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Dans le courant de la même année, le comte ayant eu le malheur de perdre sa première femme, et n'ayant aucun descendant mâle légitime, épousa Adelaïde, nièce de Boniface, marquis de Montferrat (1).

L'année suivante, la veuve de Ben-Avert offrit de remettre entre ses mains la forteresse de Noto, sous la condition qu'il lui permettrait de se retirer en Afrique avec ses enfants et ses trésors (2). Le comte adhéra volontiers à sa proposition: Noto était le dernier retranchement d'un ennemi vaincu (Butera était soumise): la reddition de cette place venait couronner ses nombreuses conquêtes dès-lors la lutte était terminée. Vingt-huit ans s'étaient écoulés depuis le jour où le comte avait pour la première fois déployé le pavillon normand sur les côtes de la Sicile.

La conquête de l'île ainsi accomplie, Roger songea à distribuer des récompenses à ceux qui lui avaient prêté un courageux concours. Tancrède, fils de Guillaume-Bras-de-Fer, devint conte de Syracuse; Giordan, fils naturel de Roger, fut fait comte de Noto; Guillaume de Hauteville et plusieurs autres capitaines distingués reçurent différentes villes en fief, et le système féodal s'organisa sur le sol conquis.

Dans le courant de l'année suivante, le comte, après avoir aidé son neveu, le duc de Calabie, à étouffer une révolte qui avait éclaté en Apulie, fit une expédition contre les îles de Malte et de Gozo et s'en rendit maître (3). Cet exploit mit le sceau à son œuvre d'agrandissement territorial. Les aventu riers Normands qui, quelques années auparavant, avaient quitté la France sans autre fortune que leurs épées, étaient

(1) Malaterra, lib. III, c. 14.

(2) Uxor autem Ben-Avert cum filio in Africam transfugit. Ibid., lib., c. 15.

(3) Fazellus, Decad. lib. VII, c. 1.

arrivés à posséder plus de contrées que n'en possède le roi de Naples d'aujourd'hui.

Le comte s'occupa alors d'exécuter le plan qu'il avait tracé de concert avec Urbain pour la constitution d'une hiérarchie religieuse dans l'ile (1). Il créa des évêchés à Palerme, à Messine, à Syracuse, à Catane, à Agrigente et à Mazzara. La plupart des premiers évêques furent choisis parmi les Normands (2).

Le conquérant de la Sicile se berçait de l'espoir de couler en paix ses derniers jours, mais l'incapacité de son neveu lui suscita des embarras qui troublèrent la fin de sa vie. En 1096, il fut forcé de passer le détroit pour aider le duc de Calabre à comprimer une révolte à Amalfi (3); la plus grande partie

(1) Malaterra, lib. iv, c. 7.

(2) Le premier évêque de Messine fut Robert d'Evroult, normand, auparavant évêque de Traina.

Le premier évêque de Catane fut Angerius, natif de Bretagne, qui avait été moine de Ste.-Euphémie.

Le premier évêque de Syracuse fut Roger, normand.

Le premier évêque de Mazzara fut Etienne de Fenon, natif de Rouen, et cousin du comte Roger.

Le premier évêque d'Agrigente fut Gerland, natif de Bourgogne. Les évêques grecs qu'on trouva sur le siége de Palerme, y furent laissés pendant quelque temps.

Gerland a dû avoir, dans son évêché d'Agrigente, de bons et de mauvais jours; car si, durant son épiscopat et jusqu'au temps de Guillaume II, la plus grande partie de la population d'Agrigente se composa de Sarrazins, et si par conséquent son bénéfice était presqu'une sinécure, il fut, d'un aute côté, exposé durant toute sa vie à de continuelles alarmes et cela est si vrai, qu'après avoir bâti une cathédrale, il crut nécessaire de construire une tour pour sa défense, et pour cette dernière construction il alla chercher des pierres dans les ruines de la cité grecque. Il ne reste plus aujourd'hui de traces de ces deux édifices. (3) Lupus Protospata.

de ses troupes se composait de Sarrazins (1); ses Normands avaient cédé à l'enthousiasme de ces temps-là, et avaient sacrifié un repos chèrement acheté pour les nouveaux périls qui les attendaient sous les tentes de la Palestine. Par suite de cet entraînement religieux, le comte se vi, pour la première fois de sa vie, contraint d'abandonner son entreprise (2). En 1098, il reparut en Calabre pour réduire Capoue à l'obéissance, et à l'âge de 70 ans il étonna encore les plus jeunes guerriers par la vigueur de son corps et l'activité de son csprit (3). En retour des services que Roger lui avait rendus, le duc de Calabre lui céda la souveraineté de la moitié de la ville de Palerme.

(1) Quando i Normanni conquistarono la Sicilia era essa di Saraceni populata, abbondante, e ripiena. Quindi i Normanni a coloro non imposero che i militari servizi, e l'obligo di pagare qualche tributo.

