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plus jeune des fils de Tancrède de Hauteville, après avoir fermé les yeux à son père, arriva en Calabre avec sa mère el ses trois sœurs (1). Il était dans la fleur de l'âge sa taille élévée et sa beauté mâle en faisaient un cavalier accompli, et à ces avantages extérieurs il joignait l'enjouement et la douceur, l'audace, l'activité, l'intelligence. Robert l'accueillit avec faveur et lui donna un commandement particulier; mais il se distingua tellement dans l'exercice de ses fonctions, et se concilia à un tel point l'amour de ses subordonnés, qu'il éveilla la jalousie du chef. De son côté, Roger murmurait de voir que ses services n'étaient pas récompensés selon leur importance. Il se passa quelque temps pendant lequel les deux frères res'èrent complètement étrangers l'un à l'autre ; cependant Robert faisant bientôt réflexion qu'il n'y aurait pas moins de danger à avoir Roger pour ennemi que d'avantage à le compter au nombre de ses amis, fit cesser la mésintelligence qui régnait entre eux, en lui donnant le comté de Melito et toute la partie occidentale de la Calabre y compris les villes de Scylla et de Reggio (2), qui avaient été les dernières enlevées à l'empereur de Constantinople.

L'année suivante (1059), Robert désirant consolider sa puissance en s'alliant à l'une des familles nobles de la Lombardie, fit valoir un pretexte de parenté pour faire casser son mariage avec Alvareda (3), et épousa Sikelgayta, la plus jeune des filles de Gaimar, prince de Salerne (4).

(1) Malaterra, lib. 1, c. 28.

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(2) Leo Ostiensis. Inveges, v. III.

(3) Cognita, prætereà, quod prædicta Alvareda sibi affinis esset. -Leo Ost. lib. I, c. 16.-Robert cut d'Alvareda un fils, nommé Boemond, qui hérita de toute la ruse de son père, et qui devint prince d'Antioche.

(4) Malaterra.

CHAPITRE II.

A la suite du rappel de Maniaces en 1052, tout ce qu'on avait enlevé aux Sarrazins en Sicile retomba entre leurs mains. Ils se retrouvèrent les maîtres de l'île entière; mais, comme ils avaient cessé de reconnaître la suprématie des Califes d'Egypte, et qu'ils avaient partagé la Sicile en une foule de petites principautés séparées, la discorde ne tarda pas à régner entre eux. Durant l'une de ces luttes, Ben-et-Themnach se vit dépouillé du gouvernement de Catane. Fugitif et proscrit, il jura de se venger dans l'hiver de l'année 1061, il arriva déguise à Mileto, et s'efforça de persuader au comte Roger d'envahir la Sicile. Vers le même temps on vit arriver dans les États Normands une députation des Grecs de Messine, organe de sollicitations du même genre, mais faites dans des vues différentes. Les Messinois représentaient que les Sarrazins étaient encore une fois désunis; que la moitié de la population de l'ile se composait de Grecs et de Chrétiens qui attendaient des Normands leur délivrance et qui étaient prêts à se joindre à eux dès qu'ils auraient mis le pied sur le sol de la Sicile. Cette double démarche donna aux chefs Normands l'idée de tenter la conquête de l'île.

Les mois de mars et d'avril furent employés à faire les préparatifs de l'expédition (1). Le duc arriva en personne à la tête de ses troupes dans le sud de la Calabre. Les Sarrazins de Palerme, à la nouvelle de l'entreprise formée par les Normands, dépêchèrent quelques vaisseaux en croisière dans les parages de Reggio pour défendre contre la flotte ennemie le passage du détroit. Le prudent Robert jugeait l'expédition qui

(1) Fazellus, de rebus siculis, lib. vII. c. 1.

:

se préparait si aventureuse qu'il avait déjà plusieurs fois reculé le moment du départ (1). Mais son jeune frère, incapable de modérer plus long-temps sa bouillante ardeur, méditait un coup d'éclat durant une nuit sombre, sans avoir parlé au duc de son projet, il mit à la voile avec 270 hommes d'armes (2), trompa la vigilance des croiseurs de Palerme, aborda, sans avoir été découvert, un peu au-dessous de Messine, attaqua les Sarrazins à l'improviste, et secondé par les Chrétiens qui étaient dans la ville, il planta avant le jour son étendard sur ses murailles (3).

Le duc se hâta d'aller joindre le comte avec des renforts; et après avoir laissé une garnison dans Messine les deux fières entrèrent dans le Val-Demona. Les Chrétiens qui formaient la plus grande partie de la population de cette province reçurent les Normands comme des libérateurs.

Pendant ce temps-là les Sarrazins rassemblaient leurs forces, et quand ils furent prêts à combattre, ils vinrent offrir la bataille aux Normands dans la plaine qui est au-dessous de Castro-Giovanni. Si nous en croyons les anciens chroniqueurs, les Normands n'avaient que 700 hommes, tandis que les Sarrazins en avaient 15,000 (4). Quoi qu'il en soit, les premiers remportèrent une victoire complète, et ils ôtèrent à leurs ennemis, du moins pour quelque temps, l'envie de les attaquer.

