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De la Circulaire adressée à MM. les curés de son diocèse ;

PAR MONSEIGNEUR DE BONNALD,

Evêque du Puy, Conservateur des Monuments historiques de la Haute-Loire.

Déjà dans beaucoup de diocèses le clergé sympathise avec nous et seconde nos efforts pour la conservation des monuments. La lettre qui va suivre en est une preuve nouvelle et éclatante que nous sommes heureux de présenter aux lecteurs du Bulletin.

MESSIEURS, On s'occupe beaucoup aujourd'hui des monuments religieux, de l'archéologie chrétienne. Des sociétés savantes s'organisent de toute part dans ce but, et éclairent, par leurs recherches, le zèle de l'administration. Si c'est là le mouvement religieux dont on nous entretient si souvent, ce n'est pas nous qui le méconnaîtrons; et quoique à nos yeux ce ne soit pas encore là la religion elle-même étendant son empire sur les cœurs, nous aimons du moins à y voir la religion obtenant des esprits quelques hommages qui ne lui avaient pas toujours été accordés. Que ce mouvement soit religieux ou purement scientifique, nous ne croyons pas que le clergé doive y, rester étranger. Nous ne pouvons entièrement abandonner à d'autres la garde et le soin des monuments que le clergé a élevés, puisqu'en général c'est à des évêques ou à des moines que sont dus ces édifices religieux, ces merveilleuses cathédrales, ces immenses basiliques, ces cloîtres si élégants qui couvrent notre France, mais qui ne la couvrent plus, hélas! nous serions tenté de le dire, que de leurs imposantes ruines. Ces pierres si artistement disposées n'attestent pas seulement la foi, le zèle et la ferveur de ceux qui nous ont précédés dans la carrière sacerdotale; elles sont une preuve éc'atante de leur savoir et de leur goût. Nous devons donc être jaloux de sauver de la destruction et de préserver des ravages du temps nos antiques sanctuaires, afin qu'ils transmettent aux siècles à venir ce que peut le génie inspiré par la religion, soutenu par la patience et encouragé par la libéralité. Le clergé n'est point l'ennemi des arts, comme on s'est plu à le dire, mais il aime les arts décents. Il dira toujours: Périssent les beaux-arts plutôt que l'innocence et la vertu!

Nous nous plaisons à le publier, Messicurs, nos visites pastorales nous ont fourni fréquemment l'occasion de rendre justice à votre zèle pour la décoration de la maison de Dieu. Souvent nous avons trouvé un presbytère bien pauvre, à côté d'une église, qui nous rappelait, par sa propreté et presque par sa magnificence, le temple que le prêtre Népotien se plaisait à orner de ses mains, au rapport de saint Jérôme. Ce n'est pas sans attendrissement et sans une vive satisfaction que nous apercevions cette différence entre l'habitation du pasteur et l'église où il réunit son troupeau. Plusieurs fois nous avons pu admirer ce que l'intelligence des arts avait produit dans certaines paroisses; et ce que nous avons vu en ce genre nous a prouvé ce que le clergé pourrait faire encore de nos jours, si les ressources répondaient à son zèle. Il est donc injuste de répéter que, sous le rapport des arts, les prêtres sont hors du progrès, pour nous servir de l'expression du jour. On devrait considérer que dans la construction ou la restauration d'une église, les pasteurs ne sont souvent admis à prendre d'autre part à la direction des travaux que par les conseils qu'ils donnent, et ces conseils ne sont pas toujours agréés. Ils ne sont donc pas seuls responsables de tout ce que le mauvais goût et l'ignorance peuvent introduire de défectueux dans l'exécution des ouvrages.

Il nous eût été agréable de n'avoir, dans nos visites pastorales, qu'à donner des éloges aux réparations qui avaient été exécutées dans les églises que nous visitions. Nous avons été forcé quelquefois de blâmer ce que le goût réprouvait et ce qui était opposé aux principes de l'art chrétien. Dans la restauration d'une église, à quelque siècle qu'elle appartienne, il faut chercher surtout à conserver l'unité de style; autrement on détruit, de la manière la plus désagréable à l'œil, toute l'harmonic de l'édifice; on renverse tout le plan, et on efface, pour ainsi dire, toute la pensée de l'architecte qui l'a élevé. Une grande partie de nos églises appartient au style roman (1). Le plein cintre se montre partout. Les fenètres et les piliers qui soutiennent les arcs sont ornés de colonnes dont les chapiteaux offrent différents sujets, souvent historiques, quelquefois empruntés à la mythologie. Si, en réparant ces sanctuaires, on ne conserve pas le plein cintre, si on remplace le chapiteau byzantin par le chapiteau corinthien ou ionique, par exemple, il est facile de voir quel effet doit produire ce mélange bizarre de styles et d'ordres si différents.