Ruggieri il Conte ebbe nei Saracini tanta fidenza che ne formava di ordinario un corpo di sua milizia, il quale era tanto piu di apprezzare quanto non poteva esser sogetta alla limitazione del servizio feudale.

Il conte ne usò in varie occasioni, e massimamente nelle guerre di Amalfi, di Cosenza, e di Capoa, e il Rè Ruggieri, suo figlio, contro i Baroni e le Città ribelli, e contro Lotario imperadore, ed in altre spedizioni, si meno con seco i Saraceni di Sicilia. Gregorio nelle sue considerazioni, e nei Discorsi.

(2) Robert de Normandie et son beau-frère, le comte de Perche, en se rendant en Palestine à la tête de leurs troupes, prirent leur route par l'Italie, et passèrent l'hiver en Apulie et en Calabre: au printemps ils s'embarquèrent à Brindes.

Robertus, verò, Normannus, et Stefanus Blesensis, sororius ejus, in Apuliâ et Calabriâ hiemaverunt. Ord. Vit. lib. IX.

(3) Boemundus autem, videns plurimam multitudinem per Apuliam, sed sine principe, illorsùm accelerare, signum ejusdem expeditionis, crucem videlicet, vestibus suis apponit. Porrò juventus bellica totius exercitus tàm Ducis, quàm Comitis, ad id faciendum certatim concurrunt. Dux autem et Comes, exercitum suum maxima ex parte sibi taliter defecisse videntes tristes expeditionum solvunt. Malaterra, lib. IV, c. 24.

La Calabre le vit encore en 1101 mettre le pied sur son rivage rebelle; mais cette fois le Grand Comte (comme l'appellent les vieux chroniqueurs) (1) tomba malade, et il mourut (2) à Melito, regretté de tous ses sujets, Normands, Lombards, Grecs et Sarrazins.

Parmi les diverses nations qui se partageaient le sol de la Sicile, aucune n'eut à accuser Roger de partialité. Elles se gouvernaient toutes par leurs propres lois : les Grecs suivaient le Code de Justinien; les Normands, les Coutumes de Normandie; les Sarrazins, le Coran. Sous ce règne de la tolérance et de la justice, tous les cœurs étaient contents, tous les jours étaient sereins. Les Sarrazins avaient oublié leurs revers l'harmonie confondait les vainqueurs avec les vaincus.

le

A cette époque, on parlait quatre langues en Sicile : grec, le latin, l'arabe et le normand. Les lois et les contrats étaient écrits en trois langues, et des inscriptions arabes se lisaient sur le revers des monnaies.

Peut-être est-ce ici le lieu de rechercher à quelles causes les Normands durent leurs rapides et éclatants triomphes sur les Sarrazins victorieux comme sur les Grecs dégénérés? Les chroniqueurs ont pu, il est vrai, renchérir sur la disproportion du nombre, mais tout en considérant leurs récits comme fort exagérés, les conquêtes des Normands paraissent encore presque miraculeuses, et leurs ennemis même attestent que leurs charges de cavalerie étaient irrésistibles (3). Cepen

(1) Anno Domini 1101 obiit Maximus comes Rogerius, pater regis Rogerii. Appendix ad Malaterram.

(2) Apud Melitum, in ecclesià, quam ipse fundaverat, sepultum est. Malaterra, lib. v, c. 1.

(3) Γινοσκων την πρωτην κατα των

εναντιων ιππασιαν των

Keλtov avvπolotov. Anna Comnena, lib. v, pag. 133.

dant si l'on fait attention aux épaisses armures dont les soldats normands étaient couverts, au caractère de leurs antagonistes, aux jalousies nombreuses qui les divisaient, jalousie entre les Lombards et les Grecs en Calabre, entre les Grecs et les Sarrazins en Sicile, cette série d'athlétiques victoires commence à n'être plus un mystère. Et puis, qu'on jette les yeux sur ces exercices guerriers auxquels se livraient les Normands dès leurs jeunes années; qu'on se rappelle l'esprit chevaleresque et aventureux qui les animait ; et pardessus tout, cette haute confiance en lui-même qui rendait le soldat normand invincible, et lui donnait à lui seul la force d'une légion entière, tout cela vient expliquer le développement rapide et prodigieux de leur domination.

CHAPITRE V.

A la mort de Roger, Simon, son fils aîné, fut reconnu comte de Sicile; mais comme il n'avait encore que dix ans, on confia la régence à la comtesse Adelaïde, femme vraiment habile, mais cupide et hautaine (1). Simon mourut au bout de quelques années, et la comtesse gouverna le royaume jusqu'à la majorité de Roger, son second fils. Ce jeune prince, par sa mâle contenance, son intelligence rapide et son avide désir de science, éveilla chez ses sujets un espoir qu'il devait surpasser par la suite.

A peine eut-il pris les rênes du gouvernement, qu'une ambassade arriva de Jérusalem pour solliciter, au nom du roi Baudouin, la main de sa mère (2). Ce qui avait tenté ce

(1) Alex. Celesinus, lib. 1. — Ord. Vit. (2) Alex. Celes.

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