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cheval au vicomte de Laroche, ou à lui payer trente écus pour tenir lieu de la valeur de cet animal (1). »

Le sénéchal de Tulle avait hésité à rompre avec les anciens usages: le Parlement de Bordeaux lui indiqua la voie dans laquelle il fallait marcher.

Deux siècles plus tard, le tribunal révolutionnaire tenait ses séances dans la même enceinte. Ironique et sanglante fatalité! c'est dans l'antique réfectoire du monastère que fut prononcée la condamnation à mort de deux prêtres, premières victimes de la Terreur.

Après la révolution, on transporta le tribunal dans la maison d'Arche, au pied du clocher. Le réfectoire, utilisé pendant quelques années comme entrepôt de tabacs, fut démoli en 1822, et le théâtre, le café de la Comédie et ses dépendances s'élèvent aujourd'hui sur ses ruines.

La chapelle de Notre-Dame-du-Chapitre resta longtemps abandonnée après la sécularisation de l'église de Tulle. Antoine Jarrige, parent de Baluze, la restaura au commencement du XVIIIe siècle, et le culte de la Vierge recouvra pour un temps son ancienne splendeur. Ses portes se refermèrent en 1793, pour ne s'ouvrir que de nos jours. Les débris du monastère furent renversés et cachés par des constructions profanes.

Soixante-dix-sept ans se sont écoulés.

Les générations nouvelles s'élevaient et passaient, à côté de l'ancienne abbaye, sans se douter de sa longue histoire, peut-être même de son existence. Les belles ruines du cloître, reparaissant aujourd'hui à la lumière, offrent à nos yeux étonnés et à nos esprits oublieux l'attrait d'une véritable découverte.

RENÉ FAGE.

(1) AUTOMNE, Conférences de Droit, t. I, p. 553.

L'ÉGLISE

DE BEAULIEU

ET

SON PORTAIL SCULPTÉ.

On voudra bien ne pas être surpris que nous ayons groupé sous ces deux titres les modestes pages dont se compose ce travail. Il n'y est question que d'un seul édifice; mais, s'il faut le dire, dans cet édifice, c'est la partie, c'est le portail, que nous avions étudiée tout d'abord (1). Nos lecteurs seront d'accord qu'il justifie bien une étude spéciale. D'autre part cependant, l'église qu'il décore semblait mériter mieux qu'un simple avant-propos : nous lui avons consacré quelques pages, et de cet accouplement résulte la notice que nous offrons aux amis du vieil art national et chrétien.

(1) Corrézien des 27 février, 9, 13, 27 mars et 6 avril 1869; Revue de l'art chrétien de juin et juillet 1871.

PREMIÈRE PARTIE.

L'Église.

I.

L'église paroissiale, autrefois abbatiale, de Saint-Pierre de Beaulieu (Corrèze) est un des édifices remarqués du centre de la France. On n'a pas de données positives sur la date de sa construction. S'il fallait en croire M. Marvaud, qui ne cite point ses sources, elle aurait été achevée et consacrée vers la fin du xe siècle, sous le gouvernement de l'abbé Gérard de Saint-Céré (1). Double erreur, comme l'a démontré M. Deloche (2): le monastère n'a pas eu d'abbé de ce nom, et le style de l'édifice nous reporte à d'autres temps. L'église de Beaulieu est du XIIe siècle architecture, sculpture, écriture même, tout y porte cette date, tout y accuse l'âge de transition.

