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intérêts en Calabre, et ces arrangements terminés, il se mit en marche vers Rome : Grégoire VII, délivré par lui, fut ramené en triomphe dans son palais du Latran. Henri IV avait pris le parti le plus sage; il avait fait retraite. Le fils de Tancrède pouvait donc se vanter d'avoir défait l'empereur d'Orient, et jeté la terreur dans l'âme de celui d'Occident (1).

Cependant, les Romains qui avaient fait cause commune avec l'empereur, trois jours après la délivrance du pape, tombèrent à l'improviste sur les Normands. Est-ce seulement pour sauver ses troupes, ou pour rendre sa veangeance plus complète, que le duc de Calabre jeta alors les brandons de cet incendie dont on voit encore aujourd'hui des traces si éloquentes? Quoi qu'il en soit, la moitié de Rome, fut réduite en cendres, et les murailles délabrées, les contrées désertes, indiquent encore la route que, dans ces jours néfastes, l'impitoyable aventurier a parcourue (2)..

Pendant que ces événements se passaient en Italie, Boemond avait remporté en Thessalie et en Epire victoires sur victoires; l'empereur Alexis comprenant qu'il n'y avait plus pour lui d'espoir de pouvoir jamais soutenir la lutte avee avantage, se décida à ne plus hasarder de bataille rangée, et reprit la route de Byzance. Des murmures qui s'élevèrent dans son armée sous les murs de Larissa (3), contraignirent Boemond de retourner pour un temps en Calabre; et l'em

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Sunt terræ domini duo.

Alter ad arma ruens, armis superatur, et alter

Nominis auditi sola formidine cepit.

GUL. AP., lib. IV.

(2) Urbs maximâ ex parte incendio, vento admixto accrescente,

consumitur. Malat. lib. 111, c. 37.

(3) Anna Commena.

pereur d'Orient parvint à obtenir des Vénitiens leur assistance dans la mer Adriatique. Mais Guiscard qui avait rempli ses engagements avec le pape, arriva sur ces entrefaites : il organisa avec une prodigieuse célérité un autre armement, et se montra bientôt, à la tête de 120 vaisseaux. dans le golfe de Venise. Un combat naval s'engagea ; et Robert remporta, sur les flottes combinées des Grecs et des Vénitiens, une victoire aussi complète que celle qu'il avait précédemment remportée contre l'empereur en Epire (1). Il n'avait plus alors d'adversaires à vaincre. Entre l'ambitieux normand et les degrés du trône impérial, aucune barrière ne restait à franchir; quand tout à coup, à Céphalonie où il venait de débarquer, Guiscard fut saisi d'une fièvre brûlante qui, en six jours, le mit au tombeau (2).

1085. Ainsi finit le plus illustre des fils de Tancrède de Hauteville. Il avait toutes les qualités du capitaine et de l'homme d'état ; une âme intrépide, un génie immense, un corps de fer; son ambition insatiable, l'absence chez lui de tout sentiment délicat et généreux, l'appelaient au renversement des trônes et à l'empire du monde. La barbarie de son caractère avait enlevé à son esprit chevaleresque tout son prestige; on vit, à sa mort, son armée fondre comme un amas de neige, et cependant pas un des siens ne vint répandre une larme sur sa tombe.

A la mort de Guiscard (5), Boemond, son fils, abandonna l'Epire, sa terre promise,et chercha à se mettre en possession de l'Apulie et de la Calabre, que son père avait laissées à Roger Bursa, fils qu'il avait eu de sa seconde femme, Sigelgayta. Les

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(3) Son corps fut inhumé dans l'église de la Ste.-Trinité, à Venosa.

frères se préparaient à remettre au glaive le soin de vider leur différent, quand le comte de Sicile vint déclarer que respect était dû à la volonté du défunt. Le jeune duc céda Tarente et Otrante à Boemond; ce qui n'empêcha pas la division de régner entre eux jusqu'au moment où Boemond alla chercher en Palestine un aliment à sa dévorante ambition.

CHAPITRE IV.

