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ses statues; mélange singulier du sacré et du profane, de bois de cerfs et de têtes d'anges, de bustes d'empereurs romains et d'images de la Vierge, de figures de Diane et de bacchantes, du portrait de sa nourrice et de portraits de maîtresses à rendre jaloux don Juan; confondant dans un même souvenir ses joies les plus pures et ses égarements les plus passionnés. Au nom du respect dû à la mort et à la mémoire de son père, le fils du comte de Châteauvillard voulut faire déchirer ce vœu testamentaire, et déposer les cendres paternelles à côté de la dépouille de ses aïeux. M. Allou plaidait pour la comtesse de Châteauvillard. Le testament fut validé, et le comte a pu reposer en paix à l'ombre de ses bois de la Roche-Cassée.

M. Allou plaidait aussi pour les administrateurs du Crédit mobilier devant le tribunal de commerce de la Seine, dans un énorme procès, le plus considérable peut-être, par l'importance des chiffres, qui ait jamais été déféré à l'appréciation de la justice. Ce procès avait passionné le monde financier. Après de grandes déceptions, quelques actionnaires réclamaient la responsabilité du conseil d'administration, en criant au scandale, à l'improbité et aux défaillances morales. C'est le sort de ces vastes combinaisons financières de subir tous les ébranlements des évènements politiques : il arriva un moment où le Crédit mobilier se trouva en présence des catastrophes. M. Allou le vengea du moins du reproche de manœuvres intéressées et de pratiques mauvaises; la probité de ses combinaisons financières sortit victorieuse des faits et des chiffres qui purent éclairer l'opinion et lui apporter la vérité.

Le palais a entendu bien des fois, dans ces dernières années, le nom de la marquise de Maubreuil d'Orvault.

Après avoir été une des reines du monde galant, elle avait, à prix d'argent, épousé le marquis d'Orvault, dont le blason avait été un des plus nobles de France. Elle le traîna dans de scandaleux procès. Quand elle n'était encore que Catherine Schumaker, elle s'était fait consentir un billet de cent mille francs par un jeune homme, bientôt emporté par une maladie de poitrine. Elle attendit que le marquis d'Orvault fût mort à son tour, pour réclamer hardiment le prix de ce billet souscrit à des heures d'oubli et de débauche. M. Allou le fit annuler.

Il plaida, en 1861, devant un tribunal arbitral où siégeaient MM. Marie, Odilon Barrot, Léon Duval, Hébert, Berryer, Sénart et de Sèze, pour le vice-roi d'Egypte contre un sujet italien, dans un procès où s'agitaient de graves intérêts. Il demandait, à quelque temps de là, la nullité d'un mariage in extremis, dans une plaidoirie où il traça largement l'histoire de ces sortes de mariages dans notre législation. Mais à côté de la législation il sait mettre toujours cette autre loi de l'éternelle morale qui se puise, non dans l'édit du prêteur, mais aux sources secrètes de la philosophie, où se découvrent les origines véritables de toutes les lois et les fondements de tous les droits.

Le conseil que La Bruyère donnait aux avocats de son temps de n'être étranger à aucun art et à aucune science est devenu plus sage que jamais dans notre société, où les discussions judiciaires embrassent la politique, la religion, les lettres, l'industrie et tout ce qui touche à la vie de notre pays. C'est aussi pour cela que le conseiller au parlement Fyot de La Marche s'écriait « Les combats du barreau ne sont pas des œuvres de ténèbres, des combats de chicane et de fraude, mais des combats de zèle et de lumière ». Aux premiers mois de l'année 1870, il se plaida

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un de ces procès où de hautes questions philosophiques se confondaient avec des questions de droit. C'était le procès du testament d'Auguste Comte.

Vers la fin du siècle dernier, Auguste Comte était né, dans le Midi, d'une souche catholique et monarchique. C'était une nature délicate et maladive, où germaient une vigueur morale et une intelligence exceptionnelles. En 1814, il entrait à l'école Polytechnique. A la suite d'une petite révolution intérieure, l'école fut licenciée, et Comte resta à Paris, pauvre et donnant des leçons pour vivre, mais heureux de son indépendance et de sa fierté. Séduit, un moment, par les doctrines des saint-simoniens, il ne tarda pas à se séparer de la religion nouvelle et à se marier. Ce fut un mariage purement civil le mariage religieux ne fut célébré que plus tard, aux périodes de trouble et sous l'influence de La Mennais. Quelques années après, sans violence et presque sans amertume, les époux en vinrent à une complète séparation.

