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Bouillon avait chargé les plus sages et | centralisé, et l'autorité royale gagna en les plus expérimentés d'entre les per- étendue et en force. sonnages qui l'entouraient de s'enquérir, auprès des pèlerins de toutes les nations, des coutumes et des usages de leurs pays. Ils avaient mis par écrit le résultat de leurs investigations et l'avaient soumis au duc, qui, de concert avec le patriarche, les princes et les barons, avait choisi ce qui lui paraissait applicable et l'avait promulgué comme loi du royaume. Cependant nous devons à cet égard nous ranger de l'avis des historiens modernes, attribuant à Godefroy les bases seules de ce code, qui ne fut achevé que dans les derniers temps du royaume de Jérusalem et dont le droit français constituait le fondement.

Le premier objet dont s'occupèrent les Assises fut le droit féodal. Il y avait trois espèces de vassaux :

1o Les grands barons, vassaux directs du roi, grands vassaux de la couronne;

La majeure partie du pays ayant été partagée entre les vassaux à titre de fiefs, et les vassaux ayant un pouvoir illimité là où ils n'étaient point arrêtés par leurs devoirs féodaux à l'égard du roi, le roi n'était réellement maître que dans la petite partie du pays, dans le petit nombre de villes et de châteaux qu'il s'était réservés, de même que le roi de France n'était seigneur et maître que dans la province héréditaire de sa famille, dans l'Ile-de-France. Les revenus du roi de Jérusalem se réduisaient au butin de la guerre, aux tributs que les émirs voisins lui payaient, aux rançons par lesquelles les infidèles rachetaient leurs prisonniers, et enfin aux revenus du domaine de la couronne. Le roi n'était couronné par le patriarche ou, à son défaut, par l'archevêque de Tyr, que lorsqu'il avait juré sur les Évangiles qu'il observerait les coutu

2o Ceux qui tenaient leurs fiefs de ces mes, statuts et usages de ce royaume. vassaux de la couronne ;

3o Ceux qui tenaient leurs fiefs des vassaux de la seconde classe, arrièrevassaux, vavasseurs.

Ces vassaux de la dernière classe étaient dans les mêmes rapports vis-à-vis de leurs suzerains que ceux-ci à l'égard des grands vassaux de la couronne, et ces derniers vis-à-vis du roi. Cependant le droit français avait été modifié en ce point que les arrière-vassaux, de même que les bourgeois demeurant dans les villes et les châteaux des vassaux de la couronne, étaient obligés à l'obéissance envers le roi comme les vassaux et les bourgeois immédiats de la couronne, et tenus, par conséquent, les grands feudataires à rendre foi et hommage immédiatement au roi, les bourgeois à prêter le serment de fidélité quand le roi l'exigeait. Ainsi la puissance des barons de l'empire sur leurs vassaux fut adoucie, le pouvoir gouvernemental fut

A côté du roi étaient placés les grands dignitaires du royaume, personnages influents, auxquels appartenaient certains droits, certaines charges de la cour et de l'armée, certains priviléges judiciaires, l'autorité sur les fonctionnaires et les gens de service, etc. C'étaient le sénéchal, le connétable, le maréchal, le grand-chambellan. Dans toutes les occasions importantes, dans un cas de guerre, par exemple, c'était le devoir du roi d'appeler en conseil le patriarche, les barons de l'empire et les principaux chevaliers.

La justice était organisée d'une manière tout à fait conforme aux besoins et aux coutumes de chaque État et principalement fondée sur cette règle que nul ne peut être jugé que par ses pairs, c'est-à-dire par des juges de son état, de sa nation, de sa foi. D'après cela il y avait trois cours de justice.

1o La cour suprême, la haute cour

du roi, à Jérusalem, la cour des Pairs, | tués le long de l'Euphrate, et ces vassaux secondaires avaient à leur tour d'au tres chevaliers qui étaient leurs feudataires.

présidée par le roi ou par son représentant, le sénéchal, et composée des barons de l'empire (c'est-à-dire des vassaux directs de la couronne). Cette cour décidait dans les affaires civiles et criminelles de la noblesse, dans les contestations féodales, etc., etc. Les vassaux de la couronne présidaient également des cours de justice de ce genre pour leurs vassaux, avec l'autorisation du roi, et chaque suzerain avait le droit d'en ériger une pour les vassaux qui lui étaient subordonnés.

2o Les cours civiles, institution excellente, dont l'Occident était privé à cette époque. Elles furent établies d'abord à Jérusalem et plus tard dans toutes les villes importantes. De notables bourgeois assermentés jugeaient, dans ces cours, les affaires concernant les biens et la personne de leurs concitoyens; le vicomte qui présidait la cour, et qui était institué par le roi, devait lui rendre compte et était chargé de l'exécution des jugements.

