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favori, et travailler au succès de ses vues personnelles. Pierre n'avait pas le moindre courage, et quand il apprit le sujet de la démarche du comte, et que tout le porta à croire qu'il aurait l'appui des plus puissants barons Normands, il se résolut à ne pas attendre l'orage. Un matin, on annonça à la reine que, pendant la nuit, le Gaieto Pierre avait mis à la voile pour l'Afrique avec la plus grande partie de ses trésors ( 1 ). `

Après la fuite de Pierre, le comte de Gravina chercha à arriver au pouvoir; mais il avait de nombreux rivaux qui étaient disposés à tout mettre en œuvre pour renverser ses prétentions alors la reine, pour que la paix ne fût pas troublée, crut devoir rappeler au comte que sa présence était nécessaire en Campanie (2).

Les événements qui venaient de se passer furent une leçon qui profita à Marguerite. Elle avait senti que ceux qui l'environnaient n'avaient pas droit à sa confiance, et comme elle avait entendu vanter le noble caractère d'Etienne, le plus jeune des fils du comte de Perche, son parent (3), elle fit auprès de lui toutes les instances imaginables pour le déterminer à venir en Sicile, et à lui prêter son secours pour la bonne administration du royaume. Ses intentions étaient louables; mais il y avait peu de prudence à agir comme elle le faisait. Etienne céda aux sollicitations de la reine, et arriva à Palerme avec une suite d'honorables personnes, parmi lesquelles figurait Pierre de Blois, qui devait plus tard devenir un des précepteurs du jeune roi. Dès son arrivée, Marguerite

(1) Navem conscendens ad Masmudorum regem in Africam transfretavit. Falcandus.

(2) Regina comiti Gravinensi præcepit ut maturaret in Apuliam proficisci. Ibid.

(3) Scripserat regina avunculo suo Rotomagensi archiepiscopo, ut aliquem de consanguiniis suis vel Robertum de Novo Burgo, si fieri posset, vel Stephanum Comitis Perticensis filium sibi transmitteret. Ibid.

l'éleva au siége archiepiscopal de Palerme alors vacant, l'investit des fonctions de grand chancelier et le plaça à la tête des affaires.

Etienne était en tout digne de la haute réputation qu'on lui avait faite. A une capacité supérieure, il joignait une fermeté inébranlable, un désintéressement rare et un amour sincère de la justice. Appelé au pouvoir, il étudia à fond les diverses branches de l'adininistration du royaume et s'occupa activement de la réparation des griefs et de la réforme des abus. La vénalité et la corruption furent démasquées ; la loi n'eut plus que de dignes interprètes; le peuple fut tranquille et heureux. Bientôt la voix publique proclama qu'un ange était descendu du Ciel pour fermer les plaies des révolutions et faire revivre les délices de l'âge d'or (1).

Cependant, quelque précieux que fussent pour le pays les résultats du changement, le nouveau ministère ne pouvait avoir les sympathies des hommes à la domination desquels il avait mis un teine (2). Matteo de Salerne, et les évêques d'Agrigente et de Catane détestaient le réformateur. L'évêque de Syracuse lui-même eut l'audace de dire à Etienne, que, si on avait coutume en France de suivre un système comme le sien, ce système était tout-à fait hors de saison en Sicile (3). Bientôt après, les rangs des ennemis du chancelier se renforcèrent des eunuques du palais, qu'indisposa à son égard le châtiment dont il frappa leur infame partisan, le cruel Robert de Catalabiano (4).

(1) Omnes asserebant velut consolatorem angelum à Deo missum. Falcandus.

(2) Viri potentes qui jam non poterant liberè solitam in subjectos exercere tyrannidem. Falcandus.

(3) Ibid.

(4) Ad castellum maris ductus est et carceri datus ubi olim multos ipse conjecerat. Ibid.

Durant deux années (1), Etienne résista aux attaques de ses adversaires ; il découvrait les conspirations ourdies contre ses jours; il désarmait ses ennemis et leur pardonnait, et le peuple continuait à bénir son nom. Mais entre la vertu et le crime il n'y a pas d'alliance possible. La méchanceté persévérante de Matteo organisa nu nouveau complot (2). L'argent du Gaieto Richard gagna les gardes du corps Sarrazins ; des hommes qu'aucun frein ne retenait furent séduits par l'appât du pillage; des bruits menteurs furent adroitement semés parmi le peuple on chercha à lui faire croire que le chancclier avait le dessein de mettre à la voile pour la France, et d'emporter avec lui le trésor royal.

