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Mais dans toutes ces manières de dater on ne trouve pas la formule dont il s'agit ici, formule qui consiste à indiquer le jour de la fête d'un saint, sans aucune mention du jour et du mois. Cette manière est même assez communément en usage dans les Registres consulaires. On y lit par exemple: Fait le jour de saint Loup, l'an 1541 (1); le jour de madame sainte Valerie (2); le jour de saint Jean-Baptiste (3); le jour de la conversion de saint Paul (4); la vigile de la Conception de Notre-Dame (5).

Pour ces dates, il ne peut y avoir aucune difficulté, saint Loup étant le 22 mai, sainte Valérie le 10 décembre (6), saint JeanBaptiste le 24 juin, la Conversion de saint Paul le 25 janvier, la vigile de l'Immaculée-Conception le 7 décembre. Mais il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de fixer le jour de sein Marsau baro trei.

Le diocèse de Limoges célèbre quatre fêtes de saint Martial. La première est celle de l'Apparition de Notre-Seigneur à saint Martial, fête destinée à perpétuer le souvenir de ce miracle, arrivé le 16 juin de la 40 année après l'ascension de Notre-Seigneur. C'est à cette date qu'on la célèbre encore (7).

La seconde a lieu le 30 juin : c'est le jour anniversaire de la mort de saint Martial. Il est à croire que cette fête a été célébrée dès le rer siècle. Les premiers chrétiens avaient l'habitude de solenniser le jour de la mort des martyrs et des autres saints. Ils s'assemblaient à leur tombeau, où l'on célébrait les saints mystères et où ils venaient ranimer leur foi et leur courage. Cet usage était répandu dès le commencement du ir siècle, comme le prouvent les actes de saint Ignace et de saint Polycarpe (8).

Cette fête était célébrée dans tout le diocèse avec un grand éclat; mais c'était surtout à l'abbaye de Saint-Martial, où reposait le corps de notre Apôtre, qu'elle attirait le plus grand nombre de fidèles. « On découvrait la grille derrière laquelle

(1) I, p. 30, Registres consulaires.

(2) T. I, p. 164.

(3) T. I, p. 220. (4) T. I, p. 248.

(5) T. I, p. 367.

(6) Observez cependant qu'on trouve quelquefois sainte Valérie le 9 décembre, même dans les Registres consulaires de Limoges : c'est ce jour qui lui avait été assigné dans le Martyrologe romain.

(7) T. I, p. 248.

(8) BERGIER, Dict. theol., T. II, p. 189.

était la châsse qui renfermait les reliques. L'ouverture avait lieu dès les premières vêpres, par un échevin en costume, accompagné de sergents de ville en uniforme et hallebarde, et par un chanoine. La clôture s'en faisait avec le même cérémonial. L'évêque de Limoges avait le droit d'officier. Pour cela une députation de chanoines allait moins pour l'y inviter que pour savoir s'il officierait, dans lequel cas l'abbé ne paraissait pas (1). »

Le 10 octobre on célèbre une troisième fête de saint Martial. Voici les circonstances dans lesquelles elle fut établie :

Un grand nombre de miracles ayant été opérés au tombeau de saint Martial, et les peuples accourant de tous côtés pour implorer son secours, l'empereur Louis le Pieux fit construire une vaste basilique près de la crypte où reposait le corps du saint : aussi cette église est-elle appelée dans plusieurs chartes de nos rois « basilique royale ». Quand elle fut achevée, et avant de la consacrer, l'an 832 et le sixième jour des ides d'octobre, en présence du roi et de sa cour, qui séjournait alors au palais de Jocundiac, le corps de saint Martial fut retiré de son tombeau et placé au maître-autel. Trois jours après, la basilique fut consacrée et nommée Saint-Sauveur (2).

En 842 ou 844, pendant que les Normands désolaient le pays, les habitants de Limoges, pour dérober à ces barbares le corps de saint Martial, le portèrent à Turenne, dont le château passait alors pour imprenable. La même année le saint corps fut rapporté à Limoges.

