Page images
PDF
EPUB
[graphic][subsumed]

NÉ EN 1611; MORT EN 1675.

L'HISTOIRE d'un grand homme comme d'une grande nation ne demande pas, suivant moi, des broderies inutiles et des enluminures de style. Voyez comme César écrit ses Commentaires. Jamais on ne croirait qu'il parle de lui-même. Si Turenne avait fait des Commentaires, je crois qu'on y aurait retrouvé la même couleur de noble modestie et de simplicité antique. Il avait ces vertus que ne changèrent point trente ans de victoires, et les plus hautes dignités, jointes à une des renommées les plus éclatantes. On ne doit pas cependant l'en louer outre mesure. Si Turenne avait eu l'orgueil qui paraîtrait si naturel aujourd'hui, il n'aurait pas été de son siècle. Il savait sans doute ce qu'était M. de Turenne, nous le verrons dans son histoire, mais il le savait comme Bossuet savait qu'il était Bossuet, Condé qu'il était Condé, comprenant toujours, même au milieu de la Fronde, qu'un homme, quelque grand qu'il fût, ne pouvait se préférer à tout le monde, tout rapporter à son individualité, comme s'il n'y avait ni lois divines, ni lois humaines, ni religion, ni société, ni Dieu ni Roi. Comme Turenne aurait parlé de lui-même, comme il en a parlé dans le peu de lettres que l'on a conservées de lui, nous tâche rons d'en parler. Il nous semble même que, pour être vrais, les historiens doivent se conformer dans leur récit au caractère de l'homme dont ils ont à reproduire la vie, la pensée, les actions, heureux s'ils pouvaient écrire comme Turenne agissait! Nous ne chercherons donc pas à exagérer la vérité lorsqu'elle est elle-même si grande; et lorsqu'il s'agit d'un homme qui parlait peu, qui ne se vantait jamais, nous croyons devoir à cette illustre mémoire de ne point hasarder une vaine parole ni un panégyrique superflu.

Henri de La Tour-d'Auvergne, vicomte de Turenne, second fils de Henri

de La Tour-d'Auvergne, duc de Bouillon, et d'Élisabeth de Nassau, fille de Guillaume Ier, prince d'Orange, naquit à Sédan, suivant les uns le 11, et suivant les autres le 16 septembre 1611. C'était un an après la mort de Henri IV, qui avait présidé au mariage du duc de Bouillon, père de Turenne.

Il ne faut point chercher si les enfans annoncent tous, dès leurs premières années, ce qu'ils seront dans la jeunesse et dans l'âge mûr. Il y a des esprits qui, tout d'abord, si l'on peut dire, marchent tout seuls. Ils sont vigoureux, ils sont sveltes, ils vont droit, ne chancellent jamais, et montent haut sans que personne en soit surpris: on les attendait là. Tel fut Bossuet, tel fut Condé. Il se trouve des corps faibles qui renferment des volontés fortes, des génies puissans. C'est une question entre l'âme et le corps, c'est un duel entre l'esprit et la matière, c'est ainsi que succombent beaucoup d'existences à peine commencées. Turenne, dont l'enfance fut maladive et délicate, eut à soutenir ce combat. Son père ne pensait point qu'il pût jamais servir. S'il n'eût pas été protestant, on eût sans doute voulu en faire un abbé comme du prince Eugène, et vraiment ce fut assez d'un abbé comme celui-là. On peut dire, puisque Turennes'est converti, et bien converti, qu'au moins son hérésie a été bonne à quelque chose puisqu'elle a empêché qu'on ne l'envoyât au même séminaire que le prince Eugène, cette brillante recrue que l'Autriche sut enlever à Louis XIV. Les natures, comme était celle de Turenne, paraissent froides et lentes. Cela n'a rien de surprenant, elles commencent la vie par une lutte intérieure. A mesure que les forces leur viennent, elles se développent et prennent une assurance toujours plus grande, dont on est d'autant plus surpris qu'on n'avait pu deviner leur mystérieux ave

« PreviousContinue »