La folie de Comte commença en 1826. Quand il quitta la maison de santé, il était loin d'être guéri: le premier usage qu'il fit de sa liberté fut de se jeter dans l'eau, et, chose singulière ! cet acte désespéré produisit comme une sorte d'ébranlement dans tout son être : de cette tentative de suicide sortirent la guérison et le salut. Il se mit alors à poursuivre, dans une série de volumes et dans son enseignement oral, la doctrine de la philosophie positive. Ses disciples furent nombreux; ils croyaient que le maître avait découvert une nouvelle science, la science sociale, la sociologie, et constitué la véritable philosophie.

Il avait rencontré sur son chemin une jeune femme placée dans une situation cruelle, Clotilde de Vaux, mariée avec un forçat, et vivant enchaînée ainsi dans une

union qui lui laissait sa liberté, mais qui l'environnait de tristesse et de honte. Il s'établit entre eux une sympathie pénétrante et profonde, un rapprochement platonique et spirituel dont personne n'a jamais cherché à dénaturer le caractère. « Ce sont là, disait M. Allou, des relations étranges, je le reconnais tout le premier, des relations que nous avons peine à comprendre, nous les hommes de la race latine, mais qui ne surprendront en aucune façon un Allemand, un Anglais, un Russe. Ces associations idéales des intelligences et des âmes, sans oubli de la morale et de la pureté de la vie, vous les rencontrerez autour de nous, en dehors de nous, nombreuses et vivantes. » Clotilde de Vaux mourut, et c'est alors que parut, dédié à sa mémoire, le livre de Comte sur la politique positive, où il embrassait des réformes sans fin. L'image de Clotilde de Vaux va désormais inspirer toutes ses pensées; elle sera son invisible compagne, sa déesse et la déesse même de l'humanité.

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Le temple de l'Humanité, où Comte et ses disciples avaient leur culte, était dans une maison du quartier latin; le mobilier était des plus simples. On y célébrait les fêtes positivistes la présentation, pendant laquelle l'enfant était apporté par deux marraines qui promettaient de l'élever en honnête homme; la destination, c'est à dire, à l'heure d'embrasser une profession, l'engagement formel d'en remplir sévèrement les devoirs. Il y en avait bien d'autres; elles n'avaient aucune pratique extraordinaire. On y était en habit noir. Le positivisme avait aussi un calendrier, qui était la consécration de tous les grands types ayant concouru à l'évolution de l'humanité. C'est ainsi que Comte avait commencé son testament le 21 Frederich, et qu'il l'avait fini le 22 Bichat. La pure et sévère morale de la

doctrine la sauvait des railleries publiques; elle avait fait du dévoûment le principe de l'existence, et sa maxime était « Vivre pour autrui ». Elle prohibait les duels, les secondes noces, et, à tous les points de vue, réglementait les appétits humain. D'austérités en austérités, et de rêve en rêve, Comte en était même arrivé à d'incroyables idées. Après avoir envisagé le mariage sous l'aspect du matérialisme le plus étroit, il le condamnait comme impur, et se flattait de le remplacer par la conception d'une viergemère, d'une femme qui, sans subir aucune souillure, pourrait remplir le rôle que lui a assigné le Créateur.

Dans l'explication du monde, les positivistes ne voyaient la vérité que dans la science proprement dite. Leur philosophie de l'histoire, avait quelque chose d'ingénieux et d'original. Dans le dernier état de la pensée religieuse d'Auguste Comte, le grand Être réel était l'humanité poursuivant son développement. Sa religion était purement naturelle, rationnelle, scientifique, humaine, sans révé– lation et sans mystères. La femme seule pouvait représenter le grand Être. La prière devait être dite à genoux et les yeux fermés. Le culte domestique avait trois sacrements. Comte s'était nommé lui-même grand-pontife de l'humanité. Il vivait avec une servante devenue sa fille adoptive, et dont le souvenir est resté cher à l'école positiviste. Absorbé dons l'étude patiente de la philosophie, il ne s'en détournait quelquefois que pour lire Homère, Le Dante et l'Imitation.

Comte mourut aux derniers mois de 1857, en laissant un testament qui résumait sa doctrine, et qui avait presque les proportions d'un livre. Ce testament réglementait l'impression de ses œuvres, et contenait d'injurieuses qualifications pour sa femme. Les exécuteurs testamentaires

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