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pératrice Eugénie par le consul général de Suède, qui s'opposait à la destruction des jardins de l'hôtel d'Albe.

Une curieuse affaire fut celle de Mme de Civry contre le duc de Brunswick. Mme de Civry racontait que, en 1825, Charles II, duc régnant de Brunswick, se trouvant à Londres, avait enlevé une jeune fille à laquelle il avait promis mariage. Lady Colville, installée dans un château voisin de la cour de Brunswick, y accoucha d'une fille, dont le baptême s'était fait en grande pompe. Le bassin d'or des princes de la famille régnante avait servi à la cérémonie, et le duc lui même avait été le parrain, avec son frère le duc Guillaume. La révolution de 1830 enleva ses états au duc régnant, mais rien ne manqua à l'éducation de l'enfant qui grandissait. A Nancy elle rencontre le Père Lacordaire, et elle abjure le protestantisme. Le duc, irrité, l'abandonne; elle alla à Londres, où elle épousa le comte de Civry. C'était là le roman.

Le duc protestait. Lady Colville n'avait jamais été pour lui qu'une vulgaire maîtresse, dont il n'entendait pas reconnaître la fille. Celle-ci, après avoir mené une vie errante, et à bout de ressources, demandait au duc une pension de 35,000 francs. Ce duc de Brunswick avait une opulence presque sans égale; il se donnait le royal plaisir d'avoir plus de vingt millions de diamants. C'était un prince de la maison d'Este allié à la maison d'Autriche et à la maison d'Angleterre La curiosité publique, avide de mystères et de scandales, était en éveil, et M. Marie, avocat de la comtesse de Civry, avait eu des amertumes de langage dont le duc de Brunswick s'était ému. Il fallait bien que M. Allou touchât à tous ces récits: il le fit avec sa raison tranchante, et ramena le procès, égaré dans les faits romanesques, à une pure discussion de droit. Ce jour

là, plus que tout autre, il montra qu'il savait prendre les affaires par le côté décisif. Si Mme de Civry avait cherché une glorification vaniteuse de sa naissance, elle avait fait fausse route: la plaidoirie de M. Allou la fit brusquement descendre de ces hauteurs imaginaires. L'illusion n'était plus possible, et, pour déchirer les voiles, la main ne trembla pas à l'avocat du duc. La comtesse de Civry perdit son procès.

Ces procès nés des querelles intérieures et des discordes des familles n'ont pas les émotions et les retentissements des procès politiques. Il y a des crimes qui ne blessent la société que de loin; il y en a d'autres qui la frappent à la tête et au cœur. Sous tous les régimes, les partis sont lents à désarmer. L'Empire, qui étouffa longtemps, sous sa main jalouse, la presse et la libre parole, n'avait pu anéantir les complots, ni chasser de France les assassins. La liste serait longue de ceux qui attentèrent à la vie de l'empereur; l'échafaud ne les arrêtait point, et, en 1863, Mazzini avait préparé un vaste mouvement révolutionnaire dont le signal devait être l'assassinat de Napoléon. Mazzini avait enrôlé quatre Italiens, qui passèrent la frontière armés de poignards et de bombes: la police ne leur laissa pas le temps de s'en servir. Les portes de la cour d'assises s'ouvrirent pour les juger. M. Allou défendait Greco, le premier accusé.

Ce Greco était le fils d'un soldat italien qui avait aidé le roi Murat à débarquer au Pizzo, au moment où, en cher chant à reprendre sa couronne, il ne trouva que la mort. Il avait même couvert le roi de son corps, et harangué la foule. Plus tard, on l'avait condamné à être fusillé. Le général Filangieri le sauva. La vie de son fils avait été pleine de hasards et de misères. Entré au séminaire de

Nicotera et de Mileto, il en sortit pour aller chez les Barnabites de Ponte-Corvo; plus tard, il donna des leçons de musique, et se livra même à l'étude de la médecine, jusqu'à l'année où éclata la guerre d'Italie. Il en avait subi les premiers ébranlements, et s'était mis à la suite de Garibaldi. A partir de ce moment, il entra en relations avec Mazzini, et fut de toutes les associations secrètes et de tous les conciliabules.

