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La Syracuse moderne n'occupe plus que la petite presqu'île où existait autrefois ce quartier de la ville antique qui portait le nom d'Ortygie; comme si Londres était réduit à la tour et à la colline où la tour s'élève, comme si Paris était réduit à l'île dont la Seine vient baigner les bords. L'isthme qui unit la péninsule à la côte, sépare le grand port du petit.

Au lever du soleil, nous louâmes une barque, et nous allâmes toucher à cette partie du rivage qui est la plus voisine des ruines de Neapolis. Le premier objet qui s'offrit à nos regards dans cette triste région, fut une colonne de marbre de Cipollino, monument de richesse et de grandeur, dernier vestige du portique, jadis si superbe, du temple de Cérès, Nous nous dirigeâmes ensuite vers le théâtre (1) et l'amphithéâtre dont on a récemment balayé les ruines. Le site anjourd'hui désert, où Neapolis se dressait autrefois, se présenta à nous; nous y montâmes en suivant cette même route qui, dans les temps anciens, était incessamment fréquentée par des milliers de marchands, dont il ne reste plus pour souvenir leurs tombeaux creusés dans le roc de l'un et de l'autre côté du chemin.

que

Dans le voisinage du théâtre, où nous reportâmes nos pas, nous aperçûmes quelques terres fertiles qui doivent leur fécondité à l'aquéduc qui alimentait la Syracuse antique. L'eau y coule avec autant d'abondance que si elle était encore appelée à suffire aux besoins d'un million d'hommes.

Plus loin, nous rencontrâmes une de ces anciennes carrières, à qui des masses de rochers aux formes fantastiques, des bruyères rampantes, des arbres au verd feuillage, piêtent un aspect si pittoresque. C'est là qu'est située la ca

(1) Ce théâtre est bien figuré dans le supplément de Donaldson à l'Athènes de Stewart.

verne connue sous le nom de l'oreille de Denis. Une ouverture pratiquée dans la voûte, ouvrage de la nature ou des hommes, conduit les sons proférés dans la caverne jusqu'à un lieu particulier. Mon compagnon fit apporter des cordes à l'aide desquelles on le hissa jusqu'en cet endroit. Quand il y fut arrivé, il se trouva en état d'entendre parfaitement ce que l'on disait au fond de la caverne sur le ton ordinaire de la conversation; mais les paroles que l'on prononçait à demi-voix lui échappaient.

Après avoir quitté ces lieux, nous traversâmes Achradina, le quartier le plus populeux de l'ancienne Syracuse ; à l'exception de l'église de St.-Jean (1) qui est bâtie au-dessus de l'entrée de vastes catacombes, on y rencontre à peine un édifice. A cette église sont attenants un couvent de Capucins, et les débris d'un vieux cloître de style circulaire.

En avançant, nous découvrîmes un autre couvent de Capucins derrière lequel existe la plus curieuse de toutes les carrières antiques. On en a fait le jardin du couvent les orangers et les limoniers y croissent en abondance. Nous avons contemplé avec beaucoup d'intérêt les singulières figures de ses rochers. Dans les uns on a creusé des cavernes, les autres sont restés dans un isolement tout pittoresque ce sont autant de pyramides sveltes et hardies qui, se découpant sur un ciel d'un bleu foncé, et planant sur les arbres et la bruyère qui les environnent, offrent à chaque pas des tableaux d'un charme inexprimable. Mais comme votre admiration se refroidit, comme cette scène qui vous paraissait si belle prend une teinte plus sombre, quand vous songez que ces carrières furent les prisons où languirent les soldats athéniens après la malheureuse expédition de Sicile !

(1) Richardus. Ep. Syrac. Dedicavit ecclesiam S. Johannis Baptistæ, anno 1182. L'église a été reconstruite, mais le cloître peut bien être un reste des édifices bâtis à cette époque.

Le couvent est situé sur une éminence qui domine ce qui était autrefois la Porta Marmorea, et où l'on a fait le petit port. Notre bateau avait fait le tour pour venir à notre rencontre ; il nous conduisit derrière la ville en traversant la Porta Marmorea, et la limpidité des eaux nous permit d'entrevoir, auprès du rivage, des débris d'anciennes constructions.