Au printemps de l'année 1085, le comte de Sicile entra dans le port de Syracuse à la tête d'une flotte imposante. Les forces de l'émir sarrazin, Ben-Avert, étaient en état de soutenir la lutte qui se préparait. La fortune du combat qui s'engagea alors entre les deux flottes, resta long-temps incertaine; mais enfin Roger, voulant décider par un coup d'éclat le sort de la journée, s'élança à bord du vaisseau de BenAvert. Celui-ci, déjà affaibli par une blessure, chercha à échapper à un aussi redoutable assaillant, et prit son élan pour sauter dans un autre vaisseau; mais la distance était trop grande et il tomba dans la mer : la pesanteur de son armure paralysant ses efforts, il s'enfonça pour ne plus reparaître (1). Privés de leur chef, les Sarrazins tombèrent dans le découragement, et les Normands se rendirent sans beaucoup de peine maîtres de la plus grande partie de leurs vaisseaux. Ils ne devaient pas obtenir une victoire si facile sur terre : dans la ville s'organisaient les préparatifs d'une énergique défense. Pendant quatre mois, Syracuse fut en proie à toutes les horreurs d'un rigoureux blocus. Enfin la famine ayant forcé la

(1) Dùm à Comite, qui navim ejus minací ense persequitur, ipse proximam navem de suis ad fugiendum saltu appetens, in mare cum pondere ferri demergitur. Malaterra, lib. III, c. 2.

veuve de Ben-Avert de fuir, une nuit, avec ses enfants et ses trésors dans une barque qui les conduisit en sûreté dans la forteresse de Noto, les Syracusains, délaissés et las de souffrir, ouvrirent leurs portes aux Normands.

-L'année suivante, le comte entreprit la conquête de Castro Giovanni et de Girgenti (1). Ces deux villes étaient gouvernées par le chef sarrazin, Chamut. Confiant dans la force de Girgenti, il y laissa sa femme et ses enfants et alla s'enfermer dans Castro Giovanni. Le comte cependant ne tarda pas à s'emparer de la première ville, et l'épouse et les enfants du chef furent traités par lui avec toute la douceur et toute la délicatesse possibles. Il se dirigea ensuite vers Castro Giovanni. Toutes les villes qui se trouvaient sur son passage s'empressèrent de faire leur soumission. Arrivé sous les murs de Castro Giovanni, il demanda, avant de commencer le siége, une entrevue au Gouverneur et il l'obtint. Il était à croire que Chamut, touché des généreux procédés dont avait usé le comte envers sa famille, se montrerait assez disposé à écouter ses propositions; le résultat de la conférence dépassa toutes les espérances de Roger : Chamut lui témoigna le désir de recevoir le baptême. Les clefs de Castro Giovanni furent remises entre les mains du comte, et le sarrazin reçut en échange de ce qu'il perdait, une seigneurie en Calabre dans les environs de Melito, où il passa le reste de ses jours (2).

Il ne restait plus en Sicile, au pouvoir des Sarrazins, que les forteresses de Noto et de Butera. Au printemps de l'année 1088, le comte avait mis le siége devant la dernièrc, et il se préparait à le pousser avec vigueur, quand il apprit l'arrivée à Traina du pape Urbain 1 (3).

(1) Malaterra, lib. III, c. 5 et 6.

(2) Ibid.

(3) Malaterra, lib. III, c. 13,

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Chassé de Rome par l'empereur Henri IV et l'anti-pape, sa créature, le souverain pontife avait trouvé un asile à Terracine, sur le territoire normand. De tous ses amis, le comte de Sicile était le plus puissant, et il l'avait choisi pour s'éclairer par ses conseils sur une question importante et délicate. L'empereur de Byzance (1) le sollicitait de venir assister en personne à un concile qui allait être tenu dans sa capitale pour aviser à un moyen de terminer les différents entre les églises grecque et latine et c'était là ce qui motivait la présence d'Urbain au camp de Roger. Il se rendit à l'avis du comte qui lui conseilla d'éviter une réunion dont on voulait probablement faire le prélude d'une plus vaste querelle. Il fut ensuite question entre eux des affaires de l'Eglise de Sicile, et on suppose que c'est alors que le comte obtint ces concessions qui sont aujourd'hui si avantageuses à ce pays, et qu'Urbain confirma dans la suite par une bulle fameuse (2). Roger se refusa à contraindre les opinions religieuses de ses sujets, Grecs ou Sarrazins; la seule chose à laquelle il consentit fut de fonder des institutions catholiques-romaines et de créer des évêchés de la même religion dans toutes les principales villes de Sicile, mais encore il voulut se réserver les priviléges de nomination et d'investiture. Le pape trancha la difficulté, en conférant à Roger et à ses successeurs le titre de légats du Saint-Siége.

(1) Chartulis, aureis litteris scriptis. Malaterra, lib. m, c. 13. (2) La bulle ne fut elle-même publiée que dix ans après; mais Urbain y dit : « qu'il vient accomplir des promesses qu'il avait faites naguère verbalement. » Puis, il va jusqu'à déclarer, « que jamais un légat ne sera envoyé en Sicile contre la volonté du comte et de ses héritiers; que les affaires qui sont de la compétence des légats seront faites par ledit comte ou ses héritiers, en qualité de vice-légats. » Bulle d'Urbain II, rapportée par Malaterra, lib. ¡v, c. 29.

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