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qu'une place restreinte. En voyant Thaïs ôter sa couronne comme une jeune fille qui revient du bal, et partir lestement usual, pour le paradis, les dames du quartier pourraient croire qu'on gagne le ciel en renonçant à une parure: ce qui n'est pas tout-à-fait exact.

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Les erreurs de costume sont choquantes à notre époque où l'on a tous les moyens de se bien renseigner : c'est pourquoi je n'approuve pas M. Flandrin d'avoir rendu hommage à son maître, en lui empruntant à peu près littéralement sa sainte Hélène de la chapelle Saint-Ferdinand. Dans le vitrail de M. Ingres, comme dans la frise de M. Flandrin, sainte Hélène a la couronne et le manteau d'une Paléologue, et non d'une femme nourrie dans le dernier siècle de l'antiquité classique. L'idée de M. Ingres était d'ailleurs originale, mais heureuse; il avait donné à sainte Hélène les traits de Ma la duchesse d'Orléans; cette autre Hélène, portant la croix, exprimait une douleur profonde, en dirigeant ses regards sur le tombeau de son époux. Dans la frise de M. Flandrin, on ne sait plus à qui en veut cette impératrice en deuil, dont les traits expriment la tristesse et l'abattement, tandis que l'espérance, avant-courrière des joies célestes, se peint dans la physionomie des autres saints.

Il y a des disparates plus graves encore on ne conçoit pas les motifs de préférence accordés à certains saints, tandis que des omissions importantes se font sentir. Depuis que le catholicisme existe, on n'aura pas vu une église plus matrimoniale. Tandis que M. Picot fait du mariage, en quelque sorte, le premier des sacrements, M. Flandrin épuise la liste des ménages sanctifiés; saint Elzéar de Sabran et sainte Delphine, saint Adrien et sainte Nathalie, saint Isidore de Séville et sainte Marie de Cabeza, d'autres encore: mais des personnages que l'Eglise a toujours honorés à part et d'un culte privilégié, sont traités par M. Flandrin avec rigueur, j'allais dire avec irrévé rence. Saint Joseph, le père nourricier du Sauveur, figure, je ne sais pourquoi, en avant des solitaires, à une distance prodigieuse de celui dans les bras duquel il a eu le bonheur de mourir. Saint Jean-Baptiste, le Précurseur, celui que la Dispute du

saint Sacrement nous montre assis dans le ciel à la gauche du Sauveur, serait complétement oublié, si on ne le voyait représenté enfant au-devant de sa mère, sainte Elisabeth.

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J'abrégé ces remarques auxquelles je pourrais donner un ample développement. Il ne me suffira plus que d'un exemple pour justifier ma sévérité, et pour faire voir à quel point M. Flandrin avait peu étudié son sujet. J'avais été choqué de voir saint Isidore, le jardinier de Séville, répété à droite et à gauche, la première fois dans la compagnie de Sainte-Marie de Cabeza, la seconde en tête des chefs d'ordre monastique, la faucille dans une main, la gerbe dans l'autre. On aura fait à M. Flandrin quelque objection contre ce double emploi, et l'artiste, en promenant son échafaudage mobile, s'est mis en mesure de réparer sa distraction. Au saint jardinier il a substitué un saint architecte, je ne sais lequel. Le dimanche 14 août, la métamorphose était en train de s'accomplir. Le nom d'Isidore était effacé, on ne lisait plus sur la paroi dorée que S. VS ; un marteau avait déjà remplacé la faucille et une colonne ébauchée couvrait la place de la gerbe de blé. Je suppose que la colonne doit être de marbre, et elle a beau être petite, il faut au saint quelconque qui la porte une vigueur peu commune pour la balancer sur le bras, avec autant de facilité que le vieil Anchise emporte ses pénates. En vérité, on ne mettrait pas plus de laisser-aller à corriger une décoration de l'Opéra.

J'espère que M. Flandrin excusera ma franchise: il sait que personne ne l'admire plus sincèrement que moi. Peut-être le défaut de préparation que je lui reproche aurait-il moins choqué, si depuis qu'il a commencé ses peintures de Saint-Vincentde-Paul, le public n'eût admiré les travaux d'Orsel à NotreDame-de-Lorette. Je suis convaincu que lui-même, devant un exemple si grave, y regardera maintenant de plus près.

Il y a tout à faire pour ramener la peinture à reprendre dans nos églises une physionomie vraiment chrétienne. Nous rendons service aux talents graves comme celui de M. Flandrin, quand nous réclamons en faveur de l'imitation positive et complète, et pour démontrer que cette imitation peut s'allier avec le sentiment

religieux le plus élevé, le plus profond et le plus expressif, Orsel est encore là pour faire comprendre de visu ce que nous voulons dire.

