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du Code civil, qui rend le mari responsable du défaut d'emploi ou de remploi de l'immeuble aliéné avec son consentement, s'applique, sous le régime dotal, aux paraphernaux. C'est la doctrine de la Cour de cassation. L'article 1450 est un article général, tiré des entrailles même de la société conjugale. « Pouvez-vous mettre de côté, disait Lebrun, l'ascendant du mari, qui mène presque toujours la femme au point qu'il désire? » Les jeunes talents, lorsqu'ils joignent aux séductions du caractère l'ampleur de l'intelligence, ont le don d'attirer les sympathies: M. Tixier réussit à se faire aimer de ses collègues et estimer du barreau, qui se plaisait à rendre hommage aux facultés heureuses du jeune magistrat.

Il était apte aux fonctions du ministère public, car il avait, au suprême degré, le sens des affaires, la clarté de l'exposition, la logique du raisonnement. Cependant il avait un peu d'embarras dans la langue, et la parole en public lui inspira toujours des craintes et des appréhensions. Il demanda un siége de conseiller: il l'obtint le 8 mars 1829. Il fut immédiatement désigné pour la présidence des assises esprit lumineux, parole serrée, nerveuse, concise, caractère ferme, il semblait que la nature l'eût prédestiné à ces délicates fonctions. Il excellait à faire l'analyse des éléments de l'accusation aussi bien que de ceux de la défense, à poser nettement les questions aux témoins, et à faire surgir la vérité de leurs contradictions. Ses résumés étaient des modèles de clarté, de simplicité, de précision, d'impartialité. On se souviendra longtemps, dans le ressort, de ses présidences.

Le 14 février 1833, il était nommé président de chambre. Nul ne s'étonna de la rapidité de son avancement: il était justifié par des qualités exceptionnelles.

Le 4 avril 1837, il était nommé premier-président de la Cour de Riom, en remplacement de l'illustre Grenier. Il n'avait que quarante-deux ans. Nul plus que lui n'était digne de recueillir l'héritage de l'auteur du Traité des donations et du Traité des hypothèques. Le procureur général, M. de La Seiglière, qui fut l'un de ses meilleurs collaborateurs et l'un de ses meilleurs amis, qui devint plus tard l'éminent premier-président de la Cour de Bordeaux, en recevant le nouveau premier-président, s'exprimait ainsi : « Lorsque je veux reporter sur vous la pensée de la Cour, une nouvelle émotion me trouble et m'arrête; un sentiment qui m'est trop doux, et dont je suis trop fier pour que j'essaie de le déguiser, m'impose une réserve que me commanderait d'ailleurs votre présence je crains également de dire trop et trop peu, et j'éprouve à parler de vous cette sorte d'embarras qu'on éprouve à parler de soi-même. Conseiller en 1829, vous fûtes, à votre insu, élevé, en 1833, aux fonctions de président de chambre, élévation qui ne surprit que vous seul. »

Le discours que fit M. Tixier fut plein de simplicité, d'élévation et de mâle grandeur. Écoutez plutôt quelques passages « Je ne connais pas de poste plus digne d'envie que celui que je viens occuper parmi vous, et cependant je trahirais la vérité si je disais que cette haute distinction n'a fait naître en moi que des sentiments de joie et de bonheur. Il s'y est mêlé plus d'un regret et plus d'une inquiétude. Et comment aurais-je pu m'éloigner sans douleur de cette cité aux mœurs si douces et si hospitalières qui m'avait adopté comme un de ses enfants les plus chers, et où j'ai passé vingt ans, entouré chaque jour de ces témoignages d'estime et de confiance qui ré

pandent sur la vie tant de douceur, et qui sont, pour l'homme public, la plus précieuse récompense de l'accomplissement de ses devoirs! Je serais bien ingrat aussi si j'avais pu me séparer avec indifférence de cette compagnie qui, dès mon entrée dans la carrière, m'a accueilli avec une indulgente bonté; qui depuis, à chaque pas que j'ai fait, m'a constamment soutenu et protégé de son affection, et où je ne crains pas de dire que j'ai laissé autant d'amis que j'y comptais de collègues. Ce n'est pas non plus sans un sentiment pénible que j'ai vu reculer la distance qui me sépare des lieux où j'ai reçu le jour, et où la mémoire de mon père, toujours vivante, a eu assez de puissance sur mes concitoyens pour me faire décerner par eux l'honneur de les représenter dans les conseils de la nation. Voilà les regrets qui sont venus mêler ma joie de quelque amertume je vous les confie sans crainte, sûr qu'ils ne peuvent éveiller dans vos cœurs que des sentiments de sympathie; car vous prendriez de moi une opinion défavorable si l'honneur d'occuper cette place quel grand qu'il soit, pouvait me faire oublier ce que je dois à la reconnaissance, à l'amitié, au pays natal. Aux regrets que m'a laissés ma situation passée sont venus se joindre des inquiétudes sur ma situation nouvelle. Je ne suis pas du nombre de ceux qui ne voient dans de hautes fonctions que des satisfactions d'amour-propre ou d'ambition mon esprit est frappé avant tout des obligations qu'elles imposent, et vous concevrez aisément que, à la vue des devoirs qui m'attendent ici, j'ai dù éprouver de graves préoccupations..... Jugez de mes alarmes, à moi qui n'apporte au milieu de vous que le sentiment du devoir, qu'un zèle ardent et pur pour l'administration de la justice. Et combien ces alarmes deviennent plus vives,