Nous avons vu avec peine que, dans quelques églises, les fabriques, pour donner plus de lumière dans l'intérieur de l'édifice, avaient fait remplacer des fenêtres ornées dans le style du XV. siècle par des croisées qui auraient mieux convenu à la maison d'un particulier. Le marteau de l'ouvrier

(1) Voir le Cours d'antiquités de M. de Caumont.

avait brisé les trèfles et autres ornements qui offraient auparavant un ensemble si gracieux et ne donnaient passage qu'à une clarté plus religieuse. Dans d'autres paroisses, les administrateurs de l'église ont cru plus avantageux de faire enlever les colonnes byzantines qui décoraient l'intérieur de l'apside, pour placer des bancs, et d'un morceau d'architecture remarquable, ils n'en ont plus fait qu'un pan de mur sans caractère

et sans ornements.

Dans notre diocèse, la génération actuelle des pasteurs n'a pas à se reprocher ces torts irréparables causés à plusieurs de nos églises. Ils doivent tous être imputés à un siècle où tout semblait en décadence dans la société, et le goût et les mœurs; à un siècle qui, avec des prétentions à la philosophie, défigurait, sans respect pour l'antiquité, nos plus beaux monuments, inettait le sceau de sa légèreté sur les ornements qu'il substizuait aux graves décorations du moyen âge, et étalait l'afféterie du bel-esprit jusque dans la restauration de nos plus vénérables sanctuaires. Cependant nous avons eu à nous plaindre du badigeonnage. Ainsi nous avons remarqué avec déplaisir que le pinceau de l'ouvrier ne se fût pas seulement exercé sur les murs intérieurs de l'église, mais qu'il eût quelquefois coloré l'extérieur d'un portail orné dans la manière du Xe, ou du XI. siècle, ou dans celle du commencement de la Renaissance. Rien n'est moins flatteur à l'œil que ces prétendues restaurations. Les ouvriers ne doivent pas être livrés à eux-mêmes; mais il faut diriger leur main et guider leur ignorance.

Nous vous recommandons expressément, Messieurs, de veiller à ce qu'on ne mutile point vos églises lorsqu'on les réparera; et nous défendons aux fabriques de rien changer à L'ordonnance de l'édifice, de ne point remplacer les anciennes fenêtres ou les portes, ou les pierres tumulaires, sans nous avoir exposé la nécessité de ces restaurations, et sans que nous leur ayons transmis, sur leurs projets, l'avis d'hommes éclairés et qui aient fait une étude spéciale du style de l'église que l'on veut réparer.

On n'a pas toujours pris toutes les précautions possibles pour ne pas mutiler l'extérieur d'une église, de l'apside, par exemple, dans la construction d'une sacristie. On a souvent élevé ce bâtiment, nécessaire à la vérité, sans se mettre en peine si on détruisait des colonnes précieuses par le travail, des corniches qu'on ne pourrait plus retrouver, sans trop s'embarrasser de concilier le besoin d'une sacristie avec l'importance de conserver des détails d'architecture du plus haut intérêt. Il est résulté de là qu'on a défiguré des églises qui méritaient l'attention des hommes instruits.

D'autres fois on nous a manifesté le projet de remplacer, par un parquet, des pavés formés artistement de compartiments en pierres de différentes couleurs, et qui appartenaient à une époque fort reculée. Il existe peu de ces sortes d'ouvrages dans notre diocèse. Nous devons conserver avec soin ce qui a échappé aux ravages du temps et du mauvais goût.

Nous ne devons pas omettre ici une observation qui peut avoir son utilité. Il y a des artistes ambulants qui exploitent le goût prononcé des campagnes pour les couleurs vives, et qui font, à un prix élevé, des peintures sans idées et souvent ignobles. Dans quelques paroisses on a fait exécuter de ces sortes d'ouvrages. Heureusement que l'humidité de nos montagnes les feront disparaître en peu de temps. Mais ils n'en ont pas moins fait dépenser un argent qui aurait pu être employé à une réparation nécessaire ou à un embellissement de bon goût. Il arrive de là qu'une église, régulière dans ses proportions, est comme rapetissée, rétrécie à l'œil par ce fracas de couleurs, par ces imitations de marbres, et ces représentations même de marbres qui n'ont jamais existé. Ces sortes de

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