M. Flandrin est plus que jamais engagé sérieusement envers le public; il est dans la force de son talent; il a toujours grandi jusqu'à cette heure, et la frise peinte de Saint-Vincent-de-Paul marque encore un nouveau progrès. Il peut et il doit se dégager de l'influence de l'école dont il est sorti ; en éclaircissant sa palette, en rendant à ses chairs l'éclat et la vie dont se sont toujours préoccupés les maîtres qu'on lui a justement proposés pour modèles, il devra subir aussi les conditions de science et d'exactitude qu'impose une époque où la critique est armée de toutes pièces et où la religion ne peut se passer de la science. Nous avons la pleine, confiance qu'il comprendra désormais toute l'étendue des obligations sans lesquelles il manquerait à sa propre destinée. En les accomplissant, il est sûr d'arriver au premier rang et de nous consoler de la décadence de notre époque. Il est, et il deviendra encore davantage un véritable maître de l'école française on ne le rangera jamais, pas plus qu'aucun des nôtres, dans la famille des Michel-Ange ou des Rubens, des Raphaël ou des Murillo: il sera de celle de Poussin et de Lesueur. CH. LENORMANT.

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JUAN DONOSO CORTES,

MARQUIS DE VALDEGAMAS.

Un écrivain éloquent et habile a déjà tracé de M. Donoso Cortès un portrait que tout le monde a lu'. Je n'ai pas l'inutile projet de le copier, ni surtout la prétention de faire mieux. Je voudrais seulement ajouter quelques coups de crayon et rectifier quelques contours, dans l'intérêt de la vérité d'abord, et puis aussi afin de prolonger en quelque sorte l'hommage que doivent tous les chrétiens à une vie si pure et à une mort si admirable. Comme toujours, le silence s'est déjà fait auprès de cette tombe à peine fermée. Les esprits, un moment ébranlés par ce coup douloureux, ont couru de nouveau à leurs luttes, à leurs préoccupations, à leurs misères de chaque jour. Comme on voit à la chute d'un corps dans l'eau les cercles formés par le déplacement de l'air s'élargir de plus en plus et finir par disparaître ; ainsi le vide créé par cette mort imprévue dans l'océan de la société française ne sera que trop tôt comblé. J'espère donc que les nombreux amis de cet illustre mort ne me sauront pas mauvais gré, si j'essaie d'exprimer et de justifier brièvement la tendre et fidèle admiration que je lui conserve.

L'Espagne moderne a eu la singulière fortune de tromper l'attente des juges et des maîtres de l'opinion publique en Europe. Tombée au dernier degré de l'abaissement politique • Voir l'Univers du 23 mai 1853.

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et du néant intellectuel, sous l'empire du pouvoir absolu et depuis le milieu du XVIe siècle, elle semblait entre les mains de Godoy une proie facile et certaine pour le géant qui dévorait successivement tous les royaumes de l'Occident; et pourtant ce fut elle qui, la première parmi les nations du continent, sut triompher de Napoléon, venger le guet-apens de Bayonne par les Fourches-Caudines de pavien, er protester victorieusement contre l'asservissement du monde. Sauvée par l'Angleterre des vengeances impériales, et deux fois rendue au sceptre de ses rois, d'abord par la chute de Napoléon et ensuite par la politique énergiquement habile de la Restauration; elle s'est vue livrée à la guerre civile et à la r civile et à la révolution, non par une insurrection triomphante, mais par le caprice d'un monarque absolu, disposant sur son son lit de mort de sa couronne et de son peuple comme d'une propriété privée. Condamnée par cet acte à dix années d'une lutte sanglante, traînée par les partis en fureur à travers les excès et les horreurs d'une crise anarchique, elle en est sortie pleine de vie et de force. On l'a croyait réduite au rôle de satellite de la France, et elle a su se préserver de nos chutes et de notre humiliante mobilité. Sa royauté est restée debout et populaire au sein de l'épidémie républicaine de 1848, et ses institutions représentatives ont survécu à la réaction absolutiste de 1852. L'Espagne catholique surtout semblait condamnée aux plus cruelles épreuves, à une irrémédiable stérilité. Depuis près de deux siècles, elle n'avait pas donné un seul nom illustre à l'Église. Elle avait vu sous la monarchie absolue le jansénisme infecter ses écoles, et sous la royauté constitutionnelle la révolution dépeupler ses cloîtres, confisquer son patrimoine, égorger ses prêtres. Elle avait pour ainsi dire cessé de compter en Europe; et voici que du milieu de ses discordes civiles, elle voit surgir et luire avec l'éclat et la rapidité de l'éclair les deux plus nobles représentants de la cause catholique qui aient paru depuis la mort du comte de Maistre et la chute de l'abbé de Lamennais : Balmès et Donoso Cortès..

En mai 1809, une armée française, combattant

pour mainte

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