En 846, le corps du saint Apôtre fut transporté à Solignac; il y demeura deux ans, opérant de grands miracles.

Un peu plus tard (885), comme les Normands ravageaient de nouveau le Limousin, on porta une seconde fois à Turenne les précieux restes de l'Apôtre : ils y restèrent neuf ans. Enfin, la paix et la tranquillité régnant dans le royaume, on résolut de les rapporter à leur place. Une immense multitude de peuple et un nombreux clergé alla à leur avance, en chantant des hymnes de joie, et ce fut avec la plus grande solennité qu'on les déposa dans la basilique où ils étaient auparavant. C'était le 6 des ides d'octobre, jour déjà célèbre par une translation précédente.

(1) BULLAT, Tableau hist. et relig. de la ville de Lim., mss. (2) Breviar. Lemov.

C'est le souvenir de ces diverses translations, et en mémoire de l'heureux retour des reliques de saint Martial, que l'Église de Limoges célèbre la fête du 10 octobre, date de la translation des reliques du saint Apôtre.

Une quatrième fête de saint Martial a lieu le 12 novembre: elle a rapport à un fait historique raconté par tous nos chroniqueurs. « En 994, une maladie extraordinaire, connue sous le nom de mal des Ardents, sévit sur toute l'Aquitaine, où elle fit périr plusieurs milliers de personnes. Les évêques et les seigneurs de la province, ceux du Berry, du Poitou, de l'Auvergne, de la Gascogne, de la Touraine, etc., disent nos Annales, vinrent à Limoges implorer l'intercession de l'Apôtre. Un jeûne de trois jours fut ordonné, et l'ouverture du tombeau de saint Martial fut résolue. Son corps, accompagné de la plupart des reliques conservées dans le diocèse, fut solennellement transporté sur une hauteur qui domine la ville. Le mal cessa subitement à la suite de ces prières publiques. En mémoire de ce miracle, sur cette montagne, appelée dès lors « le Mont de joie », Montjovi (Mons gaudii) on construisit une chapelle à saint Martial, et on célébra tous les ans cette fête le 12 novembre (1). »

Pour découvrir parmi ces quatre fêtes celle qui avait porté le surnom de baro trei, j'ai cherché la signification de ce mot. On peut le traduire en français par ferme treuil. Treuil doit venir du latin torculum, et signifie pressoir (2); et par conséquent sein Marsau baro trei se traduit par « saint Mártial ferme le pressoir ».

Le mot « Treuil » est assez répandu, surtout dans les environs de Limoges, où l'on trouve le Treuil, le Petit-Treuil, le GrandTreuil, les Trois-Treuils (3). Il nous rappelle qu'en ces lieux il y avait autrefois des pressoirs. En effet, les environs de Limoges et presque tous les coteaux de la Vienne étaient couverts de vignes ainsi qu'une partie de ceux de la Gartempe. Nos chroniqueurs nous parlent assez souvent de ces vignes et de leurs produits :

Lorsque la célèbre Marguerite, reine de Navarre et sœur de François I, roi de France, vint, en 1537, à Limoges, où le roi

(1) Maurice ARDANT, les Ostensions, p. 14.

(2) BESCHERELLE, Dict. national de la lang. franc.

(3) En 1543, les habitants de Limoges allèrent au-devant du gouverneur jusqu'aux Trois-Treuils. (Limoges et Limousin, p. 74.)

son époux arriva peu après, elle fut reçue avec tous les honneurs possibles. On remarque parmi les présents que leur firent les consuls une barrique de vin muscat (1), ou, selon d'autres, << deux barriques de vin blanc et claret (2) ».

Vers 1550, il y eut un changement notable à Limoges pour les vins. Avant cette époque, à cause des vignes qui couvraient tout le pays jusqu'autour de la ville, on buvait peu de vin étranger, qu'on tirait du Bas-Limousin, de l'Angoumois et du Périgord; le vin blanc de Bergerac était le plus grand luxe : il fut alors détrôné par le vin de Domme, qui tient de ceux du Quercy et du Périgord (3).

