Page images
PDF
EPUB

discours de rentrée de la conférence, la plus belle et la plus enviée des couronnes du stage.

C'est la sagesse des anciens qui a légué aux jeunes avocats cette association heureuse où tout est mis en commun, les aspirations généreuses, l'ardeur de la jeunesse, les vieilles traditions, l'étude des lois et l'art de la parole, et ces premiers feux de la gloire que Vauvenargues appelait plus doux que l'amour; communauté sérieuse et charmante, pleine de travail, de nobles soucis et de beaux rêves, où les amitiés naissent à côté des rivalités, et se fortifient et s'épurent par des luttes qui n'ont jamais de défaites. Les anciens sont toujours là pour tempérer la fougue des impétueux et des ambitieux, et pour les plier au joug de la discipline salutaire. A cette conférence d'où partent les premiers bruits de la renommée, les générations pressées que chaque année amène au barreau apprennent à regarder le travail comme un besoin et un bonheur, et la science du droit comme la science de la vie universelle. C'est l'usage de l'ouvrir, tous les ans, par la publique manifestation des devoirs et des traditions de l'ordre, et par l'éloge de quelque homme du palais. M. Allou écrivit, pour la conférence, l'éloge de Ferey.

Trente ans avant lui, M. Bellart, dans la bibliothèque du lycée Charlemagne, au milieu des avocats en robe et d'une foule nombreuse, avait raconté, avec toute la pompe de son langage, la vie de Ferey, que la mort venait de frapper. Ce double hommage était rare dans les souvenirs du barreau; mais, — c'est M. Allou qui le disait, - à une époque de fiévreuses ambitions et de dévorantes espérances, il fallait réveiller le nom d'un homme simple, sans ambition, sans orgueil, et dévoué au culte de sa

profession; belle leçon pour ceux qui désertent le barreau et se jettent dans les régions troublées de la politique, sans savoir, comme Ferey, rester toujours avocats.

En lisant le récit de cette vie douce et laborieuse, on croirait être en plein seizième siècle, à ces temps héroïques du palais, dont les traditions resteront comme un des plus précieux souvenirs de notre histoire nationale. Ferey travaillait seize heures par jour, entouré de ses livres, qu'il appelait ses amis, répandus dans sa chambre, sur sa table, sur le plancher et sur son lit. Dans notre temps si agité, l'imagination se reporte vers ces existences graves et pures qui s'écoulaient dans la retraite et le travail. Ferey quitta la province pour Paris au moment où le chancelier Maupeou renversait le Parlement. Il voulut suivre le sort des parlementaires, et ferma sa porte aux clients. On a beaucoup calomnié le coup d'État du chancelier de Louis XV: je l'ai défendu quelquefois, et je relève avec bonheur ce sentiment de M. Allou, qu'il y avait au fond de ces ébranlements des compagnies judiciaires quelque chose de grand et comme un pressentiment des larges réformes de l'Assemblée constituante. Quand le parlement Maupeou fut tombé sous les rancunes publiques et sous les railleries de Beaumarchais, la maison de Ferey se rouvrit; mais il n'était pas avocat plaidant il était, avant tout, avocat consultant.

L'heure était arrivée où le parlement de Louis XVI, assis sur les fleurs de lis, allait être à son tour emporté par la Révolution, entraînant avec lui l'ordre des avocats. Au travers de cette furieuse tempête qui passait sur la nation, le cabinet de Ferey devint le foyer de l'ordre détruit. Ces glorieux débris du barreau s'appelaient « les avocats du Marais ». M. Allou, en écrivant l'histoire de

ces maîtres généreux qui avaient gardé la foi en des jours meilleurs, a parlé d'eux avec cette émotion qu'on éprouve en retrouvant la trace d'ancêtres illustres. La figure calme de Ferey n'était pas facile à peindre : il y avait en elle quelque chose de froid, de timide et d'austère qu'il fallait mettre en lumière. M. Allou, en remplissant cette tâche, montra que le jeune barreau n'entendait jamais perdre le goût des études sérieuses, l'amour des lettres et le talent d'écrire.