Il y a dans la plaidoirie de M. Allou un portrait de Mazzini qu'il faut en détacher: « C'est un type étrange que celui de cet homme qu'on a appelé le grand Italien, dévoré par la fièvre des passions intérieures; ascète politique, concentrant toute la puissance de son intelligence dans une seule pensée, dans une seule idée, comme une sorte de fakir indien, usé, malade, impuissant, en appa

à se mouvoir, et se déplaçant sans cesse, hier ici, là demain. Son énergie, la persistance de sa volonté, un espoir indomptable dans l'avenir, ont fait beaucoup pour l'affranchissement de l'Italie. Il a été un moment, qui n'est pas encore bien lointain, où ce but qu'il poursuivait obstinément n'était guère que le rêve de sa pensée et de celle de quelques adeptes. Mais, quand le moment de la délivrance est venu, il a voulu, sur l'heure, sans tarder, l'achèvement de son œuvre ; il n'a tenu compte d'aucune difficulté, d'aucun obstacle. Il a oublié que le temps n'épargnait rien de ce qu'on fait sans lui, et, s'exaltant dans une frénésie emportée, il a cherché, dans le bouleversement général de toutes choses, l'espérance de ses projets et de ses calculs. Les conjurations sont venues: il a vu dans l'agitation de la France l'agitation probable du monde, et c'est vers la France qu'il a dirigé ses coups. A ses côtés, se sont groupés de jeunes hommes ardents, excités par ces passions poli

tiques qui fermentaient autour d'eux, par le spectacle des évènements auxquels ils venaient d'assister, énivrés par le langage mystique et coloré de ce prophète qui n'a plus de force que pour maudire!

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» Étranges hallucinés, qui se croient les héros et les martyrs de la liberté italienne! Ce n'est rien que de sacrifier sa vie il faut la sacrifier noblement, en vrai martyr. Les vrais apôtres de la cause que vous croyez servir, ce n'est pas vous c'est ce noble et pur Manin, qui descend d'une dictature toute-puissante, ne laissant derrière lui le souvenir d'aucune violence et d'aucun excès, qui vient s'asseoir, exilé, au foyer d'une hospitalité étrangère, sans amertume et sans colère; qui gagne noblement, dans un travail obscur, le pain de chaque jour, et qui tombe en recommandant à ses compatriotes la concorde et la modération..... Voilà les héros, voilà les martyrs, voilà les défenseurs devant le monde et devant Dieu de la nationalité italienne! C'est le dévoûment, c'est le sacrifice, c'est l'abnégation sans tâche qui convertit et qui fonde ce n'est pas l'assassinat. C'est à Lugano, au printemps de 1863, que Greco se trouva en rapports intimes et journaliers avec Mazzini, qui avait là des amis dévoués, un cercle de femmes enthousiastes. On faisait autour de lui de la musique chaque soir, et c'est dans cette belle retraite si riante, au milieu de cette harmonie, que venaient aboutir les fils de toutes les trames européennes, et que la main de Mazzini ouvrait ou fermait à son gré l'outre des tempêtes. >>

La tempête une fois déchaînée, Mazzini se tenait dans l'ombre, et protestait contre les accusations de ceux qu'il envoyait ainsi aux assassinats et à l'échafaud. M. Allou, au travers de ces dénégations et de ces mensonges, cher

cha la lumière, et fit à chacun sa part dans ce complot. « Ah! s'écriait-il vers la fin, je voudrais bien savoir quel est l'honnête industriel d'Angleterre qui se livre, sans scrupules, à cette fabrication de bombes! La responsabilité morale des hommes qui préparent de semblables instruments de mort est aussi grande que celle des accusés qui sont là. Dans l'ombre, à l'abri, on dispose ces appareils meurtriers: qui frapperont-ils? combien de victimes tomberont sur la route ensanglantée? Qu'importe! Par entraînement politique et lâchement, car celui-là ne risque rien, ou par spéculation seulement, ce qui est peut-être plus odieux encore, ces armes sont mises à la disposition des hommes d'action, terribles, épouvantables! » Utiles et sages paroles dans un temps où il nous a été donné de voir la tumultueuse armée des brûleurs de villes qui ont couvert Paris de sang et de ruines.

Il y a loin de ces furieuses colères des meurtriers aux douces chimères des rêveurs et de ceux qui s'égarent dans les chemins des folies heureuses. La part de vérité qu'il a plu à Dieu de nous laisser ne suffit pas à certaines imaginations avides de soulever les derniers voiles de la science. Il semble que Dieu veuille les punir de leur audace à vouloir ainsi franchir les limites de l'intelligence humaine, et qu'il les trouble et les enveloppe aussitôt d'une nuit de tristesse et d'erreurs. Ce fut le châtiment d'un homme élevé dans les leçons de la philosophie du xvII° siècle, et qui s'était passionnément épris de la nature. Il avait voulu, lui aussi, ajouter sa théorie à toutes celles qui se flattent d'expliquer l'œuvre divine, et, dans cette périlleuse entreprise, il avait mêlé les plus étranges aberrations à d'ingénieuses découvertes saluées par la science.

Ce gentilhomme de la chambre du roi de Portugal pas

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