Il n'en fallait pas davantage pour soulever Palerme. Une multitude armée vint attaquer le palais archiepiscopal. La garde fut dispersée, et le chancelier contraint de chercher un asile dans le beffroi de l'église métropolitaine (3). Alors Matteo de Salerne et son complice Richard firent sonner le tocsin d'alarme (4). La population toute entière, chrétiens et musulmans, croyant que tout cela se faisait par ordre du roi, se précipita vers la cathédrale; des cris forcenés, des menaces de mort retentirent, et le chancelier se vit assiégé dans la tour où il avait cherché un refuge. Mais la tour était si forte qu'elle résista à tous les efforts des assaillants. A la fin, Matteo craignant que la patience du peuple ne s'épuisât, courut au palais, alarma la régente et son jeune fils en exagérant le

(1) Falcandus.

(2) Ibid.

(3) Per ecclesiam, quæ domui suæ erat contigua, in campanarii fortissimam ut in plano munitionem se recepit. Falcandus.

(4) Matthæus notarius et Gaytus Richardus, servis buccinariis accersitis, præceperunt ut antè domum cancellarii tubis ac tympanis personarent. Ibid.

désordre; et leur conseilla, pour apaiser la colère publique, d'inviter le chancelier et tous les français à son service à quitter la Sicile (1). Etienne consentit tout d'abord à ce qu'on lui proposait; le lendemain il monta à bord d'un vaisseau et abandonna le royaume. Ainsi un peuple trompé chassait loin de son rivage, son bienfaiteur et son ami.

Les adversaires du chancelier recueillirent ses dépouilles. Matteo de Salerne, le gaieto Richard, les évêques d'Agrigente, de Catane, de Salerne et de Syracuse, les comtes de Geraci, de Molisé et de Montescaglioso formèrent le nouveau conseil de régence, et ils s'adjoignirent Walter Ofamilio, doyen d'Agrigente, qui, dans ses fonctions de sous-précepteur du jeune roi, avait pris tant d'ascendant sur l'esprit de son élève qu'il donnait de l'ombrage à la reine mère (2). Mais la haine de la régente était alors une recommandation auprès d'une troupe de factieux qui venaient de triompher de son favori, et qui s'étaient frayé malgré sa résistance une route au pouvoir. Les circonstances actuelles tournèrent encore sous un autre rapport à l'avantage d'Ofamilio. A son départ, Etienne avait résigné son titre d'archevêque; et les membres du conseil, dans leur désir de lui donner le plutôt possible un successeur s'empressèrent de placer la mitre de Palerme sur le front de leur nouveau collègue. (3).

L'année suivante, le roi atteignit sa majorité, et la première chose qu'il fit fut d'appeler Walter Ofamilio aux fonctions de premier ministre (4).

Walter était anglais d'origine; il avait été recommandé à

(1) Falcandus.

(2) Ibid.

(3) Gualterium, Agrigentinum decanum et regis magistrum, sibi in pastorem unanimiter elegerunt. Romualdus Salernitanus.

(4) Itaque summa regni potestas penes Gualterium erat. Falcandus.

la cour de Sicile par Heuri II, qui, désirant marier sa fille Jeanne au jeune roi, avait regardé comme une boune fortune de pouvoir placer auprès de lui un homme dont il avait distingué les talents et sur la fidélité duquel il avait tout lieu de compter.

Mais comment se fit-il que Walter ait pu réussir là où Etienne avait succombé? Walter était, comme son prédécesseur, étranger à la Sicile, et il n'avait pas toutes les grandes qualités qui avaient fait d'abord d'Etienne l'idole du peuple. Comment expliquer son succès? Il voulait suivre la même marche que le ministre dont il avait recueilli l'héritage; mais il avait devant les yeux la leçon de sa chute, et pour se garder d'un sort semblable, il consentit à partager sa puissance avec Matteo de Salerne, l'évêque de Syracuse et le Gaieto Richard. Ajoutez à cela qu'il trouva toujours dans la personne du roi un solide appui. Et quelle position plus avantageuse que la sienne? Pendant vingt années, le mentor philantrope aida son royal élève à mettre en pratique les préceptes de morale et d'humanité dont il avait nourri sa jeunesse (1).

Le mariage dont Walter était chargé de préparer la conclusion, et que les ambassadeurs anglais vinrent bientôt proposer, n'eut pas lieu aussitôt, peut-être à cause des griefs de la cour de Rome dont le roi d'Angleterre s'était attiré l’ini

(1) Gualterio fù di natione Inglese, capellano d'Arrigo II Re d'Inghilterra, il qual Re, havendo pensiero di dar Giovanna sua figlia per moglie a Gulielmo il giovane Re di Sicilia, l'avea inviato in questo regno à finehe fosse Maestro del giovanetto Re. Inveges, vol. I, p. 413.

Inveges dit qu'il se donna beaucoup de peine pour découvrir quelles étaient les armoiries anglaises de Walter. Et en vérité, nous en croyons facilement Inveges; çar Walter, connu pour être sorti des rangs populaires, était probablement, si l'on fait attention à son surnom, le fils d'un meunier. «< Ofamilio, come divessimo noi, dit Caruso, del molino Walter of the Mill.

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