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APERÇU

Sur le synchronisme de l'architecture romane ou byzantine dans les provinces de France;

PAR M. DE CAUM ONT.

(Extrait d'un Mémoire inédit ).

Si l'observateur part du nord-ouest de la France, qu'il se dirige vers la Loire, le Poitou, le Languedoc et la Provence, que de ce point extrême il remonte vers le nord en passant par l'Auvergne, la Bourgogne et l'Alsace, il sera frappé de la diversité de la sculpture dans ces différentes contrées à des époques identiques. Ainsi les monuments du XI. et du XII. siècle de la Normandie, comparés à ceux du Poitou, ces derniers comparés à ceux de la Bourgogne et de l'Auvergne, offriront tous des types généraux uniformes, les mêmes principes de construction, mais avec des différences dans la manière dont les ornements sont traités, dans la prédominance de telle ou telle sculpture, dans l'adoption de certaines formes, de certaines combinaisons habituelles dans une province, plus rares ou insolites dans d'autres, en un mot dans une multitude de détails qui ne frappent pas toujours au premier abord, mais qu'un œil exercé apprécie bientôt avec un peu d'attention.

Sans doute, il faut bien distinguer dans ces différences ce qui appartient à l'influence des matériaux de ce qui vient du goût et de l'habileté des sculpteurs.

L'influence des matériaux a toujours été immense et l'on conçoit qu'une pierre tendre éclatant sous le moindre effort

de l'outil, telle que la craie, n'a pas dû recevoir les mêmes sculptures que les pierres homogènes et d'une dureté moyenne, comme celles que l'on possède dans le Calvados, dans le Berry et dans plusieurs autres contrées. Le calcaire grossier, lardé de coquilles, ne pouvait être travaillé de la même manière que la pierre dont je viens de parler; enfin le granite, si rebelle au ciseau, ne pouvait recevoir les mêmes moulures que les matériaux plus tendres. Ainsi, l'on comprend que le même système d'ornementation, je dirai plus, la même moulure, seront quelquefois rendus tout différemment suivant la pierre que l'architecte a mise en œuvre. Sur des matériaux à grain fin d'une dureté moyenne, on a pu tracer des moulures dont les contours et les détails offraient une pureté de trait que l'on ne pouvait obtenir sur la pierre à gros grain; sur celle-ci il fallait s'attacher moins à la purété du trait qu'au relief et à l'effet général des moulures vues à distance. Ce peu de mots suffit pour exprimer ma pensée; le fait est d'ailleurs tellement palpable qu'il n'a pas besoin de démonstration.

Il faut donc dans la géographie des styles architectoniques et dans l'appréciation des différences que présentent sous ce rapport les diverses provinces de France, tenir, avant tout, compte de l'influence des matériaux sur le choix des moulures et sur la manière de les traiter. Mais après avoir accordé à cette influence toute l'importance qu'elle a eue sur l'état de l'art, il faut aussi reconnaître des écoles diverses, des différences de goût et d'habileté qui ne peuvent provenir d'aucune autre cause que du génie des architectes.

architecture rOMANE NORMANDE (XI. ET XII. SIÈCLES).

Et, d'abord, si nous comparons l'état de l'architecture romane en Normandie, avec ce qu'elle était dans le centre de la France, nous serons frappés de l'infériorité de l'art, quant à la sculpture. Presque tous nos chapiteaux normands du XIo.

siècle, et même du XII., sont d'ane simplicité, je dirai même d'une barbarie que l'on ne trouve nulle part ailleurs, la Bretagne exceptée. Les bases, quoique parfois attiques, offrent souvent un chanfrein grossièrement taillé posé sur un socle également brut. Le fût s'adapte souvent si mal avec le chapiteau, qu'on serait tenté de croire que ces pièces n'ont point été faites l'une pour l'autre. On peut voir des exemples de cette négligence des architectes normands, dans l'église de St.-Nicolas de Caen, qui date cependant de la seconde moitié du XI. siècle (1083).

Quant aux ornements, j'ai indiqué, il y a dix ans, dans la 4. partie de mon Cours, ce qui est particulier à l'architecture romano-normande ; j'ai fait remarquer que l'emploi si fréquent chez nous du zig-zag, de la frette crénelée, etc., était beaucoup plus rare dans d'autres parties de la France, et que, sous ce rapport, c'était avec l'architecture romane d'Angleterre que la nôtre avait le plus d'analogie. Je ne reviendrai pas sur ces détails qui m'entraîneraient beaucoup trop loin pour le

moment.

