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COMPTE-RENDU

DES TRAVAUX

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE

ET HISTORIQUE

DU LIMOUSIN

DEPUIS SA FONDATION (1)

(1845-1866)

MESSIEURS,

Notre Société est encore bien jeune, et pourtant la mort l'a déjà décimée, et, comme presque toujours, elle a choisi ses victimes. Dans notre nécrologe je n'ai qu'à prendre quelques noms, et à prononcer ceux de MM. Grellet-Dumazeau, l'abbé Texier, Auguste DuBoys, Leymarie, le baron Gay de Vernon, Poyet, Félix de Verneilh, l'abbé Roy de Pierrefitte, François Alluaud, Maurice Ardant : je suis certain que cette simple men

(1) Dans l'intérêt des recherches historiques, nous croyons utile de donner ici par extrait le Mémoire de M. Alfred Chapoulaud sur les travaux de la Société Archéologique et Historique du Limousin. Ce travail a été lu aux Assises Scientifiques de Limoges, dans la séance du 29 décembre 1866.

tion en dira plus que de longues phrases, et que ces noms aimés évoqueront en vous bien des souvenirs.

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Avant de vous entretenir des travaux de la Société Archéologique, je crois devoir vous donner une analyse succincte du discours prononcé par M. Morisot à la séance d'installation. M. Morisot, après avoir constaté que la tendance générale des esprits vers les études historiques a corrigé ce qu'il y avait de trop abstrait dans la science de l'archéologie, montre que tous les monuments en ruines dont est jonché notre sol deviennent peu à peu muets et incompréhensibles pour les populations, dont ils n'excitent plus dès lors ni la sympathie ni le respect. Il faut ranimer ces lettres mortes, rendre un langage distinct à ces hiéroglyphes. Mais une pareille tâche exige, pour être remplie, les connaissances réunies des archéologues et des savants : aussi fait-il un appel aux uns et aux autres. Il sait tout ce que des particuliers pleins de zèle ont fait pour conserver des monuments remarquables, des documents précieux; mais la ruine des uns et la destruction des autres à un moment donné sont une preuve que les efforts individuels ne suffisent pas toujours une société seule peut avoir assez d'autorité pour arrêter le mal avant que tout vestige ait été effacé, que tout monument ait disparu. Aussi la Société Archéologique peut-elle immédiatement se mettre à l'œuvre, et M. Morisot lui indique en peu de mots ses véritables attributions. La Société devra aider au classement des archives départementales et communales; chercher à connaître les anciens titres, diplômes, lettrespatentes de nos rois qui peuvent exister dans les diverses collections; s'occuper de la description et de la conservation des monuments civils, religieux et militaires, qui abondent dans notre département; enfin jeter les fondements d'un musée.

Pardonnez-moi, Messieurs, si je me suis un peu appesanti sur ce discours; mais j'ai pensé qu'il était utile de vous rappeler pour quels motifs notre Société avait été fondée; j'ai voulu également mettre sous vos yeux la demande, si je puis m'exprimer ainsi, avant de vous montrer la réponse, avant de vous rendre compte de nos travaux pendant une période de vingt années.

M. l'abbé Texier prit le premier la parole, et, dans un remarquable travail intitulé Sur l'Étude de l'art limousin (1), il indiqua

(1) Bulletin de la Société Archéologique, T. Ier, p. 23.

à son tour le double but que, au point de vue de l'art, la Société pouvait se proposer d'atteindre, et qu'il énonce ainsi :

« 1° Faire l'histoire des artistes qui, dans les diverses divisions de la technique, ont honoré notre province par une pratique habile; réunir les faits de leur vie; établir les conditions de leur existence matérielle et de leur développement artistique; quant à leur exécution, remonter à l'origine des traditions de notre esthétique; en rechercher la filiation, le développement; déterminer les caractères originaux de notre art et ses emprunts à l'art étranger; enfin rechercher l'origine des grandes conquêtes de l'art moderne, et notamment de la peinture sur verre, sœur de notre peinture sur émail;

» 2o Réunir les éléments matériels d'une histoire de l'art limousin par les monuments et des modèles propres à inspirer nos artistes ».

J'ai cru devoir citer également ce passage en entier, parce que le programme est vaste, et qu'il est loin d'être encore. épuisé. Je suis persuadé, Messieurs, que beaucoup d'entre vous y trouveront l'indication d'intéressants sujets d'étude, auxquels nous serons heureux d'applaudir, et d'ouvrir notre Bulletin.

Ce n'est pas du reste, Messieurs, sur ce passage seulement que j'appelle votre attention: l'article est à lire d'un bout à l'autre.

