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de la course que nous avions faite en admirant la vue majestueuse qu'il commande.

14 Septembre. Le vent s'étant apaisé, nous continuâmes notre voyage. Nous courûmes pendant quelques heures des bordées peu avantageuses; mais tout-à-coup, par l'effet d'un de ces caprices auxquels se livre si souvent la Méditerranée, le vent cessa complètement, et il fut permis à nos bateliers de se servir de leurs rames. La côte était toujours montagneuse. Nous passâmes devant quelques hauteurs sur le penchant desquelles sont suspendus de jolis villages. Nous vîmes aussi plusieurs vieilles tours qui se dressent sur certaines parties avancées du rivage. Au-dessus du village de Borro s'offrit à nos yeux un antique château, dont la tour principale a des parapets et des fenêtres de style sarrazin. Nous ne pûmes ce soir-là avancer que jusqu'à un groupe de cabanes de pêcheurs,appelé San Gregorio, où se trouve une petite anse environnée de récifs et de rochers. A trois heures et demie du matin, nous écartâmes le rideau de notre tente et nous aperçumes l'étoile pólaire, brillant comme une planète, et nos bateliers occupés des préparatifs du départ. Le vent de terre était descendu des montagnes, et pendant quelque temps il nous fut d'un puissant secours. Enfin nous distinguâmes clairement la hauteur au pied de laquelle est située Cefalu, et nous nous laissâmes aller à l'espoir d'y arriver avant la nuit. Soudain le même vent qui nous avait si long-temps contrariés se réveilla avec une violence nouvelle ; des nuages s'amoncelèrent au sommet de toutes les montagnes; des ténèbres couvrirent le ciel et les flots: tout nous présageait une tempête; et nous nous hatâmes de chercher un refuge à la Marina de Tusa. On eût dit qu'une puissance magique nous repoussait de Cefalu. Cependant il n'y eut pas de tempête, et au coucher du soleil le vent se calma. Le lendemain matin, 16 septembre, à deux heures, le vent souffla

de nouveau de la terre; vers neuf heures nous tournâmes la pointe du rocher de Cefalu et nous vîmes enfin à ses pieds la ville et sa fameuse cathédrale.

Cefalu est une cité du moyen âge elle : est bâtie au pied d'une éminence, sur un lit de rochers qui l'élève au-dessus du niveau de la mer, et lui compose un port indigne d'elle. A l'extrémité de la ville, et dans le voisinage immédiat de l'éminenec, se dresse isolée sur un monticule l'intéressante cathédrale. Au sommet de la hauteur se déconvrent çà et là des restes épars de l'ancienne Cephaledium et les murailles des fortifications modernes.

Ce qui prête à la cathédrale de Cefalu un puissant intérêt, c'est la certitude de sa date. Dans l'automne de l'année 1131, le roi Roger revenant de Calabre en Sicile fut surpris par une affreuse tempête. Dans cette circonstance périlleuse, il fit vœu, s'il échappait à la mort, de bâtir une église à l'endroit même où il prendrait terre. C'est à Cefalu qu'il aborda, et l'année suivante commençait la construction de la cathédrale.

Nous dirigeâmes notre bateau vers la partie du rivage où s'était posé le pied royak; mais il nous fut impossible de pénétrer dans la ville du même côté que Roger, car l'antique porte d'eau à ogive est bouchée, et l'on a construit une porte d'entrée moderne dans la direction de la principale rue. Nous courûmes, sans perdre de temps, à la cathédrale. C'est un édifice de grande dimension, bâti dans la forme de la croix latine; sa conservation ne laisse rien à désirer.. Il se compose d'une nef, d'ailes latérales et de transepts, et a trois apsides à son extrémité Est; mais il est dépourvu de tour centrale. Le chœur et les transepts sont voûtés. La nef a un plafond en bois. On y trouve un triforium, mais il n'existe pas de cleristorie.

Toutes les arcades sont de forme ogivale: celles qui bordent la nef, celles qui se trouvent à l'intersection de la nef et des

transepts, celles du triforium, celles des fenêtres, celles qui décorent l'extérieur du monument, toutes ont adopté l'ogive.

Les colonnes de la nef ont été empruntées à des édifices plus anciens ; leurs chapiteaux imitent pour la plupart le chapiteau corinthien. Il existe un large intervalle entre eux et les impostes. La ligne perpendiculaire se prolonge à l'effet d'angmenter l'élévation.

Dans les chapiteaux des colonnes à l'intersection de la nef et des transepts, on voit mêlées au feuillage du style normand des figures grossièrement sculptées.