3o Les cours spéciales pour les Grecs schismatiques, les Chrétiens indigènes (Syriens), dans lesquelles des juges de ces nations rendaient la justice d'après leurs statuts et leurs usages particuliers (1).

Quant aux principautés d'Édesse et d'Antioche, au comté de Tripoli, né plus tard, qui relevaient du roi de Jérusalem, leur suzerain, la féodalité était également établie dans leurs domaines. Ces grands princes avaient leurs vassaux; ainsi, par exemple, le prince d'Édesse avait le puissant comte de Terbaschel, dont les domaines étaient si

(1) Voy. Assises et bons usages du royaume de Jérusalem, par messire Jean d'Ibelin, comte de Japha et d'Ascalon, etc., (édit.) par Gasp. Thaum de Thaumasière, Paris, 1690, in-fol. Canciani, Leges Burbarorum, vol. II et V. Wilken, Histoire des Croisades, I, c. 13, p. 307. Raumer, Hist. des Hohenstaufen, I, 481. Michaud, Hist. des Croisades.

Malheureusement le lien féodal, du moins entre Édesse, Antioche et Jéru salem, était très-faible, et les seigneurs de ces deux principautés nuisirent plus qu'ils ne furent utiles aux intérêts de la Chrétienté, par leur opposition à leur suzerain, par leurs contestations réciproques, par leurs alliances avec les Turcs (que les uns ou les autres appelaient à leur secours contre leurs adversaires). Le royaume de Jérusalem trouva un appui autrement fort et solide dans les deux ordres nouvellement institués des Hospitaliers de Saint-Jean et des chevaliers du Temple (1).

Quant à l'organisation ecclésiastique du royaume de Jérusalem, la plupart des siéges épiscopaux conservés après la conquête recurent des prélats du rite latin, et ils furent tous subordonnés au patriarche de Jérusalem, également du rite latin, à dater de cette époque. L'archevêché de Tyr même, qui autrefois appartenait au patriarcat d'Antioche, fut, malgré la protestation de l'archevêque, attribué, après la prise de cette ville (1124), au patriarcat de Jérusalem, Pascal II ayant voulu que toutes les églises du royaume fussent soumises au patriarcat de Jérusalem.

Jacques de Vitry, évêque d'Acco († 1244), décrit la circonscription ecclésiastique du pays de la manière suivante :

1. La métropole de Césarée (conquise depuis 1101), avec l'évêché suffragant de Sébaste ou Samarie (institué vers 1131 en évêché latin). On ne parle qu'une fois, vers 1190, d'un évêché de

Saba.

2. L'archevêché de Nazareth, auquel

(1) Voy. JEAN (chevaliers de Saint-), et TEN

PLIERS.

on avait uni Scythopolis ou Betsan (évê- | tuel), et frapper d'un coup décisif l'islaché avant 1120, archevêché déjà en 1129), qui n'avait pour suffragant que l'évêché de Tibériade (déjà existant en 1155).

3. La métropole de Péra (dont il est fait mention pour la première fois en 1167) n'avait aussi qu'un évêché suffragant grec sur le mont Sinaï, dont le titulaire était en même temps supérieur du couvent de Sainte-Catherine du Sinaï.

4. L'archevêché de Tyr (conquise en 1124 par Baudouin), qui était la métropole la plus étendue. Il renfermait les évêchés d'Acco, de Sidon, de Béryte et de Panéas.

5. L'archevêché de Jérusalem comprenait, dans son ressort immédiat, les évêchés de Bethlehem, érigé en 1110, auquel on unit Ascalon; d'Hébron et de Lydda, auquel on joignit Diospolis.

L'évêché érigé dans la basilique de Saint-Georges, près de Ramla, n'eut pas une longue durée.

La plupart de ces églises paraissent avoir eu des chapitres qui avaient le droit d'élire l'évêque. Nous le savons avec certitude par Jacques de Vitry (1), quant au chapitre régulier du Saint-Sépulere, qui suivait la règle de Saint-Augustin, ainsi que pour celui de Bethléhem (2).

II CROISADE. A la nouvelle de la conquête de Jérusalem par les croisés, roccident fut saisi d'un nouvel enthousiasme. Trois grands corps d'armée furent prêts dès 1101 pour se rendre par Constantinople, à travers l'Asie Mineure, vers Bagdad, conquérir cette ville, siége du califat (purement spiri

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misme entamé; mais un plan d'une folle audace, qui entraîna les croisés hors de la voie tracée par Godefroy de Bouillon et ses compagnons, devint cause de la ruine des Chrétiens. Le premier corps expéditionnaire, surchargé d'une foule indisciplinée et composé de 160,000 hommes, sous la conduite d'Anselme, archevêque de Milan, passa par Constantinople et fut anéanti en Cappadoce.