En lisant ce travail, on voit que M. Texier y a mis toute son âme de poète et d'artiste; on sent qu'il brûle du feu sacré, et qu'il veut en échauffer le cœur de ceux qui l'écoutent. Dans l'étude que je trouve quelques pages plus loin, au contraire, tout en conservant à son style toute son ampleur et toute sa beauté, il a dû condenser sa pensée sur un seul point, faire appel à tous ses souvenirs et à toutes ses connaissances, rechercher tous les textes à l'appui de sa thèse, et faire comparaître devant lui les monuments que nous ont légués toutes les époques depuis le XIIe siècle. Le fruit de ces études nous a valu l'Histoire de la peinture sur verre en Limousin (1), une de ces questions qui, comme celle des origines de l'émaillerie, ont toujours le privilége d'attirer à elles les esprits les plus élevés, de captiver les plus nobles intelligences, surtout dans notre province. M. Texier a cherché à prouver que la peinture sur verre était, de même que l'émaillerie, d'origine limousine; je

(1) T. Ier, p. 84.

suis trop peu compétent dans la matière pour vous dire s'il y a réussi je sais seulement que, lorsque ce travail parut, il fit sensation dans le monde savant, et que ses conclusions obtinrent les suffrages de plusieurs bons juges, en tête desquels je citerai M. du Sommerard.

Quelque temps après la publication de son Histoire de la peinture sur verre, M. l'abbé Texier fut appelé par Mer Buissas, évêque de Limoges, à la direction du petit-séminaire du Dorat. D'un côté, les nombreux soucis inhérents à cette charge laborieuse; de l'autre, divers travaux d'érudition qu'il avait entrepris, l'empêchèrent dès lors de collaborer à notre Bulletin, et ce n'est que bien longtemps après que, de retour au milieu de nous, il voulut payer sa bienvenue en entreprenant, sous les auspices de la Société Archéologique, un travail de longue haleine et qui devait lui faire honneur, la publication, avec des additions nombreuses, du Pouillé de Nadaud, véritable Dictionnaire géograghique et historique de la Marche et du Limousin; mais la 6o feuille d'impression en était à peine terminée que nous eûmes la douleur d'apprendre presque en même temps et la maladie et la mort de M. Texier. La plupart d'entre vous se souviennent certainement, Messieurs, d'avoir entendu prononcer son éloge par M. Félix de Verneilh au Congrès scientifique de 1859, dans lequel il devait remplir les fonctions de secrétaire général; ils se souviennent également de toutes les marques de sympathie qui accueillirent les éloquentes paroles de l'orateur, dont nous étions, hélas! loin de croire en ce moment la fin si prochaine.

Au nombre des travaux que M. l'abbé Texier a donnés au Bulletin Archéologique, j'ai omis de citer divers articles de chronique et de bibliographie, ainsi que la remarquable notice biographique qu'il consacra à un de nos membres que nous venions de perdre, M. le comte de Montbron.

Comme M. l'abbé Texier, M. Grellet-Dumazeau a été parmi nous un des ouvriers de la première heure; il a surtout traité dans notre Bulletin les questions historiques. Son style, vous en avez fait la remarque, semble bien froid à côté du style brillant et imagé de M. l'abbé Texier. C'est que M. GrelletDumazeau écrit l'histoire ad narrandum et ad probandum, - ad probandum surtout,

et chacun de ses travaux est une thèse

dans laquelle il prend un fait, l'étudie, l'analyse, le dissèque, jusqu'à ce qu'il en ait dégagé la vérité. En lui, à travers l'historien, on reconnaît le magistrat. Élève du célèbre bénédictin dom Brial, comme nous l'apprend son biographe, M. de Vernon, qui va me fournir une partie des appréciations suivantes, M. Dumazeau, fidèle aux méthodes traditionnelles des Bénédictins, était, comme eux, habile à faire valoir les plus faibles moyens, non qu'il eût l'habitude de recourir aux subtilités de l'argumentation, mais parce qu'il croyait, à l'exemple de ses modèles, qu'un mot, une phrase, une anecdote, une rumeur populaire, un fait peu connu, pouvaient fournir les meilleures indications sur les hommes et les évènements; et voici comment, en 1847, il parlait de la manière d'écrire l'histoire : « On a d'abord lu l'histoire sans l'étudier, ensuite on s'est mis à discuter ses textes sans chercher la vérité dans l'ensemble et la nature des faits constatés...... Pour comprendre l'histoire, ajoutait-il, il faut sans doute expliquer les faits par les actes, mais il ne faut jamais étudier les actes sans le secours des faits. » - Expliquer les faits par les actes écrits, étudier les actes écrits avec le secours des faits, telle a en effet été la méthode et la constante manière de procéder de M. Dumazeau; c'est celle qu'il a appliquée dans son travail Sur la mort de Richard Coeur-deLion à Chalus (1); dans un autre travail intitulé Sur Waifre, dernier duc d'Aquitaine (2); dans son Mémoire sur la domination anglaise dans certaines provinces d'outre-Loire (3); dans ses Recherches historiques sur le nom de Mons-Jovis, sur les idiomes vulgaires du moyen âge dans les Gaules et sur la peste des Ardents (4).

Vous ne devez pas vous attendre, Messieurs, à ce que je vous donne ici une analyse de ces divers mémoires : ce serait beaucoup trop long, et vous savez d'ailleurs qu'on n'analyse pas une question d'histoire comme un poème ou un morceau d'éloquence. Qu'il me suffise d'engager à les lire ceux d'entre vous qui seraient tentés d'aborder de semblables questions: ils y reconnaîtront les qualités que je viens de signaler, et de plus ils ne pourront s'empêcher de remarquer un fait qui chez M. GrelletDumazeau m'a frappé comme il avait frappé avant moi M. de Vernon je veux parler d'un sentiment profond de la justice. Chez lui, ce sentiment domine tous les autres aussi tout dé

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