Aprés avoir déjeûné et nous être reposés durant les heures où la chaleur est la moins supportable, nous sortimes dans une autre direction; cette fois, nous nous acheminâmes droit à travers le grand port, et nous remontâmes la petite rivière d'Anape, à la recherche du seul lieu en Europe où croît le papyrus sauvage. L'Anape descend dans une plaine que rien ne protège contre les eaux qui jaillissent des nombreuses sources d'aleatour; le malaria l'infecte, et à ce désagrément viennent se joindre ceux résultant de la culture et de la préparation du chanvre. L'étroit ruisseau est plutôt un fossé marécageux qu'une rivière ; une végétation malsaine couvre ses lives. Çà et là, les roseaux et les herbes sauvages ont fait place à des champs de melons. Quand nous eûmes fait à grande peine avancer notre barque jusqu'à une distance considérable, nous apercûmes enfin le papyrus que nous cherchions. C'est un jonc colossal, de la hauteur d'un homme; il croît en bouquets et chacune de ses tiges nues se termine en touffes brunes qui constituent ses fleurs. Son écorce supplée à la membrane sur laquelle les anciens avaient coutume d'écrire. On la coupe Cu trauches extrêmement minces que l'on colle aisément eusemble; on les soumet ensuite à une forte pression, et une fois qu'elles sont parfaitement sèches, elles sont en état de retenir les caractères qu'on y imprime.

La mauvaise foi de notre guide et la paresse de nos bateliers nous privèrent de la vue de la belle fontaine de Cyène et des ruines du temple de Jupiter, qui ne sont pas bien éloignées du

point où nous nous arrêtâmes. A l'égard du temple, les regrets que nous éprouvâmes furent moins vifs, parce qu'il se réduit aux deux colonnes doriques que nous avions déjà entrevues de loin.

Dans la persuasion où nous étions que nous avions visité tout ce qu'il y avait à voir de ce côté, nous quittâmes notre barque les mules que l'on avait envoyées à notre rencontre nous attendaient. Nous avançâmes à travers la plaine pour gagner les hauteurs que l'on voit au-delà. Durant une course de deux heures, nous ne vîmes rien d'intéressant que les vestiges d'anciennes murailles, comme nous l'indiquèrent d'énormes blocs de pierre carrés, les uns épars, les autres assis encore à leur première place. Enfin nous atteignîmes les ruines de la forteresse qui est connue pour avoir été l'extrême limite de Syracuse antique, et qui est là debout comme un témoin irrécusable de l'étendue réelle de la cité. Ce qui en reste est considérable; et dans la muraille de la ville qui s'élève jusqu'au niveau de celles de la forteresse, on découvre encore les traces de la porte par où passa Marcellus. Cette partie de Syracuse était bâtie sur une éminence, et de là on peut apercevoir l'Etna dans le lointain.

Nous eûmes une route longue et ennuyeuse à parcourir derrière la ville nouvelle. Nous traversâmes l'emplacement de l'ancienne Syracuse dans toute sa longueur; cette course n'est pas moins considérable que celle qu'il faut faire pour aller de Shoreditch à Westminster par le Strand, et le terrain sur lequel nous marchions n'était pas autrefois moins chargé de maisons et d'habitants. Ce n'est plus aujourd'hui qu'une terre rocailleuse qui n'est fréquentée que par de rares troupeaux de biebis et de chèvres. Rien ne rappelle le passé; seulement les sillons tracés çà et là dans le roc par les roues des charriots, les lignes dentelées qui indiquent les fondations

des maisons (1), et parfois le murmure de l'eau quand vous vous trouvez sur la route que parcourt l'aquéduc, vous avertissent que vous marchez dans des lieux où bien des générations ont dû se succéder. On rencontre quelques champs cultivés, uue ou deux fermes modernes, mais rien d'antique ; et vous cherchez en vain ce que peuvent être devenus les temples et les palais, les vastes amas de marbre et de pierre, les matériaux, la vraie poussière de la Londres de l'antiquité.

CHAPITRE V.

28 Août.-Nous avions épuisé tous les trésors d'antiquités classiques que renferme Syracuse: la journée du 28 devait être consacrée à des recherches plus étroitement liées au but de notre voyage. Nous commençâmes par visiter le muséum, dont le principal ornement est le beau torse d'une Vénus qui a été découverte il y a quelques années, dans les fouilles entreprises à l'endroit où existait l'amphitéâtre. Il est à regretter que ce chef-d'œuvre ait été mutilé.

Nous allâmes ensuite visiter, à l'extrémité de la ville, le seul monument remarquable qu'ait légué à Syracuse l'art du moyen âge. C'est la forteresse qui occupe la pointe de la péninsule, et que l'on attribue toujours au général byzantin, Maniaces, dont elle porte le nom. Il est hors de doute que Maniaces, durant sa courte occupation de Syracuse, ait bâti dans ces lieux un château fortifié; on ne niera pas que le noyau du monument actuel, ses épaisses murailles, ses pesantes tours circulaires, ne puissent avoir fait partie de la

(1) Ces traces indiquent que les maisons privées étaient bâties sur une échelle aussi petite que celles de Pompéï.

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