L'armée de Guillaume de Nevers, partie huit jours plus tard, éprouva le même sort, dans la même contrée, et enfin le dernier corps, mené par Guillaume d'Aquitaine, succomba également sous le glaive des Turcs.

De ces trois armées d'un million d'hommes, fort peu de croisés revirent leur patrie. Un grand nombre d'entre eux avaient mérité leur sort, car ils avaient signalé leur route par toutes sortes de désordres et de cruautés.

A dater de cette époque il n'y eut plus d'entreprise notable jusqu'en 1146. La chute d'Édesse (rempart oriental du royaume de Jérusalem) effraya toute l'Europe. S. Bernard (1) fut chargé par le Pape de prêcher la croisade. Louis VII, roi de France, prit la croix dans l'assemblée de Vézelay (1146), ainsi que, après bien des hésitations, Conrad III (2), roi des Allemands. Conrad, accompagné de son neveu Frédéric de Souabe (plus tard l'empereur Frédéric Ier) et de Guelfe, duc de Bavière, marcha, au printemps de 1147, avec une armée de 70,000 hommes vers Constantinople. Là recommencèrent du côté des Grecs, craintifs, épuisés et perfides, les vieilles intrigues et les anciennes trahisons. Conrad passa outre pour prendre le chemin le plus court par Iconium. Les guides infidèles de Byzance conduisirent à travers des déserts sans eau l'armée déjà affamée

(1) Voy. BERNARD (S.). (2) Voy. CONRAD III

Les rois, chagrins et irrités, quittèrent la Terre-Sainte (1149). Othon de Frey singen (1), qui avait accompagué son frere, le roi d'Allemagne, et qui a ra conté tous ces événements, ne peut se consoler de l'effroyable issue d'une si grande entreprise que par la pensee

par la dureté des habitants des villes, et dont les meilleures troupes avaient été emportées par la mauvaise qualité des aliments. Cette armée démoralisée et énervée fut vivement attaquée par Paramus, général du sultan Masud, qui l'anéantit presque entièrement (octobre 1147); sept mille hommes environ échap-qu'elle n'a pas été sans utilité pour quel pèrent au désastre. L'armée française, ques âmes. qui était en arrière de plusieurs journées, n'eut pas un meilleur sort; elle succomba, en passant par Smyrne et Éphèse, sous le glaive des Turcs, à la faim et à l'épidémie (printemps de 1148).

Le roi de France s'embarqua avec ses nobles à Attalie, port de Pamphylie, pour arriver par mer en Palestine. Il avait conclu un traité avec les habitants d'Attalie, en vertu duquel ceux-ci s'engageaient, moyennant un prix énorme, à conduire les restes de l'armée par des grandes routes vers Antioche, et à obtenir le consentement des Turcs, les croisés exténués ne pouvant se frayer un chemin les armes à la main. Mais ces perfides hôtes trompèrent les croisés et les livrèrent aux Turcs, à la famine et à la peste qu'elle engendre.

Les deux rois, car Conrad III, qui avait passé l'hiver à Constantinople, était aussi arrivé, ne trouvèrent en Palestine que de tristes restes de leurs superbes armées. Toutefois, comme il survint de nouveaux pèlerins et surtout une grande foule d'Anglais et d'Allemands du nord (qui, en passant par Lisbonne, l'avaient arrachée aux Maures), les princes purent, en s'alliant aux Chrétiens de Palestine, assiéger Damas; mais ils échouèrent en partie par la faute des Poulains (Pulani), c'est-à-dire des descendants indigènes des premiers croisés, qui, comme tous les métis, efféminés et sans caractère, se sentaient repoussés par de rudes et vigoureux Occidentaux, et, pour satisfaire leur envie et Zeur méfiance, conspiraient avec les infidèles et trahissaient les Chrétiens.

III CROISADE. En 1187, le 20 octobre, Jérusalem retomba entre les mains des musulmans. Cette catastrophe fut causée non pas tant par les défauts du système féodal que par les vices des Chrétiens, dont les historiens ne peuvent dire assez de mal. Abstraction faite de ce que les Grecs schismatiques (les Syriens) persécutaient avec acharnement leurs compatriotes latins, les Poulains, ceux-ci étaient complétement dégéné rés ils avaient pris des Orientaux les mœurs voluptueuses et efféminées; ils étaient dévorés de plus par l'envie et la jalousie. Les vassaux du royaume, même les ordres de chevaliers, se persécutaient les uns les autres; ce n'était partout qu'intrigues, trahisons, luttes ouvertes. Le clergé, depuis le patriarche, le honteux Héraclius, qui vivait publiquement en concubinage, jusqu'au moindre clerc, quelques pieux évêques exceptés, offrait le spectacle des plus affreux désordres; tous étaient adonnés à la luxure, dit Jacques de Sivry. En outre, des discussions sur l'hérédité du trône achevaient d'ébranler le royaume menacé de toutes parts. Baudoin V était mort sans enfants, et, en l'absence d'un héritier direct, le trône était disputé entre Gui de Lusignan, époux de la sœur de Baudoin IV, et le marquis de Montferrat. Ces discussions ne purent être complétement apaisées. Il n'est donc pas étonnant qu'un adversaire aussi puissant et aussi actif que Saladin parvint à vaincre les Chrétiens divisés. Il