En 1567, la reine-mère Catherine de Médicis vint à Limoges pour y trouver son fils; elle voulut boire du vin du pays (4).

Au commencement de notre siècle, la vigne était encore cultivée dans les communes d'Isle, d'Aixe, de Verneuil (arrondissement de Limoges); dans celles de Bellac, Saint-Bonnet-laMarche, La Croix, Peyrat-la-Marche, Darnac, Saint-Ouen, Le Dorat, Magnac-Laval, Dompierre, Rancon, Bussière-Boffy (arrondissement de Bellac), et dans celles de Rochechouart, SaintJunien, Chaillac, Saint-Victurnien, Saint-Brice et Saint-Martinde-Jussac (arrondissement de Rochechouart) (5). En estimant à six hectolitres par hectare le produit de ces vignes dans les années moyennes, les 2,969 hectares qui étaient cultivés en vignes donnaient 17,814 hectolitres (6).

Mais de nos jours ce produit a diminué considérablement. L'oïdium ayant fait de grands ravages en plusieurs endroits, quelques propriétaires ont arraché la vigne pour cultiver les céréales, préférant, avec la facilité de transport que nous possédons, acheter des vins de Saintonge, d'Angoumois, de Périgord et de Bordeaux.

Après cette double excursion au milieu des fêtes de notre diocèse et des produits de notre province, remarquons que la

(1) DUROUX, Essai sur la sénatorerie de Limoges, p. 220. — Limoges et Limousin, p. 73.

(2) Registres consulaires, T. I, p. 304.

(3) Limoges et Limousin,

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p. 81.

(5) ROUGIER-CHATENET, Statistique de la Haute-Vienne, p. 326. (6) Id., p. 379.

fête de saint Martial du 12 novembre est après les vendanges, pendant que celle du 10 octobre est presque au commencement; car en Limousin on vendangeait à la fin de septembre ou dans les premiers jours d'octobre (1). Il y avait même une ordonnance des consuls qui défendait de commencer les vendanges avant le 27 septembre, sous peine d'amende arbitraire (2).

Cette expression sein Marsau baro trei signifie donc « saint Martial ferme le pressoir », comme qui dirait « saint Martial de la fin des vendanges ». C'est la fête qu'on célèbre le 12 novembre, appelée saint Martial des Ardents. Si j'en crois quelques personnes, on se servirait encore aujourd'hui de ce terme dans certaines bourgades limitrophes du Limousin et de l'Angoumois, en lui donnant cette signification.

Ce qu'on a fait pour saint Martial, on l'a fait aussi pour d'autres fêtes. Il y a, par exemple, deux fêtes célébrées à propos de la croix de Notre-Seigneur le 3 mai, l'Invention, et, le 14 septembre, l'Exaltation de la Sainte-Croix. Cette dernière, qui coïncide presque avec le commencement des vendanges, n'est connue dans tout le pays vignoble des bords de la Vienne, et surtout à Aixe, que sous le nom de Sainte-Croix des Vendanges.

J'en étais arrivé à ce résultat lorsque j'ai trouvé dans le Tableau ecclésiastique et religieux de Limoges, par l'abbé Bullat, la confirmation de ce que je viens de dire. De plus il ajoute encore que la fête de saint Martial du 10 octobre est dite sein Marsau doubro trei (saint Martial ouvre le pressoir), parce qu'elle coïncide avec les vendanges.

Concluons. Lorsqu'on trouve dans les actes du moyen âge, comme servant de date, les expressions suivantes: 1° le jour de l'Apparition de Notre-Seigneur à saint Martial, on désigne le 16 juin; 2o le jour de saint Martial, il s'agit du 30 juin ; 3o s'il y a sein Marsau doubro trei, c'est alors le 10 octobre qu'il faut entendre; 4o enfin, s'il y a sein Marsau baro trei, c'est le 12 novembre qui est indiqué.

A. LECLER.

(1) ROUGIER-CHATENET, Statistique de la Haute-Vienne, p. 327. (2) Registres consulaires, T. I, p. 228.

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