A cette époque, l'abbaye fondée par saint Rodolphe avait atteint le faîte de sa prospérité. Pascal II lui octroyait une bulle confirmatrice de ses priviléges et de ses possessions; évêques, rois, barons et particuliers s'étaient, pendant trois siècles, disputé l'honneur de l'enrichir; une petite ville se formait autour de ses murailles. Parfois trop de fortune nuit notre abbaye venait de l'éprouver. Repoussé d'abord, affectionné ensuite, le grand

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(2) Cartulaire de l'abbaye'de Beaulieu, introd., note xx, p. CCLXXIII-CCLXXIV.

fléau de ces temps, le joug séculier, avait fini par s'établir en maître dans cette enceinte, jadis illustrée par ses vertus (1). Il avait duré bien des années et enfanté bien des désordres. Mais, à l'heure dont nous parlons, de robustes mains venaient de le briser, et, depuis 1095, l'abbaye reposait, fervente et calme, dans les bras de Cluny.

Cluny était alors la glorieuse métropole de l'art en Occident. Elle jetait les assises de sa célèbre abbatiale, et, par la féconde impulsion qu'elle exerçait sur ses filles, couvrait le sol français d'innombrables monuments. Tout porte à croire que son influence se fit sentir à Beaulieu. M. Deloche affirme même, « entre le tympan de notre portail et celui de diverses églises de Bourgogne », une « analogie de composition et d'exécution »> dont nous devons recueillir l'énoncé, sans nous en faire le garant Au surplus, c'était de toute part que le vent soufflait aux œuvres monumentales: églises, cloîtres, travaux d'art de tout genre, germaient sous un ciel chrétien, comme fleurs au printemps. Jetons seulement un regard sur la province.

Au midi, Brive, Uzerche, Arnac, Vigeois, Meymac, Saint-Angel, construisent ou reconstruisent, commencent ou achèvent leurs églises, diversement remarquables. Non contents de défricher leur site sauvage et d'y mener des eaux par un canal prodigieux, les moines d'Obasine élèvent

(1) In ordine regulari quondam illustris : c'est le témoignage rendu au concile de Limoges en 1031. Les faits viennent à l'appui. En 967, le jour de la fête de saint Martial, on avait vu le bienheureux prévôt Rainerius opérer un miracle. Un autre saint, honoré à Aynac, en Quercy, Genesius, aurait été aussi moine de Beaulieu. (ROY-PIERREFITTE, Abbaye de Beaulieu, p. 6 et 19.)

un moutier splendide, destiné à s'embellir encore d'un des tombeaux les plus précieux que nous ait légués l'âge suivant. Guillaume de Carbonnières, abbé de Tulle, rebâtit son abbatiale, cette cathédrale mutilée où l'art savant des vieux maîtres avait si heureusement uni l'essor printanier du gothique à l'austère gravité du roman. - Au nord, Saint-Yrieix poursuit la reconstruction de sa collégiale; Solignac, la vieille et féconde abbaye, relève son église dans des proportions dignes de ses souvenirs; Grandmont, qui ne vient que de naître, voit, par la munificence d'un roi, surgir de son désert d'immenses constructions, que viennent recouvrir huit cents chariots de plomb, et dans sa jeune basilique resplendit déjà tout un autel de cuivre émaillé, surmonté d'un ciborium de même matière et de même valeur. Le pieux Isembert, abbé de Saint-Martial, bâtit l'infirmerie des pauvres « à la ressemblance d'un palais », et compose pour saint Alpinien une châsse d'un travail admirable. Etienne, quatorzième abbé de SaintAugustin-lez-Limoges, consacre sa longue existence à orner de ses propres mains la maison du Seigneur. A force de veilles et de travaux, ce « pauvre de Dieu », comme l'appelle l'annaliste, a la consolation de relever de fond en comble le monastère de Notre-Dame de Chervix. Raymond, l'un de ses successeurs, reconstruit l'abbaye même de Saint-Augustin, « avec une telle magnificence, dit un chroniqueur, et une si grande rapidité, qu'elle semble moins une œuvre humaine qu'une sorte de germination du sol (1) ». Enfin, dans la collégiale nouvellement rebâtie de Saint-Junien, le prévôt Ramnulphe fait sculpter

(1) TEXIER, Dictionnaire d'orfèvrerie sacrée (Encyclop. théol. de Migne), à ces divers noms.

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