De chaque côté de l'apside principale sont deux rangées de colonnes surmontées de chapiteaux ; quant à l'apside ellemême, pas une colonne ne la décore, parce que son demicercle en entier, ainsi que les murailles adjacentes du chœur, sont couverts de mosaïques, comme dans les églises byzantines. La Vierge est placée au centre; le reste de l'espace est occupé par des anges, des apôtres, des prophètes, des rois et des juges, des guerriers et des saints. Les noms des saints sont écrits en caractères grecs. De chaque côté de l'entrée du chœur sont des trônes en marbre blanc, ornés de mosaïques. Sur celui de droite, on lit: sedes episcopalis; celui de gauche porte cette inscription: sedes regia.

Les fenêtres sont unies et n'ont point de méneaux. A l'extrémité des transepts on voit de petites fenêtres circulaires percées sous des arcades à lancette obtuse.

La façade occidentale est extrêmement simple. Elle consiste en un retrait flanqué de deux tours carrées saillantes. La partie supérieure du retrait, aussi bien que celle des tours, est ornée d'une série d'arcades entrelacées qu'environne la moulure en zigzag.

Le portail de l'ouest est infiniment curieux. C'est un demicercle compris dans un pédiment qui repose sur des pilastres unis.

La moulure du pédiment imite l'acanthe. Le portail a cinq faces enrichies, bordées de moulures à grains de collier. Sur la première est un rouleau décoré, dont les extrémités sont ornécs de figures d'animaux ; sur la seconde, on distingue l'ove et la languette; sur la troisième, des figures et des patères; sur la quatrième, un feuillage entrelac é; et enfin, sur la face voisine de la porte, on remarque le chevron normand. Le pédiment et le portail sont en marbre blanc. Au-dessus du dernier est une fenêtre à tête ogivale; et dans les tours on voit deux rangées de fenêtres de même forme: celles de la rangée supérieure sont divisées par de petites colonnes. Un porche à trois arcades tout l'espace compris entre les deux tours. Il a une voûte ogivale et des clefs de pierre ornées. Ses arcades latérales sont en ogive, mais l'arcade centrale est circulaire. Les chapiteaux de ses colonnes sout décorés de cottes d'armes. Ce porche est uue addition, et sa construction ne peut remonter au-delà du XIV. siècle.

occupe

Sur la partie supérieure des murs des transepts, à l'extérieur, on distingue une répétition des petites arcades entrelacées qui décorent la façade occidentale.

L'extérieur de l'extrémité Est est très-orné. Sur les deux apsides latérales se voient des colonnes sveltes qui supportent des arcades ogivales: on voit plus haut une corniche, composée d'une suite de petits demi-cercles reposant sur des têtes grotesques, telles qu'il s'en rencontre dans un grand nombre d'églises de Normandie. L'apside principale est ornée de minces colonnes accouplées qui se prolongent jusqu'à la corniche: ces colonnes ont des chapiteaux. La corniche ellemême se compose de têtes grimaçantes.

L'édifice est bâti en entier de grosses pierres carrées, et le chœur est en bon état : on remarque seulement à la partie

supérieure des imperfections qui paraissent avoir toujours existé (1).

De la description que nous venons de donner de la cathédrale de Cefalu, il résulte que ce monument appartient incontestablement à l'architecture ogivale, et que ses ornements et ses détails révèlent un mélange de caractères normands, romains, grecs et byzantins.

Au côté nord de la cathédrale est attenant le palais de l'évêque ; il a vue sur la mer. C'est un édifice dont toutes les parties sont modernes, à l'exception du cloître par lequel il touche à l'église. Ce cloître se compose d'arcades unies, de forme ogivale, lesquelles reposent sur des colonnes accouplées, remarquables par la multitude et la variété de leurs ornements. Les chapiteaux des colonnes sont disparates. Les uns se décorent de figures; les autres se rapprochent beaucoup des chapiteaux grecs: tous sont en marbre blanc et leur exécution est parfaite.

En parcourant d'autres parties de la ville, nous renarquâmes, dans un grand nombre de maisons, d'antiques fenêtres à ogive, divisées par des colonnes simples; plusieurs d'entre elles sont ornées de pierres blanches et noires disposées en échiquier.

Cefalu renferme, dit-on, 20,000 habitants, mais rien ne révèle en elle une cité florissante; tout démontre, au contraire, qu'elle n'a jamais eu sa part de progrès. Vous voyez tous les marchands travailler en plein air devant leurs portes, et cette circonstance porte à croire que leur présence n'est pas souvent nécessaire dans l'intérieur de leurs boutiques.

Sur le côté de la baie opposé à celui où est situé Cefalu, on distingue des collines couvertes d'oliviers. Au-delà sont des caps et des promontoires.

(1) La cathédrale de Cefalu, à l'intérieur, a 230 pieds de long sur 90 de large.

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