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toutes sortes de langues; et, par un prodige inouï, se faire entendre tout à la fois à autant de nations qu'une grande cérémonie en avoit assemblé à Jérusalem de tous les pays du monde. Miracle rapporté par saint Luc, et rapporté dans un temps où l'Evanvangéliste n'eût pas eu le front de le publier, si la chose n'eût été constamment vraie, puisqu'il auroit eu contre lui, non pas un, ni deux témoins, mais toute la terre; puisqu'un million de juifs contemporains auroient pu découvrir la fausseté, et le démentir; puisque son imposture lui eût fait perdre toute créance, et qu'elle n'eût servi qu'à décrier la Religion même dont il vouloit faire connoître l'excellence et la sainteté. Supposé, dis-je, ce miracle, estil étonnant que tant de juifs se soient alors convertis, et n'est-il pas plus surprenant au contraire, qu'il y en eût encore d'assez entêtés et d'assez aveugles pour demeurer dans leur incrédulité?

On a peine à comprendre les conversions extraordinaires et presque sans nombre qu'opéroit saint Paul parmi les gentils. Mais en prêchant aux gentils, n'ajoutoitpas toujours à la parole qu'il leur portoit, d'insignes miracles, comme la marque et le sceau de son apostolat ? N'est-ce pas ainsi qu'il le témoignoit lui-même écrivant à

il

ceux de Corinthe, et ne les prioit-il pas de se souvenir des œuvres merveilleuses qu'il avoit faites au milieu d'eux? Si tous ces miracles eussent été supposés, leur eût-il parlé de la sorte ? en eût-il eu l'assurance? se seroit-il adressé à eux-mêmes? en eût-il appelé à leur propre témoignage? et par une telle supposition, se fût-il exposé à décréditer son ministère et à détruire ce qu'il vouloit établir?

Vous me demandez ce qui attachoit si étroitement saint Augustin à l'Eglise catholique? N'a-t-il pas avoué que c'étoient en partie les miracles; et lui en falloit-il d'autres que ceux qu'il avoit vus lui-même ? En falloit-il d'autres que ce fameux miracle arrivé de son temps à Carthage dans la personne d'un chrétien, subitement et surnaturellement guéri par l'intercession de saint Etienne, dont ce grand saint proteste avoir été spectateur, et dont il nous a laissé, au livre de la Cité de Dieu, la description la plus exacte ? Quand il n'eût eu jusque-là qu'une foi chancelante, cela seul ne devoit-il pas l'affermir pour jamais? Dirons-nous que saint Augustin étoit un esprit foible, qui croyoit voir ce qu'il ne voyoit pas ? dirons-nous que c'étoit un imposteur, qui par un récit fabuleux se plaisoit à tromper le monde ? Mais puis

que ni l'un ni l'autre n'est soutenable, ne conclurons-nous pas plutôt avec Vincent de Lérins, que comme les miracles de notre Religion ont servi à la conversion du monde, aussi la conversion du monde est elle-même une des preuves les plus infaillibles des miracles de notre Religion?

Et c'est ici, chrétiens, que nous ne pouvons assez admirer la sagesse et la providence de notre Dieu, qui n'a pas voulu nous obliger à croire des mystères audessus de la raison, sans avoir fait luimême pour nous des miracles au-dessus de la nature: car, à notre égard, cette conversion du monde, fondée sur tant de miracles, non-seulement est un miracle éternel, mais un miracle qui justifie tous les autres miracles, dont il n'est que la suite et l'effet. Après quoi nous pouvons bien dire à Dieu, comme Richard de saint Victor: Domine, si error est quem credimus, à te decepti sumus. Oui, mon Dieu, si nous étions dans l'erreur, nous aurions droit de vous imputer nos erreurs; et tout Dieu que vous êtes, nous pourrions vous rendre responsable de nos égaremens. Pourquoi? Voici la raison qu'il en apportoit: Quoniam iis signis prædita estista Religio, quæ non nisi à te esse potuerunt; parce que cette Religion où nous vivons, sans parler de sa

sainteté et de son irrépréhensible pureté, est confirmée par des miracles qu'on ne peut attribuer à nul autre qu'à vous. Il est vrai, mes frères; mais ce sont aussi ces miracles qui nous confondront au jugement de Dieu ce sera surtout le grand miracle de la conversion du monde à la foi de J. C. Ces païens, ces idolâtres, devenus fidèles, s'élèveront contre nous, et deviendront nos accusateurs: Viri Ninivita suI gent in judicio. Et que diront-ils pour notre condamnation? Ah! chrétiens, que ne diront-ils pas, et que ne de vons-nous pas nous dire à nous-mêmes ? En effet, pour peu de justice que nous nous fassions, il nous doit être, je ne dis pas bien honteux, mais bien terrible devant Dieu, que cette foi ait fait paroître dans le monde une vertu si admirable, et qu'elle soit maintenant si languissante et si oisive parmi nous; qu'elle ait produit dans le paganisme le plus aveugle et le plus corrompu tant de sainteté,

et

qu'elle soit peut-être encore à produire dans nous le moindre changement de vie, le moindre retour à Dieu, le moindre renon, cement au péché. S'il nous reste un rayon de lumière, ce qui doit nous faire trem, bler, n'est-ce pas que cette foi ait eu la force de s'établir par toute la terre avec des succès si prodigieux, et qu'elle ne soit pas

encore bien établie dans nos cœurs? Nous la confessons de bouche, nous en donnons des marques au-dehors, nous sommes chrétiens de cérémonie et de culte; mais le sommes-nous de cœur et d'esprit? Or, c'est néanmoins dans le cœur que doit particulièrement résider notre foi, pour passer de là dans nos mains et pour animer toutes

nos œuvres.

Quel reproche contre nous, si nous n'avons pas entièrement étouffé tous les sentimens de la grâce! quel reproche, que cette foi ait surmonté toutes les puissances humaines conjurées contre elle, et qu'elle n'ait pas encore surmonté dans nous de vains obstacles qui s'opposent à notre conversion! Car, qu'est-ce qui nous arrête ? une folle passion, un intérêt sordide, un point d'honneur, un plaisir passager, des difficultés que notre imagination grossit, et que notre foi, toute victorieuse qu'elle est, ne peut vaincre. Quel sujet de condamnation, si je veux devant Dieu le considérer dans l'amertume de mon ame, que cette foi se soit soutenue, et même qu'elle se soit fortifiée au milieu des persé cutions les plus sanglantes, et que je la fasse tous les jours céder à de prétendues persécutions que le monde lui suscite dans ma personne; c'est-à-dire, à une parole, à une

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