Au palais, les discours ne sont qu'une courte trève aux plaidoiries de l'audience, et c'est vite à l'audience qu'il faut revenir. M. Allou défendait, au mois de janvier 1844, devant la cour d'assises, la concubine de Poulman. Ce serait une curieuse et sombre histoire que celle des associations de malfaiteurs du XIXe siècle. Paris, par ses richesses et ses mystères, offre une attraction singulière à ces existences vouées à toutes les violences et à toutes les infamies; on est saisi d'épouvante en voyant surgir ainsi de cette grande ville une sorte de puissance occulte en révolte contre les lois. Aucun de ces bandits ne déclara plus cruellement la guerre à la société que Poulman, pour qui l'idée du vol était inséparable de l'assassinat. Il vécut longtemps dans toutes les souillures du vice et dans la haine de Dieu et des hommes, jusqu'au jour où il paya sa rançon par l'échafaud. Sa concubine fut condamnée à vingt ans de travaux forcés.

Quelques mois après, la bande Courtot tombait sous la main de la justice avec ses quarante complices, qui avaient jeté la terreur dans Paris, s'embusquant dans les rues désertes, guettant les passants, les volant et les étranglant avec la ruse et la hardiesse des sauvages. M. Allou plaidait pour un de ces bandits, à côté d'un avocat qui

semblait alors promis à la vie et aux triomphes de la parole, Charles Dubréna, mort avant le temps.

A ces premières années, on ne trouve guère le nom de M. Allou qu'à la cour d'assises. Quand on est enfant de ses œuvres, au palais moins qu'ailleurs on ne parvient à se faire une place au soleil qu'à force de patience et de travail. Ceux qui sont heureux et à qui tout sourit sont rares c'est la destinée de presque tous les avocats jeunes et sans autre soutien que leur parole de plaider obscurément quelques petits procès, et d'attendre le jour éloigné des grandes causes. Il est arrivé à beaucoup d'entre eux de se décourager, et de quitter le palais, comme si quelque chose était facile à conquérir en ce monde, où les violents et les patients peuvent seuls toucher le but. M. Allou s'arma de travail et de courage; il était de l'âge et de l'opinion de l'abbé de Bernis: il attendit.

Dans cette ville de Paris, où les fraudes se trament et se dénouent sous tant de formes diverses, chaque jour amène devant la justice des hommes qui ont spéculé sur la santé publique. Vers la fin de l'année 1851, parmi ceux qui buvaient le cidre, beaucoup avaient succombé le plomb qui entrait dans la fabrication du cidre les avait empoisonnés. Sept brasseurs furent traduits devant la police correctionnelle. M. Allou défendait Hénon, sur qui pesait la plus lourde responsabilité dans cette prévention. Il ne chercha pas à l'innocenter: il ne pouvait qu'appeler sur lui l'indulgence de la justice, et il le fit dans une plaidoirie sévère et simple, comme il convenait à ce triste procès.

La raison et la clarté donnaient à la parole de M. Allou quelque chose de puissant et d'animé. On le vit bien dans un procès plaidé, en audience solennelle, devant la Cour

:

de Paris, au mois de juillet de l'année 1853. Une de ces aventurières qui vont de château en château donner des leçons de musique, et qui marchent à la recherche d'un mari, entra, un jour, dans une grande maison de Paris avec les séductions et l'ingénuité de Rousseau chez Mme de Warens. Mais cette candeur était doublée d'audace et d'adresse elle ne tarda pas à attirer dans le piége un enfant de dix-sept ans, qui s'enflamma de toute la passion d'un écolier. Les coquetteries de cette fille de trente ans l'avaient jeté dans une sorte de désespoir : elle mit en œuvre tout ce qu'elle avait de perfidie, entourant sa naissance d'une origine romanesque, et disant même qu'elle descendait d'un ancien roi d'Irlande. Le mariage si habilement poursuivi eut lieu en Angleterre; mais les illusions du mari furent vite évanouies; sa famille déchira tous les voiles, et demanda la nullité du mariage pour défaut de publications et de consentement paternel. La femme se défendit vaillamment par des difficultés de procédure; elle alla jusqu'à s'adresser au cardinal Wiseman, pour lui demander secours et protection. Le tribunal de la Seine lui avait donné raison : devant la Cour, M. Allou combattit ce jugement au nom de la famille; Paillet se joignit à lui au nom du mari. La Cour brisa ce lien frauduleux, et rendit l'aventurière à sa liberté.

On ne rencontre guère plus M. Allou à la cour d'assises : il plaidait pourtant en 1847, à Versailles, dans l'affaire du duel de Saint-Cyr; mais il semble qu'il ait redouté les entraînements et les séductions périlleuses de l'éloquence criminelle il aimait mieux les audiences civiles, où il apprit de bonne heure à mettre les choses à leur place, les faits, les raisonnements, l'esprit et l'émotion. L'exposition de 1854 avait attendu vainement une madone

:

« PreviousContinue »