couronnée de M. René Delorme, en tête des Mémoires de l'Académie pour 1872.

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