L'année se passa sans que les Normands eussent fait rien autre chose d'important: seulement Roger poussa une fois, å la tête de cent hommes d'armes jusqu'à Agrigente (5), et unc autre fois jusque dans les environs de Syracuse; et dans l'une

(1) Malaterra, lib. II. c. 8.

(2) Ibid. l. 1. c. 10.

(3) Messanam ex improviso occupat. Leo Ost.

(4) Malaterra, lib. II. c. 17.

(5) Usque Grigentum prædatum. Malaterra, lib. II. c. 17.

et l'autre occasion il revint au camp chargé des dépouilles des ennemis. A son retour de la seconde expédition, il fut appelé par les Chrétiens de Traina (1) qui lui livrèrent la ville. Il y était le jour de Noël quand il reçut la nouvelle de l'arrivée en Calabre de Robert de Grandmesnil, prieur de St.-Evroult en Normandie, et de ses sœurs Emma et Eremberge.

En venant de Hauteville en Normandie, Roger avait passé quelques jours au prieuré de St.-Evroult (2); et c'est alors qu'il avait pu voir et admirer la belle Eremberge (3), qui vivait avec sa sœur sous des habits de novices, dans le prieuré de leur frère. A la suite du passage de Roger par St.-Evroult une mésintelligence survenue entre Guillaume, duc de Normandie, et le prieur, mit celui-ci dans la nécessité de fuir (4): il vint en Italie avec ses deux sœurs qui n'avaient pas voulu le laisser partir seul (5). Le comte ne fut pas plutôt instruit de leur arrivée en Calabre qu'il se hâta de quitter Traina : et quelques jours après il conduisait à l'autel l'objet de son premier amour (6).

L'année suivante (1064), le comte retourna avec sa jeune

(1) Malaterra, l. I. c. 18.

(2) Tunc Rogerius Tancredi de Altavilla filius, in Italiam pergens, ibidem (in capella S. Ebrulfi) affecit. Ord. Vit. lib. 3.

(3) Duæ sorores uterinæ Roberti abbatis, Judith et Emma, apud Uticum, in capella S. Ebrulfi morabantur et sub sacro velamine, renunciâsse credebantur. Ord. Vit. lib. 3.

(4) Ascensisque equis, cum duobus monachis, Fulcone et Urso, Galliam expetiit.-Robertus abbas. Ord. Vit. lib. 3.

(5) Quæ (Judith et Emma scilicet) cum Rodbertum fratrem suum in Apulia sat vigere audiissent, iter in Italiam inierunt. Comes Rogerius Judith in conjugium accepit. Ibid.

(6) Trayna Rogerius in Calabriam reversus Eremburgam, Roberti S. Euphemiæ comitis germanam sororem duxit. Fazellus de rebus Siculis.

épouse à Traina, et la laissant dans cette ville, il alla mettre le siège devant Nicosie. Pendant son absence, les Grecs de Traina qui avaient peut-être raison de se plaindre de la conduite des soldats normands, se révoltèrent (1). Le comte revint en toute hâte, et l'émeute était en apparence étouffée, quand les Sarrazins encouragés par les divisions des Chrétiens, s'approchèrent soudainement de la ville : les mécontents leur en ouvrirent les portes, et réunis à eux, ils assiégèrent le comte et ses normands dans la citadelle. Durant quatre mois, les Normands eurent à souffrir toutes les privations, et telle était l'extrémité à laquelle ils étaient réduits que le comte et la comtesse n'avaient qu'un manteau pour eux deux (2). Cependant, c'est à la rigueur excessive du froid qu'ils durent leur salut les assiégeants, pour le combattre, se mirent à boire du vin (3). Le comte dont l'œil d'aigle était toujours ouvert sur leur camp, s'aperçut que la discipline s'y relâchait : à la faveur d'une nuit sombre il fit une sortie et tua un si grand nombre de Sarrazins que le reste épouvanté prit la fuite. Les Normands se trouvèrent alors pour la seconde fois maîtres de la place (4). Après la levée du siège le comte se trouva obligé de retourner en Calabre pour y recruter des forces, et telle était la confiance qu'Eremberge lui avait inspirée par sa conduite durant le siège qu'il lui laissa le comman lement de Traina pendant son absence (5). La jeune comtesse s'acquitta à merveille de tous ses devoirs de gouverneur : elle faisait

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(1) Malat. lib. II, c. 29.

(2) Inter Comitem et Comitissam non nisi unam cappam habentes. Malaterra, lib. II. c. 29.

(3) Vini potationibus naturalem calorem intra se excitare nituntur. Ibid.

(4) Ibid.

(5) Malat. lib. II, c. 31.

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