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à voter et à gouverner. Elle délaisse les affaires publiques et veut toujours s'en remettre aux agents du Pouvoir, alors même que le principe des institutions, et quelquefois la loi, en écartent strictement ces agents.

Le 7 août 1870, l'Angleterre édictait une loi sur l'instruction primaire (Elementary Education Act). De quelle manière procéda le législateur dans cette œuvre si délicate? Il réserva expressément au pouvoir central, à la Couronne, le droit de surveiller l'enseignement. Mais, au lieu de l'investir d'attributions prêtant à tant de controverses et d'usure: la création des écoles, la nomination des maîtres, le gratuité, l'obligation, il les confia à une institution locale, le bureau des écoles (School board). De leur côté, que firent aussitôt les particuliers ? Au lieu d'abandonner ces grands intérêts au hasard ou à de mesquines passions, ils constituèrent deux associations considérables (National education league, National education union), chacune d'elles tendant ouvertement à s'assimiler le bureau des écoles, et, par lui, l'éducation du peuple. L'une et l'autre de ces associations ont aujourd'hui déjà un riche budget, des journaux, des brochures populaires, un persond'écrivains, d'orateurs, de conférenciers, d'agents, et, désormais, elles lutteront régulièrement et pacifiquement dans la plupart des communes. Que nous sommes loin, en France, de comprendre et de mettre en pratique ces idées et ces modes d'action si politiques, si tutélaires !

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Il est donc hors de doute que nous n'avons ni

l'éducation, ni les mœurs nécessaires aux institutions libres, aussi nécessaires à ces institutions que l'air ambiant l'est à l'homme. Dans le vide résultant de cette lacune, que de ruines déjà se sont accumulées et menacent de s'accumuler encore ! L'unique moyen d'y remédier est que la culture intellectuelle et morale devienne, immédiatement, notre principal souci et notre principal sacrifice. Parmi tous les grands peuples, nous sommes assurément celui auquel cette voie de salut s'impose, en ce moment, avec le plus d'urgence; et cependant voyez, Messieurs, comme partout on nous y précède, on s'y hâte, on s'y efforce! Aux États-Unis, c'est un budget annuel de 450 millions qu'on consacre aux écoles et aux œuvres d'éducation, et c'est toute l'élite du pays, sept cent mille membres des comités scolaires, qui administre ce budget. L'Angleterre la Russie, l'Italie, la Suisse, le Portugal, la Hollande s'empressent de remanier leurs lois et de décupler leurs dépenses dans le même but. L'Allemagne répète, en toute occasion, qu'elle a dû à ses écoles primaires, à ses gymnases et à ses universités sa régénération, de 1806 à 1812, et qu'elle leur doit aujourd'hui sa grandeur. Partout aussi s'ouvrent des congrès et se forment des associations pour le développement des choses intellectuelles et morales, congrès et associations de pédagogie, de gymnastique, de lectures populaires, de législation, de statistique, d'économie politique, de géographie, etc. etc. Ces jours derniers, lord Napier présidait à Plymouth un de ces congrès, dont l'objet était de délibérer sur les sciences et sur les législations poli

tiques; le roi de Saxe, à Dresde, un congrès scolaire où prenaient place la plupart des professeurs de l'Allemagne. Presque à la même date, en Russie, à Strelna et à Tsarskaia-Slavianka, s'assemblaient les instituteurs et les institutrices de plusieurs provinces pour s'éclairer en commun sur les meilleures méthodes d'enseignement. A quels résultats n'atteindrions-nous pas promptement, si, plutôt que de nous consumer dans de vaines querelles et de vaines paroles, nous donnions toutes nos pensées et toutes nos forces à ces suprêmes réalités, nous qui avons tant de ressort, tant d'aptitudes diverses, une position géographique et un sol incomparables; enfin, le privilége d'être encore restés, selon l'expression d'un de nos hommes d'État les plus estimés (1), <«< la plus grande nation de l'Europe, composée << d'une seule race, et la plus grande race formant << une seule nation! >>

Pendant l'hiver néfaste de 1871, peu de jours avant l'armistice, le hasard me mit en rapport, à Coblentz, avec un des chefs de l'ancien parti libéral, dans les provinces Rhénanes. Je m'étonnais auprès de lui et je m'affligeais de ce que l'unité politique, en Allemagne, parût s'être réalisée contre nous aussi rapidement que l'unité nationale. « Les évé<< nements contemporains, me fut-il répondu, et << particulièrement le spectacle de vos révolutions et << de vos mécomptes, nous ont fait changer de voie << mais non de but. Nous ne poursuivons plus,

(1) M. Drouyn de Lhuys.

<< sous les gouvernements, quels qu'ils soient, qui «< nous régissent, que le développement des forces << de l'âme et le développement des forces du corps, << sûrs que ces deux développements portent en eux<<< mêmes tous les progrès et tous les bienfaits dont <«<l'humanité est susceptible. » Que de fois, dans ces jours de douleur, j'ai médité cette réponse et combien je la recommande à nos concitoyens ! Tenons, Messieurs, les dénominations et les formes pour secondaires et inférieures; ayons un idéal plus pratique et plus vrai, et redevenons ainsi la France, au lieu d'être des tronçons de ce noble pays, s'agitant dans les illusions et l'impuissance !

FAIT

A LA SÉANCE PUBLIQUE DU 20 NOVEMBRE 1872,

Par M. Julien TRAVERS,

Secrétaire de l'Académie.

MESSIEURS,

Deux ans sont écoulés depuis que nous avons décerné le prix dans le concours pour une Étude sur la vie et les œuvres de Moisant de Brieux. Ce prix, dû à la munificence de M. P.-A. Lair, fut remporté par un jeune Parisien de vingt-trois ans, qui serait venu dès 1870 recevoir la récompense de son travail, si, au moment où nous songions ajouter à l'honneur de son succès l'éclat d'une solennité publique, la guerre, une guerre à jamais déplorable, ne l'eût appelé sous les drapeaux.

Pendant que nous faisions des voeux pour notre lauréat, pour nous, Messieurs, pour notre chère et malheureuse patrie, le fléau de l'invasion se répandait dans nos provinces, et chaque jour nous apportait l'illusion de patriotiques espérances ou la certitude de nouveaux désastres. Dans ces douloureuses alternatives, nous n'avons pas aspiré à des consolations devenues impossibles; mais nous avons cherché un adoucissement à nos chagrins dans les objets divers de nos études. Comme les corps savants

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