(1) Voy. OTHON DE FREYSINGEN.

les battit près de Hittin, non loin de Tibériade, le 4 juillet 1187, s'empara de Jérusalem, et détruisit presque complétement par cette conquête la domination chrétienne en Syrie. Les Chrétiens ne conservèrent que Tyr, Tripoli et Tortose. A la nouvelle de ces tragiques événements l'Occident se souleva avec une énergie nouvelle, et d'autant plus sérieuse qu'il devait en partie attribuer cette catastrophe à son indifférence. I la reconnut et l'avoua. Philippe-Auguste, Eroi de France, et Henri II, roi d'Angleterre, oubliant pour un moment leurs querelles, reçurent la croix des mains de l'archevêque Guillaume de Tyr, le célèbre historien des croisades. Mais il était d'une importance extrême que l'empereur Frédéric Ier Barberousse prît le même parti; car le renom de ses exploits s'était répandu jusqu'en Asie et avait terrifié au loin les musulmans. Jamais croisade ne fut préparée avec plus de circonspection, conduite avec plus de vigueur et de prudence, que celle qui se mit en mouvement sous la conduite de Frédéric Ier, le jour de S. Georges (1189), à Ratisbonne. Avant son départ il avait eu soin de conclure une alliance avec Isaac l'Ange, empereur des Grecs, et avec le sultan d'Iconium. Cependant, dès que l'armée chrétienne toucha le sol de ses États, Isaac, oubliant son traité, montra des dispositions hostiles et voulut entraver la marche des croisés. Frédéric, qui avait hiverné à Philippopolis, qu'il avait conquis pour en faire la solide base de ses opérations, sut agir avec une énergie telle que le peuple de Byzance, tremblant devant lui, obligea Isaac à céder

aux volontés de l'empereur. Le vendredi-saint de l'année 1189, l'armée allemande passa en Asie Mineure. L'empereur la conduisit, avec le calme qu'il avait opposé aux intrigues de Byzance, à travers des routes bien plus dangereuses encore, vers Iconium,

soutenant dans le désert, par sa parole et son exemple, son armée défaillante, et inspirant à ses soldats le courage de vaincre ou de mourir en héros chrétiens. La grande armée du sultan d'Iconium, qui, malgré ses promesses, vint aussi se poser en ennemi devant les croisés, fut défaite près de Philanelium; Iconium fut emporté d'assaut, et l'on y fit un immense butin (7 mai 1190). L'armée respira et reprit espoir ce retour de bonheur ne devait pas être de longue durée. L'empereur se remit en route, arriva au fleuve Cydnus, qu'il voulut passer à la nage sur son cheval pour se remettre en tête de son monde et rétablir l'ordre sur la rive opposée; mais le fleuve l'emporta dans son cours rapide, et l'Allemagne perdit son chevaleresque empereur (10 juin 1190). En vain le fils de l'empereur, le duc Frédéric, voulut maintenir les peuples germaniques qu'avait inspirés jusqu'alors le génie de Barberousse; en arrivant à Antioche la plus grande partie de son armée s'était dispersée. Il mena ceux qui étaient restés fidèles devant Ptolémaïs, alors assiégée par les Chrétiens de Syrie. Là ce valeureux prince succomba à son tour à l'épidémie régnante, après avoir laissé un souvenir durable de sa courte carrière par la fondation de l'ordre Teutonique.

Cependant Philippe-Auguste et Richard Cœur de Lion, qui, à la mort de Henri II, avait pris la croix pour accomplir le vœu de son père, étaient arrivés par mer à Ptolémaïs (Acco, aujourd'hui Saint-Jean d'Acre) (1191). Richard avait, en passant, enlevé à Chypre un prince hostile aux croisés. Les deux rois, après avoir réuni leurs armées aux troupes campées devant Ptolemaïs, parvinrent à s'emparer de la ville (12 juillet 1191). Mais ce qui devait être la base solide de leurs opérations communes devint le fondement de leur division. Le drapeau de Léopold, duc d'Autriche,

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