quand ma pensée se reporte sur l'illustre magistrat qui a si glorieusement occupé le siége où j'ai, en ce jour, le dangereux honneur de m'asseoir auprès de lui. Je n'ai pas besoin de venir parmi vous pour apprendre à révérer le digne chef qu'un scrupule d'une admirable délicatesse éloigne de ce siége, et que vos regrets suivent dans la retraite qu'il a voulu s'imposer après une carrière si noblement remplie. Il y a longtemps que le nom de M. Grenier est pour moi l'objet d'un respect religieux. Ce sentiment a pris naissance lorsque, jeune encore, je recherchais l'esprit de nos lois dans ces grandes discussions qui ont produit l'œuvre immortelle du Code civil, et où le nom de M. Grenier tient une place si glorieuse à côté de ceux des Treilhard et des Portalis. Et depuis il n'a fait que se fortifier, lorsque, éprouvant le besoin de recourir à un guide sûr dans les travaux de notre profession, j'interrogeais chaque jour ces savants traités, devenus classiques dès leur apparition, et cités dans tous les tribunaux presque avec l'autorité de la loi elle-même. Pénétré de cette profonde vénération pour mon illustre prédécesseur, en venant occuper après lui un poste qu'il a rendu si difficile, je ne saurais me défendre de ce sentiment de crainte et d'inquiétude, si naturel chez le disciple qui vient s'asseoir à la place du maître..... » Voilà, Messieurs, un beau langage et de magnifiques pensées.

M. Tixier ne devait pas rester longtemps premier-président de la Cour de Riom: tout l'appelait à Limoges, ses souvenirs, ses affections, ses amitiés. Le 1er octobre 1837, il fut nommé premier-président de la Cour de Limoges. A Riom, il laissa de profonds regrets, d'unanimes sympathies. Ils sont exprimés avec un charme et une délicatesse exquis dans une lettre écrite à M. Tixier par un

des conseillers de la Cour vous me permettrez de vous en citer quelques lignes « Il faut, en vérité, mon cher et honorable premier-président, que vous ayez laissé ici de bien bons souvenirs pour qu'on ne vous maudisse pas, tant sont douloureux pour nous, pauvres amis du petit comité, les effets de votre passage. Vous arrivez un matin, on vous aime à midi, et vous nous quittez le soir : oh! c'est bien triste! Dites, les regrets qui nous mordent le cœur épargnent-ils le vôtre, et êtes-vous du moins heureux à Limoges du malheur que vous faites à Riom? Notre Cour espère beaucoup en ce qu'on lui donne; mais elle était contente et fière de ce qu'on lui ravit : elle portait, joyeuse comme une jeune fille, sa jolie couronne de bluets; peut-être tremblera-t-elle comme un faible et imbécile vieillard sous sa couronne d'or. Vous l'avez voulu! que Dieu vous bénisse! car nous baisons encore la main qui nous frappe; mais au moins reportez-vous quelquefois par la pensée vers ce petit monde où votre présence était si fêtée, et où votre place restera vide si longtemps. Dites-nous donc aussi quelque chose de votre vie de Limoges, puisque finalement vous l'avez préférée à la nôtre, et croyez, aimable et cher président, qu'il nous serait doux d'apprendre qu'une petite part y est réservée à notre souvenir. Adieu! Votre successeur s'annonce pour le milieu de la semaine prochaine vous êtes cause que nous ne l'aimerons pas du tout, et que nous ferons mauvais visage à son installation. Méritiez-vous cela? Il le faut, puisque c'est ainsi, et que j'ai un si véritable plaisir à ne pas emprisonner dans les formules de respect le sentiment de bonne et franche amitié dont ma lettre vous portera l'expression. »

C'est le 16 novembre 1837 que M. Tixier fut installé à

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