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le passé, comme pour le présent, page close et livre scellé. C'est la vérité pourtant! Nos pères n'avaient pas dans la tête tous les programmes de nos jours; mais ils savaient leur religion, ils aimaient leurs églises, ils s'intéressaient à des œuvres faites pour eux, le plus souvent par eux. Les générations se transmettaient la clef de ces tableaux et le secret de ces symboles; les mères les disaient à leurs petits enfants remués et ravis. Les révolutions sont venues: les tableaux ont souffert, la foi s'est affaiblie, et l'ombre s'est étendue. Entendez les bonnes gens de Beaulieu ou de Carennac le Christ qui rayonne au centre de leurs portails est devenu pour les uns « le Père éternel », pour les autres « Noé dans son arche (1) ». Ainsi se poursuit l'œuvre des temps mauvais. A quelques « antiquaires >> est dévolue la tâche de rendre à la foule intelligence, respect et souci de ses vieux monuments.

Cette tâche, c'est avec bonheur que nous l'avons remplie pour le porche de Beaulieu. A vrai dire, ce n'a pas été non plus sans profit. Les œuvres du moyen âge, écloses au souffle de l'Eglise, sont baignées de sa lumière et chaudes de ses feux. S'en approcher, les étudier, s'y plonger, c'est pénétrer le mystère d'une modestie qui ne signait rien, d'une vigueur qui marquait tout au coin de la durée; d'une perfection, d'idéal, sinon toujours de style, qui fera des travaux de cet âge l'école de tous les temps; d'une synthèse qui, dans tous les ordres de choses, semait à pleines mains la subordination, l'ordre et la beauté.

(1) Au portail de Carennac, le Christ, dans sa gloire, est environné d'une auréole en ellipse aiguë, assez semblable, par conséquent, aux petits bateaux de nos rivières de là l'erreur.

D'ailleurs, s'il faut le dire, plus d'un portail cité, prôné, visité, n'a pas à nos yeux le mérite du porche dont nous nous occupons. Il en est d'un grain plus fin, d'une forme plus parfaite, mais, pour le sujet, on n'y trouverait ni cette largeur, ni ce caractère moral. Le détail peut n'être pas neuf, l'idée mère peut même se retrouver ailleurs; mais le tour de la pensée, mais l'ordonnance des matériaux, sont le mérite de l'artiste; et ce fut un des beaux côtés de ces hommes, à la fois simples et grands, de savoir se montrer créateurs, tout en restant fidèles, et de conserver leur génie libre en face des exigences des temps ou de la tradition. « Travaillant pour la gloire de Dieu et de leur monastère, pour le salut de leur âme et pour l'édification de leurs frères, ces saints artistes n'aspiraient point à fonder de nouvelles écoles, à inventer une nouvelle manière : ils reproduisaient les mêmes types, comme ils chantaient les mêmes psaumes et récitaient le même office; ils y ajoutaient seulement toute leur âme, ils y concentraient toute leur puissance d'adoration et d'amour (1).» Que manque-t-il donc à notre porche inconnu ? Ce qui manque à notre sol, ce qui manque à notre histoire des regards!

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Nous retrouvons au portail de Beaulieu les défauts reprochés à la sculpture du XIIe siècle rudesse du dessin, maigreur des formes, gaucherie des poses, disproportion des tailles, etc. Ne nous hâtons pas de sourire la statuaire est un art difficile. Jamais l'Orient, si nous en exceptons la Grèce, n'atteignit, croyons-nous, la hauteur du siècle dont nous parlons. Et cependant la sculpture n'y date que d'hier. Aux rares et grossières ébauches de l'âge précédent,

(1) L'abbé J. SAGETTE, Essai sur l'art chrétien, p. 172.

comparons les vastes tympans et les grandes figures de la période de transition: il s'est fait un pas de géant. Tout n'est pas défaut du reste, surtout dans la maîtresse page, qui ne perdrait peut-être pas à être comparée. Les tailles y sont souvent bien prises, les attitudes mouvementées, les traits réguliers et déjà même expressifs; la vie circule dans les groupes; une heureuse distribution préside aux détails; l'harmonie de l'ensemble flatte à la fois l'esprit et l'œil. Quant aux monstres bizarres qui décorent les deux zones inférieures du tympan, c'est une création d'une remarquable beauté. Dans l'originalité des formes, l'aisance des allures, l'énergie des contours, tout homme impartial saluera la touche d'un habile et vigoureux ciseau.

Malheureusement le cours des temps, et peut-être la main des hommes, ont ravagé ces sculptures. Grâces à Dieu le portail n'a que médiocrement souffert; mais les faces latérales, si nécessaires à la pleine intelligence de l'œuvre, sont fortement endommagées. Notre plume a signalé de nombreuses dégradations. Il en est une qui devait lui échapper : c'est l'oblitération générale de ces bas-reliefs dont l'herbe des vieux murs souille déjà les recoins. La démolition du porche, et plus encore la position de ces sculptures à portée de la main, ont lentement amené cette dégradation. Serait-il bien coûteux de relever cette voûte, de reprendre ces tableaux, de rendre enfin au monument son aspect et sa fraîcheur d'autrefois? Nous appelons sur cette belle œuvre et sur l'église qu'elle décore la sollicitude des hommes spécialement voués à la garde de nos monuments. On restaure, on achève, on bâtit ailleurs de somptueuses basiliques, peuplées de statues, ruisselantes de peintures, embrasées des feux de mille vitraux; et, autour de nous, les voûtes d'Obasine

pleurent, les murs d'Arnac s'écroulent, la cathédrale de Tulle redemande sa tête et ses bras! Resterons-nous toujours un pays déshérité?

J.-B. POULBRIÈRE,

Professeur au petit-seminaire de Servières (Corrèze).

ÉTUDE

HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE

SUR

ADÉMAR DE CHABANNES.

Adémar est pour notre histoire locale ce que Grégoire de Tours est pour l'histoire de France: c'est le père de l'histoire du Limousin. Il est, par ordre de date, le premier de nos chroniqueurs connus; et, parmi ceux qui l'ont suivi, on n'en saurait trouver qui l'aient surpassé, soit pour l'exactitude des faits, soit pour l'élégance et le cachet du style. Il mérite donc, à tous égards, une étude spéciale. Après avoir esquissé sa biographie, nous allons analyser ses principaux ouvrages, indiquer ceux qui ont été publiés, signaler ceux qui sont encore manuscrits.

Mais, d'abord, une question se présente où est né Adémar?

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