Maintenant que j'ai indiqué l'infériorité des monuments normands, quant à la sculpture, il me reste à parler de leur plan et de leur ensemble.

Sous le rapport de l'élévation et de l'étendue, les monuments normands n'ont rien d'inférieur à ceux des autres parties de la France. Nos grandes églises n'étaient pas moins vastes; d'un autre côté, elles offrirent, vers la fin du XIe. siècle, un élément qui ne s'est pas, je crois, aussi bien développé à cette époque dans les autres parties de la France, je veux parler des tours. Nos belles tours carrées surmontées de leurs pyramides élancées, telles que nous en possédons un assez grand nombre dans nos campagnes, n'existent, je crois, nulle part à la même époque en aussi grand nombre ni avec des proportions plus heureuses, et je ne serais pas surpris quand l'impulsion donnée par Guillaume-le-Conquérant et ses successeurs à l'architecture mili

taire et à la construction des fiers donjons qui s'élevèrent à profusion des deux côtés de la Manche, eût inspiré nos architectes; nos plus belles tours d'église se rapprochent effectivement, au XII. siècle, des beaux donjons de l'époque et n'en different que par leur diamètre.

ARCHITECTURE ROMANE DU MAIne et de l'anjoU.

Si de la Normandie nous passons en Poitou, et même sans nous avancer jusqu'à la Loire, si nous comparons l'architecture du Maine et de la rive droite de la Loire à celle de la Normandie, nous verrons qu'une autre zône monumentale commence dans cette province, non pas que nous voulions établir de limite absolue entre le Maine et la Normandie, car en fait de styles architectoniques comme en toute autre chose, il y a plutôt dégradation insensible entre les productions d'une région et celles d'une région voisine que des différences tranchées à des distances précises et définies: je veux dire seulement que pris en masse, considérés d'une manière générale, les monuments du Maine et de l'Anjou offrent déjà, comparés à ceux de la Normandie, des traits qui les distinguent et qu'il est facile d'apprécier.

Ainsi les chapiteaux m'ont paru généralement mieux traités. Ils offrent plus souvent une imitation des feuillages Corinthiens. Ces feuillages sont mieux fouillés, leurs contours plus gracieux, moins raides et plus en relief; d'autre part, le zigzag et la frette crénclée ont presque disparu. Je ne doute pas que M. l'abbé Tournesac et plusieurs autres membres de la Société, n'aient fait des observations précises et développées sur les caractères architectoniques qui distinguent aux XI. et XIIa. siècles les monuments religieux du Maine et de l'Anjou.

Je passe à l'état de l'art dans le Poitou et sur la rive gauche de la Loire.

ARCHITECTURE ROMANE DU POITOU.

Dans toute cette région d'Outre-Loire, la sculpture était aux XI. et XII. siècles plus avancée que dans le nord-ouest ; le zigzag et les autres détails Anglo-normands y sont rares, En revanche, on y rencontre de gracienx enroulements, des rinceaux, et diverses moulures qui nécessitaient à coup sûr plus d'habileté que les moulures géométriques de l'école normande et anglaise. D'autre part, la représentation de la figure humaine en bas-relief est bien plus fréquente Outre-Loire. Il n'est pas rare d'y rencontrer, principalement dans les façades, des scènes composées d'un assez grand nombre de personnages. Je citerai la représentation des 24 vieillards de l'apocalypse et de la cour céleste que l'on trouve sur plusieurs églises du Poitou et de la Saintonge; les zodiaques de Lusignan, en Poitou ; de Fenioux, en Saintonge; les figures de l'église St.-Mesme, à Chinon; les nombreuses sculptures en basrelief couvrant la façade de l'église Notre-Dame de Poitiers. Le portail de l'église de Parthenay et celui de l'église de Thouars, etc., etc., montrent l'état de la sculpture dans ces contrées.

J'ai déjà, quant à la disposition extérieure, indiqué dans le 4o. volume de mon cours d'antiquités, combien les façades des grandes églises du Poitou différaient de celles du nord-ouest, et j'ai, pour le faire comprendre, mis en regard l'église Notre-Dame de Poitiers avec l'une des grandes abbayes de Guillaume-le-Conquérant.

Outre-Loire, on ne voyait pas au moins babituellement de grandes tours des deux côtés de la façade, mais seulement des clochetons octogones; les tours principales s'élevaient au

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