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première construction. Ces portions de la forteresse ne portent l'empreinte d'aucun style particulier d'architecture. Rien n'indique à quelle époque elles peuvent avoir été élevées ; et elles sont si solidement construites qu'il est impossible de dire combien de siècles elles ont pu traverser. Les historiens siciliens ont fait plus d'une fois mention de ce château fort. Ils le représentent comme ayant prolongé son existence dans les XIII. et XIV. siècles, et toutes les fois qu'ils en parlent, il l'appellent toujours le château de Maniaces. Les deux plus intéressantes parties de l'édifice sont une grande salle et une porte leurs caractères qui n'échappent point, comme ceux des autres parties, à l'œil exercé de l'antiquaire, appartiennent à des siècles beaucoup moins éloignés que ceux où vivait le général de Byzance.

La salle est en ruine : les barils de poudre que l'on s'était avisé d'y renfermer, il n'y a pas bien long-temps, éclatèrent tout-à-coup, et cette explosion fit d'effrayants ravages. Cependant l'édifice a conservé quelques-unes de ses fenêtres à tête ronde, et l'on retrouve encore plusieurs des arcades ogivales qui supportaient la voûte. Ce mélange des formes circulaires et des formes ogivales ferait, en Angleterre, remonter la construction du monument aux dernières années du règne d'Henri II, mais on peut remarquer que les arcades reposent sur des colonnes surmontées de chapiteaux octogones, et l'usage de ces chapiteaux ne fut introduit dans le nord qu'à une époque bien postérieure. A l'un des côtés de la salle, se voient les restes d'une de ces grandes cheminées en pierre, à manteau saillant, que l'on rencontre si souvent dans les contrées septentrionales de l'Europe.

La porte est ogivale, et d'un fini admirable.

Elle est ornée de quelques moulures hardies, et d'une variété de décorations qui n'appartiennent pas à l'architecture du

nord, mais qui révèlent l'immixtion du style grec dans l'architecture en ogive de Sicile.

Les chroniques ne nous disent pas par qui, ni en quel temps, furent entrepris les travaux de restauration du château, travaux qui ont dû être dispendicux. Il servait de résidence habituelle aux rois de Sicile, toutes les fois qu'ils venaient visiter Syracuse, et quelques-unes de leurs ordonnances sont datées de cet endroit (1); mais rien ne rappelle qu'ils aient jamais touché à l'édifice, et il n'est fait nulle part mention de dommages soufferts par ce dernier. Nous nous trouvons donc totalement réduits aux conjectures ; et là où il existe une alliance si singulière de styles, il est trèsdifficile de se créer une opinion. Cette opinion formée, qui oserait d'ailleurs la risquer? Toutefois à prendre le trait monumental, qui nous rappelle les temps moins éloignés, il doit, si sa contemporanéité apparente avec le reste de l'édifice est reconnue réelle, servir au moins de renseigneinent pour l'établissement de la date. On sait si la reproduction des formes anciennes est fréquente, il est rare, autre côté, que l'on anticipe sur les formes nouvelles. En partant de ce principe, les chapiteaux octogones à feuilles, interdisent de supposer que la construction remonte à une époque antérieure au XIV. siècle.

que

d'un

Après avoir examiné avec soin ce curieux monument, nous courûmes par toute la ville à la découverte d'antiquités du moyen âge. Nous contemplâmes avec intérêt plusieurs portes ogivales unies, surmontées de larmiers, et quelques ancienues fenêtres divisées par de minces colonnettes. Nous observâmes aussi deux ou trois portails à ogive, ornés d'un certain

(1) Indė Fredericus III contulit se Syracusis in arcem Maniaci 1301. Maurolycus, de rebus Siculis.

nombre de moulures profondes; leur style ressemble à celui qui est en usage dans le nord, et dont on ne rencontre sur le sol sicilien que de très-rares exemples. Les annales ecclésiastiques de Syracuse sont malheureusement si pauvres qu'elles nous laissent dans une complète obscurité en ce qui concerne la date des églises auxquelles ces portails appar

tiennent.

Le 29 août, nous retournâmes par terre à Catane qui est distante de 40 milles de Syracuse: ce voyage nous prit la journée entière. Nous le fìmes dans un lettiga, sorte d'équipage qui n'existe qu'en Sicile, parce qu'il n'est pas de nations civilisées qui manquent, comme les Siciliens, de routes pour les voitures. Le lettiga est un petit vis-à-vis porté par deux mules, de la même manière que nos chaises à porteurs. Chaque lettiga est accompagné de deux guides qui sont tour-à-tour occupés à aiguillonner les mules. Ils se reposent alternativement sur le dos de la mule de devant. Les bêtes de somme ont le pied si ferme, qu'elles traversent les sentiers les plus dangereux, montent et descendent les hauteurs les plus escarpées, franchissent les lits desséchés des torrents, sans le moindre faux pas, à l'étonnement et à la satisfaction des voyageurs. Le voyage dans le lettiga n'a rien de désagréable; c'est un mode de transport très-coufortable en été, parce que, grâce à lui, on se trouve à l'abri des rayons ardents du soleil.

