Page images
PDF
EPUB

tait son nom (1). Celle-ci a disparu sans laisser de traces de son existence, et l'on dit que Bronte a été bâtie de ses ruines. A une époque moderne, alors que personne ne doutait plus de l'influence malsaine de l'air du pays dans certaines saisons de l'année, les religieuses de l'ordre de St.-Benoît qui occupaient le couvent, prirent la résolution d'aller chercher un asile à Bronte. L'été, le lit de la rivière voisine est presque à sec, et les matières fangeuses qui y croupissent, engendrent une peste qui se prolonge jusqu'aux premières pluies d'au

tomne.

Pendant que nous étions à Maniace, des nuages s'amoncelèrent autour du sommet de l'Etna, et avant notre retour à Bronte, ils crevèrent sur nos têtes, mais l'orage ne tarda pas à s'apaiser.

A dix-huit milles sud-ouest de Bronte, sur le haut d'une colline escarpée, s'élève la ville de Traina, où le comte Roger bâtit une église (2), et dont il fit la métropole de son premier diocèse. Comme il me fut impossible d'aller la visiter moimême, j'en donne ici la description d'après les notes que ine fournit signor Musumeci, jeune architecte de Palerme, qui voulut bien, à ma demande, se rendre sur les lieux, et auquel je suis redevable du plan et du dessin des monuments actuels de Traina.

L'extrémité orientale et le beffroi de la cathédrale fondée par le comte, ont survécu en partie. Le reste de l'édifice est

(1) Manaicium oppidum, ad Ætnæ radices, à Georgio Maniace conditum.

(2) Rogerius comentarios conducens undecumque aggregat. Templi jacet fundamenta in urbe Trainicâ. Ad quod perstans ævo brevi superat. Gaufridus, lib. 1, c. 19.

In dedicatione ecclesiæ quæ facta est anno ab incarnatione Domini millesimo octogesimo primo. Diploma apud Fazellum.

une reconstruction moderne. Ces deux lambeaux de l'œuvre autique sont bâtis en grandes pierres carrées, disposées en rangées régulières. Dans le style on s'est étudié à imiter les formes romaines. Dans la partie inférieure du beffroi se voit un porche où l'on remarque des arcades circulaires qui reposent sur des impostes, ornées d'une moulure romaine. L'extrémité orientale s'éloigne du plan ordinaire de la basilique. Elle est carrée et semble n'avoir jamais eu d'apside semi-circulaire.

Le monument est dans une position fort avantageuse, et la ville occupe encore ce poste dominant dont le comte normand avait tant d'intérêt de se rendre maître.

Vers l'année 1080, Roger jeta, à six milles environ de Traina, les fondements d'un autre édifice religieux. Au milieu d'une enceinte de vastes forêts, s'élevèrent le couvent et l'église de St.-Elias d'Ambula, dont furent dotés les moines de l'ordre grec de St.-Basile. Un affreux tremblement de terre qui, en 1643, étendit ses ravages sur la ville et la cathédrale de Traina et sur toute la contrée environnante, renversa de fond en comble la fondation normande. Les forêts seules ont survécu : leurs chênes séculaires sont d'un grand secours pour les constructions navales.

CHAPITRE VII.

A notre départ de Bronte, nous cûmes une montée assez longue à gravir, plusieurs lits successifs de lave à traverser. C'est à diverses reprises que la lave s'est amoncelée dans ces lieux, et elle y a fait de grands ravages. Autour de nous tout était sauvage et sans intérêt; heureusement l'Etua s'élevait toujours à notre droite son sommet était alors couronné de neige, la pluie qui nous avait surpris dans la vallée, s'y

L

était congelée. Nous arrivâmes enfin au haut de la colline, et en la descendant nous nous trouvâmes environnés de bouquets de chênes et de châtaigniers.

Au moyen âge, Randazzo était une ville importante. Elle fut, dans l'origine, occupée par une colonie de Lombards venus de Calabre, après que ce pays fut tombé sous la domination normande, et qui se distinguèrent dans la suite par la haine opiniâtre qu'ils vouèrent aux Sarrazins (1).

Randazzo a conservé presque tous les traits de sa physionomie antique: elle a encore ses vieilles murailles, ses vieilles maisons, ses rues étroites et tortueuses, ses belles églises. Partout se présentent aux yeux des portes à ogive et des fenêtres divisées par de minces colonnettes. La plupart des maisons qui portent ces caractères architectoniques sont de petite dimension. Tant qu'une enceinte de murailles fut nécessaire, une habitation spacieuse fut toujours un luxe que la richesse même ne put se permettre.