La contrée que nous traversâmes, est inculte et sauvage : le malaria y a établi presque partout son fatal empire, et nos guides nous recommandèrent expressément de ne pas céder un seul instant au sommeil. Tant que l'on se tient éveillé, le malaria n'a pas de prise sur vous; mais si l'on vient à s'endormir, il est rare qu'on lui échappe. Le châtiment terrible / que nous avions en perspective nous fit redoubler d'effort pour tenir nos yeux ouverts; mais ce n'était pas là une tâche

facile, car nous nous étions levés à quatre heures du matin, et il faut savoir de plus que le mouvement du lettiga est essentiellement soporifique. Cependant les cris aigus et discordants que le guide à pied ne cessait de pousser aux oreilles de ses mules, nous aidèrent à obéir à ses injonctions.

La triste contrée que nous parcourions est entrecoupée de ravins et de ruisseaux nombreux, dans le lit desquels croît l'olivier sauvage. Les broussailles qui bordent la route se composent de myrte et d'alaterne. Des espèces variées de liliacées se rencontrent à chaque pas, et quand on se rapproche de la côte, on aperçoit les belles fleurs blanches de l'amaryllis, que les Siciliens appellent giglio di mare, parce qu'il affectionne la terre sablonncuse du rivage. La Sicile est renommée pour ses richesses botaniques: quand vient le printemps, sur son sol s'étend un brillant tapis de fleurs.

Nos guides appelèrent bientôt notre attention sur la ville d'Augusta que l'on entrevoit sur la côte, dans le lointain. Elle a des fortifications et un bon port, mais son commerce, qui faisait d'elle une cité florissante, est anéanti, et la tristesse règne aujourd'hui dans ses murs. Il y a encore dans son voisinage une plantation de cannes à sucre.

Vers midi, nous descendìmes une longue et raide colline, par un sentier rocailleux et infernal. Arrivés dans la plaine, nous fimes halte à une petite échoppe isolée où nos mules prirent leur repas. 11 serait difficile d'imaginer une hutte plus misérable : les joues hâves et les yeux hagards de ses infortunés habitants, témoignent éloquemment de l'influence fatale de l'air dans lequel ils vivent. Du pain et des œufs étaient tout ce qu'ils avaient à nous offrir.

Nous nous remîmes en route; nos yeux s'arrêtèrent avec une sorte de crainte religieuse sur le grand Etna et la ville de Catane humblement assise à ses pieds. Nous avançâmes dans

le cœur du pays. Jusqu'à Catane nous parcourûmes une plaine unic. Il y a loin de cette contrée à celle que nous avions traversée le matin; le sol y est fertile, la vue se repose avec consolation sur ses vastes et riches champs de blé.

CHAPITRE VI.

30 Août. Catanc est une ville toute moderne: l'Etna n'a jamais voulu la laisser long-temps vieillir. La dernière destruction fut si complète qu'elle permit de rebâtir la ville sur un plan régulier. Les rues sont donc toutes à angles droits; les monuments publics, les couvents et les places sont daus leur disposition en parfaite harmonie avec l'effet général; et comme on a partout suivi les règles d'un style d'architecture orné, il y a beaucoup à admirer dans le tableau que la cité présente. Mais le plan a été disposé sur une échelle trop ambitieuse, et il en résulte qu'un grand nombre de parties sout incomplètes. Dans quelques-unes des rues les moins importantes il y a des vides qui en détruisent la régularité, et l'on rencontre, dans les quartiers les plus riches, des édifices restés inachevés.

Les dommages fréquents et considérables que les éruptious du volcan ont fait souffrir à Catane, ont cependant laissé subsister quelques lambeaux de monuments antiques. Un théâtre grec, un édifice circulaire consacré maintenant au culte, et qui paraît avoir été, sous la domination romaine, un local pour les baius, sont les représentants, à Catane, de l'architecture d'Athènes et de Rome. On y retrouve aussi quelques traces des travaux des Normands. L'extrémité orientale et les transepts de la cathédrale, à ne pas s'arrêter aux prétentions de ceux qui ont voulu leur assigner une date plus ancienne

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