La Madre Chiesa est moderne, à l'exception de sa campanille, qui est une bonne tour, bâtie de rangées de pierres alternativement blanches et noires. Les arcades de ses fenêtres sont très-obtuses. Celles-ci sont environnées de riches moulures et partagées au moyen de colonnes simples, surmontées de chapiteaux à feuilles sans ornements.

A l'extrémité opposée de la ville, est l'église bien plus curieuse de Ste.-Marie. Elle est construite de larges blocs de lave de forme quadrangulaire. A son extrémité orientale, se voient trois apsides, qui sont décorées, à l'intérieur, de têtes et de moulures normandes. A l'extrémité occidentale, s'élève une haute tour au-dessous de laquelle est ouvert un porche. Les arcades

(1) Dès les temps de Frédéric d'Arragon, les plus jeunes fils des rois de Sicile portaient le titre de ducs de Randazzo; ce qui fait voir que cette ville était, pour quelque raison, tenue en grande estime.

de ce porche et celles du portail à l'intérieur de l'église sont en ogive. Le portail a plusieurs moulures supportées par des colonnes en nombre correspondant, lesquelles sont ornées de chevrons en bas-relief et partagées, au moyen d'une bande somptueusement décorée, en deux étages. Sur leurs chapiteaux sont sculptées de grossières figures d'animaux. Bien que parmi les caractères de ce porche, plusieurs aient de l'analogie avec ceux des édifices du nord, il diffère toutefois matériellement d'une construction anglaise ou française du XIII. siècle.

On lit dans cette église une inscription qui rappelle que l'architecte qui en dirigea la construction était un certain Léon Cumier (1); ce nom n'indique pas une origine italienne. Léon Cumier appartenait probablement à l'une de ces nombreuses familles allemandes que l'empereur Henri VI établit en Sicile, où à l'une de celles qui y furent introduites en 1198

(1) La date de l'église est rappelée par deux inscriptions qui existent encore dans deux parties différentes du monument. L'une est ainsi conçue:

« Anno Domini 1328 actum est hoc opus. »

L'autre est gravée sur un bloc de lave qui fait encore partie des murailles de l'église, mais qui n'occupe plus la même place qu'autrefois. Un ou deux mots de cette inscription manquent, et elle est pleine de contractions. Elle a été déchiffrée par les soins réunis de Don Augustino Gallo et de l'abbé Buschemi, qui l'ont lue ainsi qu'il suit:

Mille ducenta decem quinque et septena fluebant
Tempora post genitum sanctá de Virgine Verbum,
Construitur, tecti lapidum subnixa columnis,
Virginis hæc Aula, bis senis arte politis
Arcubus illustrat Leo Cumier arte mirandâ,

Hoc opus egregium Christi venerabile templum.

Je suis redevable de ces deux inscriptions et de beaucoup d'autres renseignements précieux, à l'obligeance de Don Augustino Gallo, de Palerme, justement renommé pour ses vastes connaissances archéologiques.

par Marcovaldo, duc de Ravenne, au milieu des efforts qu'il fit, durant la minorité de Frédéric II, pour s'assurer à luimême la possession de la Sicile.

L'église de Ste.-Marie de Randazzo vient nous éclairer sur l'architecture du temps de Frédéric II, puisqu'il ressort évidemment des inscriptions que j'ai citées tout-à-l'heure, que l'édifice a été rebâti presque en entier sous le règne de cet

empereur.

Vis-à-vis de cette église se voit une porte qui est ornée du chevron normand.

A six milles environ de Randazzo, au-dessous du village de Malvagna, existe encore un de ces quelques vestiges en Sicile de l'existence du Bas-Empire. C'est une chapelle carrée, surmontée d'une coupole en pierre, et à trois des côtés de laquelle on distingue une apside semi-circulaire. Toutes les arcades du monument sont à plein cintre, et ses quatre petites fenêtres ont des têtes rondes. Cette chapelle, toute étroite, toute simple qu'elle est, offre cependant un immense intérêt, en ce qu'elle révèle les caractères du style byzantin originel, et qu'elle indique la source d'où sont dérivés quelques-uns des traits particuliers que l'on découvre dans les monuments siciliens d'une époque moins éloignée.

Au-delà de Randazzo, la contrée est pittoresque et fertile : le chêne et le châtaignier, l'olivier et la vigne y croissent en abondance. A droite se dresse l'Etna; à gauche on entrevoit, dans l'éloignement, une rangée de montagnes.

Nous descendions toujours; arrivés à Lingua Grossa, nous y passâmes la nuit dans une auberge d'une propreté fort équivoque.

[ocr errors]

2 Septembre. A quatre heures nous étions en route; nous descendîmes rapidement à travers une campagne riche-' ment cultivéc, entrecoupée çà et là de ruisseaux de lave,

« PreviousContinue »